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14/06/2013

LA CUVEE DES CONNARDS

Bekim (Benn) et Ilir Frrokaj ont acheté en juin 2012 plus de 46'000 dollars un magnum de Domaine de la Romanée-Conti du millésime 1945 au chef du célèbre restaurant Charlie Trotter, maintenant fermé, à Chicago. Les deux hommes ne se sont aperçus que la bouteille n'était pas authentique que lorsqu'ils ont voulu l'assurer et qu'une consultante leur avait dit qu'elle n'avait aucune valeur.

Les deux richissimes imprononçables n'achetaient pas du vin, au sens d'un produit de consommation destiné à flatter les papilles et griser l'âme au bout de quelques godets. Il y a un prix au-delà duquel on n'achète plus quelque chose qui se boit, mais du prestige, de l'exclusivité, de l'esbrouffe.

Une pute sympa, une très belle pute, une pute top-model, la plus belle femme du monde pute-d'un-soir, au final c'est pareil: mêmes orifices convoités, mêmes services attendus. A quelques euros ou cent mille dollars, une pipe reste une pipe, tout le reste est de la poudre, du genre qu'on s'enfile par les yeux plutôt que dans les naseaux. Pour le vin c'est exactement pareil. Il y a la qualité du millésime, la spécificité du terroir, le travail du vigneron, le savoir-faire de l'encaveur, et tout cela a un prix. Rajoutez-y une marge pour que les artisans gagnent leur croûte décemment. Encore une pour faire vivre les intermédiaires. Une dernière pour la relative rareté du cru. Chaque centime supplémentaire sera dépensé au seul nom de la spéculation.

L'amateur bourrin mais éclairé calcule le juste prix de son jaja selon une échelle à trois variables: qualité, prix, et temps. Une bouteille, c'est X verres répartis entre X convives pendant X minutes d'une seule soirée. Au-delà d'une limite supérieure variable mais incontournable, on ne boit plus du vin: on flambe, comme au casino. Au plaisir de la dégustation se substitue celui de la frime. Une grasse liasse qui disparaît à chaque petite gorgée.

Le palais humain a ses limites, et pour les franchir il faut avoir recours à des substances hallucinogènes. Sans elle, on boit et mange excellement, mais on n'a pas de visions célestes, pas d'orgasme sec. Et puis au bout d'un moment on a simplement trop bu et trop mangé, et on finit par tout dégueuler, pareil qu'avec des chips et un litron de goron.

Ami novice, n'oublie jamais ceci: le vin le plus cher de la carte ne sera pas le meilleur, juste le plus cher. Et à partir du deuxième zéro au cul du prix, la courbe du foutage de gueule prend son envol. Mais les gros snobs ne veulent pas le savoir.

C'est ce qui explique notamment la renommée perpétuelle des "grands vins de Bourgogne": c'est connu ? c'est monstre cher ? c'est coté en bourse ? ça ne peut être que bon.

Si vous consentez à débourser le prix de quatre Ducati Monster neuves pour un litre et demi de rouquin, on peut aussi bien remplir votre magnum avec du cubi de beaujolpif nouveau 1985 aromatisé au sirop de cassis :

VOUS ALLEZ AIMER

Vous n'aurez pas le choix que d'être ébloui, de faire claquer la langue, de vous chiffonner la gueule en moue de connaisseur étourdi de bonheur.

Un intense plaisir gustatif est le retour sur investissement légitime que vous attendez. Si vous avez l'impression de vous rincer la gueule au vieux vinaigre de framboise, la sensation qui vient juste après la brûlure de l'acide s'appelle la honte : vous êtes un couillon qui s'est fait avoir, un richissime blaireau qui n'y connaît que dalle, une pive, un manche, un futur client de Monsieur M'Bougna, Grand Voyant Médium qui multiplie les billets de mille et fait revenir l'être aimé du royaume des morts.

L'admettre publiquement ? Plutôt crever. DONC ce que vous buvez est formidable et les moqueurs sont des béotiens aux papilles néanderthaliennes.

Brankim Foutraj et son copaing ont joué et perdu. Dans un monde juste, ils ne devraient avoir droit à que dalle à part les rires du public. L'arnaqueur a fort bien joué son coup, parce nos deux couillons n'auraient pas senti la différence avec le premier jus de betteraves venu.

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08/02/2011

A CES BOURGUIGNONS QUI ONT TUE LEUR VIGNOBLE

Messieurs,

Que ceux parmi vous, petits producteurs sérieux et amoureux de leur noble métier, veuillent bien me pardonner l'outrage qui va suivre. Pessimiste de nature, je veux croire malgré tout que vous êtes encore quelques-uns pour qui faire pisser la vigne constitue un crime et non un business.

Bacchus reconnaîtra les siens, et Lui qui m'a si souvent protégé lors de mes retours avinés sur deux roues, il se souviendra que j'ai écrit ceci après une HUITIEME boutanche de Bourgogne vidée dans les cagoinces. Santenay, Corton, Aloxe-Corton ou 1ères Cotes de Beaune, millésimes 99 à 2006, format classique ou magnum, rien n'y a fait. J'en ai rigoureusement plein la fente de déboucher saloperie sur saloperie en provenance de chez vous, offertes par des amis bien intentionnés qui auront en plus payé dix fois ce qu'elles valaient vraiment.

Quand j'affirme que vous fourguez de la piquette en abusant de la confiance idiote des ignorants et des snobs, je ne profère pas une insulte, je formule un constat. Il serait banal et dispensable si vos lavasses ignobles étaient proposées en cubi, près du rayon des pistaches et des olives turques « à la Provençale. » Mais votre impudence sans limite vous fait glisser vos pieds crasseux dans les traces d'ancêtres qui vous auraient refusé jusqu'au privilège de nettoyer leurs cuves.

Un amateur vous rend visite, à qui vous faites goûter un atroce brouet sans relief, anorexique à force de maigreur et dont ne demeure en bouche qu'une acidité révoltante, évoquant un vinaigre de framboise souillé d'une larme de grenadine. Face à sa mine déconfite, vous osez affirmer qu'il est encore «trop jeune » et qu'il lui faut le repos d'une bonne cave pour se révéler pleinement. Mais si derrière l'agression citronnée ne se révèle ni velouté, ni profondeur, ni parfums riches et âcres, votre soupe translucide, oubliée au milieu des patates et des sacs de voyage, ne sera plus bonne que pour l'évier. Le novice pourra la boire sans douleur, parce que l'acidité aura certes disparu. Mais avec elle, c'est tout le caractère de votre triste vinasse qui se sera évaporé. Une tranche de cervelas, une cuillerée de fromage blanc, un bol de bouillon clair seront des mets encore trop puissants pour l'intolérable fragilité de ses arômes évanescents, et vous avez le culot de recommander une viande saignante pour l'accompagner.

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Ce n'est là qu'un mensonge parmi trop d'autres. Lorsque vous vantez une « belle robe rubis », vous parlez de cette teinte rosâtre qui ferait hésiter un aveugle à prononcer le simple nom de vin « rouge. »Quand vous chantez sa « souplesse » et son « fruité », vous jetez un linceul sur ses tanins chétifs, si « fondus » qu'ils en ont complètement disparu. Vos fichus arômes de « petits fruits rouges » ? La trace de freinage déposée par vos raisins cueillis trop verts. Cette ridicule « finesse », derrière laquelle vous vous planquez pour culpabiliser l'amateur un peu trop franc ? Une défroque minable pour un manque de charpente et d'épaisseur que rien n'excuse, et qui ne s'explique que par un assemblage variable de malhonnêteté, d'incompétence et de pur foutage de gueule.

Chez les dégustateurs de la génération de mes parents, la stupéfaction fait mal à voir. On les sent décontenancés, cherchant en vain dans leur verre un souvenir de ces grands crus qui ont marqué leur jeunesse. Ils y reviennent, ils s'acharnent, comme des gourmands qui ne veulent pas comprendre que leur merveilleuse auberge du coin, où ils mangeaient si bien naguère, a été rachetée par un kebabiste qui n'en a conservé que la facade.

Et les pauvres revendeurs chargés de fourguer votre sous-came de luxe aux conneauds aveuglés par la brillance de vos étiquettes! Leur gêne devient palpable et leurs silences pesants. Beaucoup ne savent trop quoi vous dire quand vous revenez aboyer contre le coût obscène d'une topette à gros pédigrée, et qu'on aurait fourgué sans scrupule, une fois ouverte, au clodo du quartier. Ils ouvrent des yeux ronds et dépités quand on leur fait vérifier eux-mêmes la platitude scandaleuse des faux nectars dont ils étaient si fiers.

Certains parlent à mi-mots de domaines cédés des fortunes à des salopes plus à l'aise en phynance qu'en orfèvrerie viticole. D'autres accusent lâchement de richissimes métèques de pays en-voie-de-pourrissement : leurs récentes fortunes leur ont filé des vertiges de grandeur, et ils veulent s'enivrer de ce que la Vieille Europe prétend avoir de meilleur et de plus cher.  Ils n'y connaissent que dalle et sont prêts à raquer sans négocier, pourquoi faire correctement votre boulot ? Il faut un nom connu, un prix absurde et de la flotte teintée facile à déglutir.

Éternel dilemme du tox et du dealer, dont on ne sait encore lequel il faut occire pour voir l'autre clamser – mais c'est une autre histoire.

J'imagine assez bien la pauvre ligne de défense que ces lignes vengeresses susciteront. Un Helvète ivrogne qui se pique de faire la leçon aux artisans hexagonaux, l'ironie est sans doute savoureuse, vu la médiocrité des jus qu'on sort si souvent de sa terre.

Patriote jusqu'au délire, j'entends bien qu'on ne m'accuse pas de chauvinisme oenologique. C'est parce que j'aime mon pays que j'entretiens une rancoeur inoxydable envers ceux qui ternissent son nom. En font partie les légions de vignerons vaudois toujours infoutus de proposer autre chose que des pinots délavés et des gamays aigrelets, dont je ne salirais pas mes sangrias. La différence capitale ? Ils sont vendus pour ce qu'ils sont, à des prix dignes de leur qualité, et sans réclamer d'autre prestige que d'étancher les gosiers locaux.

Aussi je le répète : NON, je ne vous vole pas vos lauriers pour décorer leurs têtes des touilleurs de bibine de chez moi – encore que le plus rustique de nos gamarets rétame sans efforts tant de vos milieux-de-gamme aussi inabordables que manifestement bâclés. J'affirme en revanche que, ces lauriers, vous avez perdu le droit de les porter, et que des couronnes d'étrons vous siéraient bien mieux.

Au lecteur bourguignon qui sait n'avoir pas le temps de venir m'égorger, j'adresse un message implorant : je mourrai bien assez vite tout seul et quelle revanche plus éclatante de me forcer à me renier ? Filez-moi des adresses où l'on peut trouver chez vous des pinots dignes de magnifier une côte de boeuf ou un civet de chevreuil. Je ne suis jamais plus ravi d'avoir tort quand ça me permet de boire un Vin méritant sa majuscule.

20/07/2010

CHASSELAS 101

C'est bientôt l'heure de faire péter les topettes et d'enterrer une nouvelle semaine, causons picrate.

 

Bob Pied-Noir espérait quelques lignes sur « le vin suisse ». C'est pour l'obliger que je ponds ces  quelques lignes sur un sujet beaucoup plus restreint, à savoir quelques choses que je sais de certains pinards que l'on fait sur mes terres vaudoises, dont la beauté n'a d'inverse proportionnelle que la piètre qualité de ses habitants, mais je m'égare. Digresser en guise d'intro, ou l'art d'estourbir le plus bienveillant des lecteurs. Passons.


Un cépage y exerce une domination d'autant moins contestée qu'il est autochtone : le chasselas. On lui a inventé des origines exotiques, mises à mal par les dernières recherches en la matière. Il s'épanouit le long du bassin lémanique; pratiquement partout ailleurs, il s'acclimate si mal que beaucoup de vignerons ricanent encore à l'idée qu'on puisse en tirer un vin buvable. S'il est connu en-dehors des frontières helvètes, c'est parce qu'il sert plus volontiers d'échelle pour mesurer la maturité des autres cépages. En Valais, il se désigne sous le nom de Fendant, mais pas de gourance: c'est bien le même individu. Il y a quelques décennies, des fonctionnaires ont cru très intelligent de le baptiser du nom idiot de Dorin dans le canton de Vaud, et de Perlant à Genève. Ces pseudos humiliants ont heureusement disparu depuis.


Pas évident de le décrire à qui n'en aurait jamais bu. Au palais vaudois, il paraît constituer un archétype, une base universelle, un produit si basique qu'on ne voit pas pourquoi on lui concéderait plus de prestige que le pain ou l'eau plate. Jusqu'à une époque récente, ce tranquille mépris paysan a poussé bien des caves à fourguer des merdes sans nom au consommateur, censé ne faire de différence qu'entre le blanc et le rouge. A l'inverse, le dégustateur hexagonal qui le découvre risque d'être surpris, voire de n'y rien comprendre, comme me le confiait récemment un amateur pourtant plus éclairé que ma pomme sur la question.

 

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Posons quelques évidences grossières jusqu'à la caricature mais qui aideront à ce qu'on se comprenne bien.


A qualité comparable, un vin blanc français sera plus volontiers sur l'acidité, alors que le chasselas sera, lui, sec mais fruité. C'est un mélange que bien des frocards à qui je l'ai présenté  laisse durablement perplexe. Le Vaudois formé à ce mélange particulier, qui lui semble pourtant bien banal, sera retourné par la violence des blancs de France, dont les arômes citronnés lui fissureront l'émail des molaires. Cette différence fondamentale éclaire les habitudes respectives de consommation: par chez moi, on vous proposera presque fatalement du blanc à l'apéro, phénomène bien moins massif chez nos voisins tricolores. Rares sont leurs blancs qui peuvent se passer d'un plat en accompagnement; le chasselas, s'il irradie de bonheur en compagnie d'un taillé aux greubons ou de quelque salaison campagnarde, se suffit amplement à lui-même.


Si l'on se plaît à lui trouver « un goût de reviens-y », c'est avant tout parce qu'il est apprécié dans sa jeunesse: on y recherche de la fraîcheur, de la vigueur, de l'insolence. On commence à peine à réaliser, hors du cercle des spécialistes, son fabuleux potentiel de vieillissement et la complexité que lui confère le temps, même en bouteilles capsulées. Pour le populo, c'est sa rusticité, sa légèreté, qui fait tout son attrait, loin des notes riches et lourdes des grandes appellations burgondes. Comme pour souligner encore cette différence d'univers, sa délicate exubérance lui vient de ce qui est considéré comme un défaut rédhibitoire presque partout ailleurs : la présence d'un très léger gaz carbonique. Mais achtung : le millésime 2009 réservera des surprises pas forcément jouasses. J'ai déjà pu goûter certains blancs locaux si écoeurants et pesants qu'ils iront mieux en dessert qu'en apéro...


A l'image de l'Oktoberfestbier, bien que pour d'autres raisons, la raison d'être du chasselas est de pouvoir être bu sans soif, ou plus précisément sans la passer, ni couper la faim. Des vins trop riches et trop alcoolisés ont cet effet déplaisant, vous scient les jambes et vous découragent de toute goinfrerie ultérieure. Pas le chasselas bien fait : sa finale légèrement amère et minérale provoque une plaisante sensation de manque, mais sans astringence pour autant. Au contraire,  sa rondeur aérienne invite à rafoncer les godets de toute la tablée jusqu'à ce que chacun crève assez la dalle pour passer à plus sérieux.

Il se dit – je n'ai pas encore pu le vérifier – que la Côte fait des chasselas plus doux et flatteurs que Lavaux (ne dites plus Le Lavaux). Au sein de ces mêmes régions, dans un seul bled, on en trouve des qualités gravement disparates. Qu'on ne mise donc pas sur les AOC: boire « du Féchy » ou « du Saint-Saphorin », pour ne prendre que deux exemples, ne garantit en rien le plaisir de la déguste. Tout est question, bien sûr, du travail plus ou moins propre du vigneron, mais aussi du terroir. On prétend que le chasselas serait l'un des cépages traduisant le mieux les caractéristiques des terrains où il pousse. Or, la notion de terroir, si fondamentale dans la viticulture française, peine encore à percer en Suisse. On y fait encore prioritairement des vins de cépage, et l'étiquette mentionne le nom du producteur bien plus que celui de son domaine. Il se peut que ça change à l'avenir. Les vins de cépages n'ont pas une réputation très flatteuse, ne serait-ce que parce qu'ils sont la norme chez les vignerons industriels du Nouveau Monde, qui feraient pousser de la vigne sur du béton si c'était faisable et rentable.

Ceci pour dire que je ne donnerai pas de conseils de cave particulière pour ceux d'entre vous qui seraient tentés de se familiariser avec le chasselas. A éviter, toutefois, toute bouteille mentionnant des choses trop vagues. On trouve par exemple, en supermarché, des litrons de « Chasselas de Romandie », assemblages hasardeux de raisins provenant de va savoir où. Au minimum, il faut pouvoir identifier clairement le producteur et son bled, tout en sachant que l'on n'aura aucune garantie qu'il n'aille pas se fournir ailleurs, voire carrément dans un autre canton... Pour le reste, même recommandation que dans le précédent billet sur le thème : goûter souvent, plein de choses différentes, et surtout noter toutes ses observations, enthousiastes ou déçues.

07/07/2010

"IL FAUT SAVOIR CE QUE L'ON AIME..."

... et mine de rien, ce n'est pas évident.

Entre 2006 et 2007, j'ai vraiment commencé à m'intéresser à ce qu'il y avait d'écrit sur les étiquettes de pinard et sur l'origine exacte de leur contenu. Auparavant, il était rare que j'approche une bouteille de rouge avec autant d'attention.

Dans notre petite équipe de déglingués, nous organisions régulièrement de grandes mangeailles pas compliquées. Nous faisions d'amples provisions de bières belges ou allemandes, je me réservais une bouteille de ouiski, et pour accompagner les saucisses ou les steaks il n'était pas rare que nous options pour un peu de rouge. Le rituel était immuable, et plutôt simple. Avec ma femelle de l'époque, nous errions dans le rayon ad hoc du premier supermarché disponible, cherchant une bouteille aguicheuse. Nos critères ? Nous n'en avions pas vraiment. Elle comme moi venions d'une famille où l'on avait le goût des bonnes choses, mais pas beaucoup de rigueur dans la dégustation. Nous savions elle et moi quelques grands noms, et cela nous suffisait. Bien des fois, nous avons opté pour tel ou tel erzats de "Châteauneuf", parce que le nom sonnait bien. Potable ou médiocre, peu importait en fin de compte : nous la finirions bien, cette fichue topette...

Avec le recul, je me demande bien quel plaisir nous pouvions retirer de ces vinasses industrielles bon marché. Il y a quinze ans, c'était le bref triomphe des produits archi-barriqués et hautement drinkable en provenance de Californie ou d'Australie. Des choses expressément conçues pour être bues sans effort ni surprise. Il faut croire que cela suffisait à notre degré de raffinement. Pourtant, nous nous pensions des esthètes et de grands gourmets. Cette arrogance m'amuse encore, beaucoup moins le décalage entre nos prétentions et les maigres moyens que nous avions de les assumer.

Dans cette routine de médiocrité, un souvenir éblouissant demeure : ces caisses d'Aloxe-Corton dégottées pour moins que rien par l'un d'entre nous, exterminées autour de l'immense table belle-familiale, débordant du salon jusque sur la terrasse, par une soirée d'été d'une exceptionnelle douceur. Je n'ai gardé aucune trace précise des arômes, parfums et sensations de ce vin ; mais quelle stupeur! Quelle révélation! Quelle merveille d'équilibre! Des lustres plus tard, j'en ai gardé une tendresse particulière pour l'appellation, même en visitant les sous-sols des très imbuvables Patriarche... Mais là encore : si je pouvais le déguster aujourd'hui, serais-je à l'abri du crève-coeur de la déception ?

Le palais, soumis à une certaine discipline de découverte, évolue à une vitesse remarquable. Aussi faut-il rester sur ses gardes : des choses qui nous paraissent indépassables à une époque toute récente se révèlent finalement bien quelconques, une fois une minuscule expérience accumulée. Il y a trois ans, je me suis pris une jolie murge à la propriété d'un vigneron, tapant systématiquement dans son haut-de-gamme, à base de Cabernet si je me souviens bien. Passe le temps, divers déménagements, je perds le bonhomme de vue, mais je n'oublie pas sa production, me jurant d'en faire des stocks une fois sorti de la mouise. Retrouvailles impromptues au début du printemps dernier. Nous faisons toute sa gamme, en gardant ledit Cabernet pour la fin. Kolossale Dezeption : c'est mou, sans tanins, l'acidité à la traîne et le fruit tristounet, un ensemble ennuyeux au possible.

On fera remarquer qu'un même produit évolue de façon surprenante d'un millésime à l'autre. Mais je crois que l'explication, beaucoup plus élémentaire, est que plus on déguste, moins l'on est facilement bluffé par des vins trop faciles d'accès. Savoir ce que l'on aime, ça suppose de ne pas s'arrêter à une première impression, et accepter de découvrir un jour qu'on avait eu des goûts de chiottes.

Pour faire un parallèle imbécile, j'avais éprouvé une tristesse semblable avec Excalibur. Sa découverte, à 10 ou 12 ans, m'avait retourné tête et tripes. Plus de dix ans plus tard, le voilà rediffusé. Je m'apprête à une délicieuse séance de nostalgie, je m'effondre devant une daube sans nom, avec un merlin à calotte d'aluminium, des fumigènes qui feraient honte à David Hamilton, un univers d'une indigence au-delà des mots. Ne me reste que le souvenir du choc esthétique originel, et le regret de ne pas l'avoir conservé intact en ne prenant jamais le risque d'une seconde vision. A l'inverse, j'ai vu plus de vingt fois Amadeus ou Apocalypse Now, avec un éternel émerveillement et je sais qu'à l'instar de certains grands pinards, je vais encore y revenir sans risque d'être lassé.

19/06/2010

LE PICRATE POUR LES BOURRINS

Si vous vous obstinez à revenir lire mes merdes, (pour certains depuis mars 2007, mine de rien), c'est que lire toujours les mêmes histoires à base de métèques et de mixocrates ne vous gave pas plus que ça. Moi non plus, notez. Mais étoffer un peu l'offre ne serait pas un luxe. Il n'y a pas que l'ethnocide dans la vie, bordel. Vu que les Néo-Occidentaux se contentent d'exiger des quartiers sans pinard mais n'ont pas encore eu l'idée de tester la Ceinture Palestinienne au milieu du vignoble, on peut espérer avoir de quoi se pochetronner en ordre en contemplant la décomposition de notre civilisation.

A ceux qui le voudront bien, je causerai donc du pinard, à raison d'au moins un billet toutes les fois où j'aurai de l'inspiration, ce qui risque fort d'être aléatoire. J'ambitionne quand même, sans jamais atteindre ses sommets lyriques, de durer un peu plus longtemps que cette grosse lopette de http://pcbpf.wordpress.com/, qui nous a méchamment alléché sur le thème, avant de baver sur son école puis de disparaître à jamais du ouaibe Infréquentable.

Puisqu'on parle lyrisme et littérature haut-de-gamme, précisons d'emblée une chose. A l'inverse de Ferdinand, je ne suis pas un raffiné. Je ne m'adresse donc pas aux raffinés non plus, mais à mes frères d'ivresse, la grande famille des bourrins jouisseurs et curieux. Pour des cours d'ampélographie, des conseils lumineux en matière d'accord mets-vins, adressez-vous à votre caviste habituel, ou consultez les blogs sérieux qui pullulent alentours. Sur la Zone, on dégoise sur ce qu'on hait pareil que sur ce qu'on aime : sans se poser de colles.

Si d'aventure vous apprenez quelque chose, dites-vous bien que je ne cherche pas à jouer au prof. Le pinard est pour moi un monde très nouveau, étourdissant de beauté et de richesse. Ce que je consignerai relèvera donc du récit de voyage gustatif, car il y a encore trois ans, j'ignorais parfaitement avec quoi l'on faisait le blanc local, pour ne pas dire que je n'en avais rien à foutre. La révélation s'est faite sur le tard, et il m'aura fallu du temps pour faire preuve d'un minimum de méthode. Je publierai donc ce qui me passe derrière le front quand certains breuvages me passent derrière la cravate.

 

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En apéro, un truc tout con.

Gros punk, mon ami, tu sais sans doute déjà comment il en va des relations entre ivresse et flacon. Pour la picole comme pour la bagatelle, l'on fait bien souvent avec ce que l'on a sous la main, et ce qu'on a les moyens de s'offrir. Cela ne veut pas dire qu'il faille s'enfiler n'importe quelle saloperie, en talons ou en bouteille, et encore moins se dévaloriser en se cantonnant à l'artillerie lourde. Pas raffiné, soit – mais de grâce, un peu de self-respect.

Bien des mâles diminués affirment ne rien comprendre aux gonzesses. Outre que c'est avant tout parce qu'ils sont trop cons ou insuffisamment observateurs, cette ignorance bien pratique ne les empêche pas de faire une différence claire entre une bête de concours et un thon. Si l'on peut hésiter à aborder une créature à la séduction irradiante, c'est plus par peur du râteau humiliant que par crainte de ne pas piger ce qu'elle raconte. Voyez la nuance ? Pour le vin, ce n'est pas plus compliqué.

Ce que je ne veux plus entendre dans mon entourage, quand je débouche quelque topette que ce soit, c'est : « Oh ! Moi je n'y connais rien! » Pour qui ne vise pas une carrière d'oenologue ou d'acheteur, un bagage culturel n'a aucune importance. Tout ce qui compte est de réussir à classer ce que l'on boit en deux catégories : J'AIME et J'AIME PAS. Pour le débutant, tout le reste, je dis bien tout, est d'une futilité confondante.

Pas foutu de décrire correctement la robe ? N'a foutre ! Tout ce qui te viens comme idée en reniflant, c'est que « ça sent le vin »? Pas de fausse pudeur ! Aucune idée de comment font les autres pour déceler un arôme de fruit noir, voire de caillou ou de pétrole ? Détends-toi et savoure ! L'incapacité à décrire un vin avec le vocabulaire ad hoc n'est pas un signe manifeste de stupidité, mais la conséquence d'un manque d'informations qui ne viennent qu'avec le temps et l'entraînement. Parallèlement, ce n'est pas parce qu'on se pique de déceler tel ou tel arôme que l'on augmente le plaisir de la dégustation.

Prendre en bouche – laisser les saveurs prendre leur place – glou – faire confiance à ses papilles – décider si on trouve plutôt bon, plutôt quelconque, plutôt décevant. Fin de l'histoire.

Ou tout au contraire : c'est son début, son introduction, l'ouverture d'un opéra qui ne demande qu'à se prolonger indéfiniment, la découverte d'un muscle insoupçonné qui aspire à se développer sans arrêt, sans limite supérieure, sans crampes ni déchirures. Tout ne sera alors question que de répétition, de multiplication des découvertes, avec toujours ce même outil préhistorique et irremplaçable de la subjectivité personnelle : j'aime ? J'y reviendrai. J'aime pas ? J'oublie et je vais voir plus loin.

La crainte du nouveau venu peut être de ne pas percevoir toutes les subtilités de ce qu'on lui offre à goûter. Ne pas connaître, c'est être séduit facilement, même par des produits bas-de-gamme. C'est le problème notamment avec les vins du Nouveau Monde, faits pour être bus facilement. N'oublions pas que l'Amérique est cette partie de l'Occident dont la bière la plus connue se vante sur l'étiquette de sa drinkability ...

On a donc peur de se faire avoir parce que ça descend tout seul et de tomber dans un piège vulgaire. Mais qu'on se dise bien qu'au début, il n'y a pas vraiment d'alternative. Ce qu'il faut, c'est accumuler les expériences, ne pas se cantonner à quelque chose qui nous a plu, toujours être curieux de tester quelque chose d'inconnu. Un pinard particulier vous botte ? Notez-le (je reviendrai sur l'importance capitale de consigner scrupuleusement les impressions de chaque dégustation), constituez-en un stock si vous avez la place, faites-vous plaisir à l'occasion entre potes – et passez à autre chose, que ce soit dans la même région, avec le même cépage, ou sur une appellation qui n'a rien à voir.

En résumé, pas d'excuses : foncez, goûtez tout, posez des questions connes, ce sont toujours les meilleures, et si on vous rit au nez ou qu'on vous la joue snob, vomissez sur la table et notez l'adresse pour ne pas oublier de n'y jamais revenir.

A suivre.