08/04/2007
LE SILENCE, PLUS D'OR QUE JAMAIS
On s’éviterait un maximum de malheurs si on avait la possibilité logistique et biologique de ne jamais quitter sa piaule. Qui l’affirmait, déjà ? C’était certes un bien grand bonhomme. La compagnie de nos contemporains est le ferment de la misanthropie méthodique et il suffit de se frotter à tout ce qui est humain pour qu’il vous devienne intégralement étranger.
Il y a peu d’activités aussi inutiles, coûteuses en temps, dévoreuses stériles de précieuse énergie, que de causer à nos prétendus semblables. Plus précisément, c’est débattre avec eux de quoique ce soit « d’important » ou de « sérieux » qui est éreintant, qui assèche l’âme et accouche de la plus noire des biles. On en vient alors à développer une horreur primale de toute discussion de fond avec les zombis qui titubent dans notre environnement. La bêtise assumée et la vulgarité abyssale de leurs « opinions » entraînent des crampes mentales qui se répercutent jusque dans les membres. On se croyait grande-gueule, ils nous rendent aphone.
Discuter politique, philosophie ou éducation avec n’importe quel Occidental moderne a sur l’humeur les mêmes effets que la pression sur un scaphandrier qui ne respecte pas les étapes de sa remontée des profondeurs. Ca vous paralyse, vous écrase, vous suce l’air hors des poumons. On en vient à se fracturer de l’intérieur tant les mots, mêmes hurlés, canalisent mal la rage de meurtre. La paix de l’esprit est dépendante d’une seule variable, éternelle et si pleine de bon sens qu’elle semble absurde à l’intello aveuglé par le pouvoir du verbe : le silence.
Ne rien savoir.
N’avoir aucun avis sur rien.
Se foutre du quart comme du tiers.
Si on ne peut le faire sincèrement, il importe quoiqu’il arrive de le feindre en tous lieux et tous temps, face à n’importe quel interlocuteur qui ne soit pas un camarade éprouvé.
Au Royaume des Bavards, les muets ne sont pas les Rois, mais les Sages. Or tout le monde parle en même temps, en notre glorieuse époque de médiatisation, de communication, de verbiage insane et perpétuel. A mesure que la technologie nous permet d’atteindre n’importe qui et n’importe quand sur son putain de portable, nous avons toujours moins de choses sensées à raconter, et en un vocabulaire toujours plus pauvre, plus kitch, plus créolisé.
La capacité d’écoute attentive et de compréhension sincère s’apparente à un art martial sophistiqué. Qui connaissez-vous, dans votre entourage étendu, qui soit capable de la boucler dix minutes et d’écouter sincèrement tout ce quelqu’un lui dit ? L’intolérable majorité des gens qu’on fréquente ne cherche la compagnie d’autrui que pour l’enterrer vivant sous un effrayant blabla, pour torcher leur bouche incontinente avec la première paire d’oreilles venue.
Vous croyez avoir des amis ? Voyez s’ils vous écoutent vraiment, ou s’ils ne se taisent que le temps de recharger leur canon à foutaises. Quiconque vous coupe systématiquement la parole est à classer parmi les cibles à détruire. Un ami A.O.C. est un homme en compagnie de qui vous pouvez boire une bière jusqu’au bout sans prononcer un mot, et sans que la moindre gêne ne s’installe. Mais un taiseux a mauvaise réputation. Son silence souligne grossièrement la superficialité douloureuse des amitiés de bistrot, d’études ou de boulot.
C’est ce qui rend encore plus attrayants les vides vertigineux de la montagne, la désolation des pires déserts ou la violence des mers les moins accueillantes : on n’y entend aucun de ces couinements humains, aucune de ces jérémiades d’esclave en grève, rien de la mélasse sous-humaniste des dandys castrats qui nous servent de modèles et de porte-paroles.
17:15 Publié dans Marées Noires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Vos gueules
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