03/07/2008
MOTIVATIONS JIHADISTES
Dixit une analyse, parue il y a bientôt un an, sur les poseurs de bombes autochtones, convertis à l'islamisme explosif.
Ce n’est pas qu’on « connaît encore mal », c’est qu’on ne veut toujours pas comprendre. C’est ça le problème des évidences qui crèvent les yeux : c’est gros comme un camion et ça bouscule tant d’habitudes mentales qu’on a de la peine à leur faire de la place. Se chauffer au sein du Clan et bouffer du Yanqui, vous dites ? Fouteries. Ouvrez grands vos yeux et vos oreilles, scrutateurs fébriles de l’actu : vous pourrez y contempler une fois de plus les effets ravageurs de la famine spirituelle, et du désespoir d’hommes dont leur civilisation n’a plus besoin.
Alors oui, je sais : c'est l'argument-maillet des pro-Palos. Les camps de prisonniers, la pauvreté, l'injustice, pas de respect du Droit à la Carte Visa, und so weiter, comme quoi ça mène au terrorisme, "arme du faible". Si vous êtes convaincus que la simple lecture du Coran rend barjot, autant cliquer sur Retour. Bibi continue à causer de ce qu'il se passe ici et maintenant, en laissant volontiers keffiehs et kippas se bouffer la gueule comme bon leur semble dans leurs oasis.
Vous débarquez, enfant mâle plus ou moins désiré, dans une famille très ordinaire d’Occident, une famille où Papa ne s’investit pas des masses et où Maman est forcée de combler les espaces vides. Votre enfance se déroule dans un calme relatif, avec pour rares repères moraux l’obligation de ne pas faire chier les gens et de ne pas trop vous défendre contre les enculés qui vous pourrissent l’existence (ça pourrait les énerver, et puis il faut les comprendre, ils souffrent). Si vous êtes plutôt du genre à pourrir celle des autres, on vous fait rapidement comprendre que vous avez un gros problème et que le choix est entre la prise quotidienne de Ritaline ou la mise à l’écart de la société.
Durant votre adolescence, vos héros sont d’antiques révolutionnaires depuis longtemps disparus ou des rebelles sponsorisés inoffensifs. Les notions de courage, d’endurance, de virilité, d’honneur, de respect de la parole donnée, sont des choses dont vous entendez souvent parler, mais que jamais vous ne voyez appliquées dans « le monde réel » : le monde des profs, des maîtres d’apprentissage, des recruteurs, des employeurs et des offices de placement. Vos tripes bouillonnent de rage créatrice mais, neuf fois sur dix, elle n’est pas « rentable » ; il vous faut faire le deuil d’une vocation ou celui d’une bonne insertion dans le circuit économique. On vous a appris à être un bon p’tit gars, vous voilà donc en pleine Zone Grise, satisfait de rien ni personne, surtout pas de vous-même.
Ce destin misérable s’applique tant aux Blanchouilles désorientées qu’aux allogènes écartelés entre patrie inconnue et terre d’accueil méprisable.
Les fois où vous n’étiez pas absent, ou bourré, ou shooté, ou les mains pleines des seins de la voisine de table, les cours d’Histoire vous ont laissé des impressions confuses. Le passé du continent est plein d’échos furibards, l’air des cathédrales et des forteresses distille un parfum éventé mais encore ensorcelant malgré les siècles et l’oubli. Derrière ces litanies de dates et de lieux-dits à apprendre pour passer l’année, vous devinez l’ombre des hommes, des foules, des élans irrationnels mobilisant des masses innombrables, des Nations éventrées ou conquérantes. Sacres et régicides. Révolutions et lauriers. Arches de triomphes et monuments aux morts.
Mais il ne reste de tout cela que des vestiges salis, gribouillés, recyclés, profanés. Tout autour de vous, du sordide, du médiocre, du minable. Les éveilleurs des foules leur chantent des berceuses créoles. Les révolutions servent à vendre des bagnoles en leasing. Les étendards qui claquent au vent chantent la gloire des supermarchés et des stations service. Pour toute prière, des chartes d’entreprise. Pour toute noblesse, deux minutes de temps d’antenne. Pour toute charité, des chèques humanitaires. La montagne a accouché d’une souris comptable. Quelle place pour le moine-soldat dans cette basse-cour crépie de guano ?
Parce qu’il en reste encore, des aspirants Croisés, m’sieurs-dames ! Deux siècles de cartésianisme halluciné et d’impérialisme boutiquier n’ont pas encore pu en arracher toutes les racines. Chaque génération amène avec elle sa poignée de mystiques, qui attendent leur ordre de mission, qui se plieront à n’importe quelle discipline pour faire quelque chose de cette flamme intérieure avant qu’elle ne les consume. Et il y en a, hélas ! qui ne bandent qu’à moitié en patrouillant dans des entrepôts, en donnant la chasse aux tagueurs ou en militant pour l’abaissement de l’âge de la retraite. Ils ont besoin d’une ivresse plus grande, de défis plus absurdes, d’un Ordre plus exigeant. Mais il n’y a rien pour eux dans notre Wall-Mart mondial. Ceux qui ne veulent pas en protéger les rayons ni en nettoyer les chiottes sont priés d’en sortir et de crever discrètement.
Des années passent ainsi, dans un brouillard poisseux, à danser mollement au fin bord d’un abîme spirituel horrifiant. Plats préparés, Droits Humains et Plan de carrière. Voilà votre quotidien, semaine après semaine, pimenté ça et là de bastons d’ivrognes, de plans-culs misérables, de pics d’ennui qui fissurent l’âme en silence et la saignent lentement. Ne pas parler trop fort. Ne pas avoir d’avis trop tranché. Ne pas froisser la sensibilité d’autrui. Suivre l’avis de bobonne, plus douée en calcul que vous. Se faire à tout ce qui nous répugne, parce que c’est la vie, parce que le Marché fonctionne comme ça, parce que ces factures ne vont pas se payer toutes seules, parce que tout le monde pense que votre crise d’adolescence s’est assez prolongée comme ça.
Aménager son tiroir de morgue aussi confortablement que possible, en se disant qu’après tout, ce n’est pas si mal et qu’il y a presque de la place pour un mouflets ou deux, au fond, près de la poignée.
Et c’est alors que s’ouvre dans votre vie inepte une porte de sortie lumineuse, inespérée, incompréhensible. Elle mène vers un monde où la notion de Sacrifice n’est raillée par personne, où le Combat est un devoir autant qu’une grâce, où la vaillance, la virilité forcenée et la persévérance contre l’hostilité de tous ne sont pas des symptômes de désinsertion sociale.
Voilà qu’on vous explique que cette rage qui vous habite a un sens que vous-même ignoriez. Voilà qu’on vous offre l’occasion de prendre votre revanche sur le Grand Hospice Occidental, si impatient de vous voir rentrer dans le rang ou disparaître. Voilà qu’on vous incite à participer à une nouvelle Guerre Sainte, pour un Dieu qui n’a rien à foutre de tendre la joue gauche et d’aimer ses ennemis. Voilà qu’on vous propose un uniforme que ne déshonore aucune compromission avec des civils méprisants, ni aucune fiche de paie dérisoire, ni aucune entrave idéologique empêchant d’écraser la racaille.
Voilà qu’on vous permet, en un mot, de reconquérir votre dignité de Guerrier au chômage technique et moral. Et il faudrait qu’on refuse de comprendre les motivations d’un tel passage à l’acte, si barbare et aveuglément destructeur qu’il soit. Pas étonnant que les droitards les plus décomplexés aient sauté sur le discours sécuritaire – ça leur offre un prétexte en or pour répondre « Salauds de pauvres ! » aux gôchisses qui leur bassinent du « Salauds de riches ! » depuis des lustres.
Les pauvres, en l’occurrence, sont ces hommes paumés, obsolètes, à qui l’on claque quotidiennement la gueule parce qu’ils ne s’imaginent pas un avenir de vigile ou de Citoyen-Délateur. Misère affective, misère familiale, misère spirituelle, autant de privations secrètes et intégralement méprisées par nos Maîtres à-ne-pas-penser qui font flirter les individus fragiles avec leurs ultimes limites. Chacun d’entre eux trouve sa « solution de continuité », sa rupture salvatrice, pour encaisser les pressions tacites de la Machine à formater les peuples. Le suicide pour certains. La prédation économique pour d’autres, qui deviendront les salauds de demain, icônes modernes, Canonisation assurée le jour où le Vatican sera coté en bourse (ce qui ne saurait tarder, si l’on considère ceci) .
La Nature humaine n’a pas horreur du vide - elle en crève, ni plus ni moins. Et c’est bien le vide spirituel et moral qui caractérise l’Occident, bien plus que son développement technique ou son obsession de remplir les maternités de petits hybrides. C’est cette carence dramatique qui fait exploser le recrutement des jihadistes les plus orthodoxes, que ce soit en terre d’Islam rongée par la décadence occidentale ou au cœur même de notre tumeur civilisationnelle. C’est aussi elle qui passionne tant d’intellos vermoulus pour les sectes les plus idiotes (l’Ordre du Temple Solaire n’était pas vraiment un club pour attardés) ou tant de bobos pour la Kabbale light ou le bouddhisme New Age.
Gueulez tant que vous voudrez, hystéros de l’anti-coranisme à toute berzingue : ce n’est pas le « terrorisme » hallal qui bousille l’Europe à coups d’une bombe tous les semestres, c’est notre propre carence en obscurantisme librement assumé, cette cruauté nécessaire dont personne ne parlera jamais mieux que Raspail.
Ce ne sont pas les poseurs de bombe qui sont fous de haine, ce sont leurs cibles qui ne le sont pas assez.
13:35 Publié dans La Zone Grise | Lien permanent | Commentaires (12)
Commentaires
"Parce qu’il en reste encore, des aspirants Croisés, m’sieurs-dames !"
Z'avez pas le panneau? C'est fini! On embauche plus! L'entreprise a fait faillite après avoir été vendue par les héritiers!
Écrit par : snake | 03/07/2008
Difficile de ne pas ressentir très profondément ce que vous dites. Mais ça vous retourne l'âme qu'on ne vous laise QUE la haine. Elle n'est qu'une face de la pièce. On peut détruire avec, mais pas construire (oh les belles évidences!). Ce qu'il y a d'atroce, c'est qu'on ne nous laisse rien à construire. Nous sommes aimantés par ce que nous méprisons, puisqu'il s'agit encore, en le haïssant, de penser par rapport à ce qui est exécré.
Il n'y a plus, pour un bon moment, de réponse qu' au plan individuel; peut-être une fuite. Ou une lucidité supérieure. (mouais... sagesse populaire : l'espoir fait vivre. Et donc le désespoir ... )
Belle description de dame désilusion et de son frère morne fureur, en tous cas.
Écrit par : Restif | 03/07/2008
PS je ne parle pas pour le djhadiste évidemment (chez eux on embauche encore ).
Écrit par : Restif | 03/07/2008
Excellent.
Écrit par : SK | 03/07/2008
C'est fort.
Écrit par : Hank | 04/07/2008
wow !
Vous êtes très bon et votre texte est très fort
(et vous pouvez intervertir les termes)
Écrit par : cfhgdt | 04/07/2008
Excellent. A quand un livre ?
Écrit par : Naufana | 04/07/2008
@ la foule en furie : http://img355.imageshack.us/my.php?image=marcibokouel9.jpg
@ nauf' : quand je serai foutu de terminer les choses que je commence... et pis après, quand quelqu'un qui a du fric à perdre dans l'édition y jetera un oeil... On a donc de la marge...
Écrit par : Stag | 04/07/2008
Il y a une belle rage de frustré ( malheureusement ! ) dans cet article.
Je pense que ceux qui veulent du sang, l'honneur, la justice, la vérité etc ... se sont trompés d'époque en naissant.
Dommage qu'il n'y ait pas un mouvement spontané de destruction totale, complètement aléatoire.
Un coup de violence pure ( l'action pure accompagné du détachement absolue comme dirait Evola ) qui mettrait ce pays à genou - et probablement d'autres car ça serait en toute probabilité imité.
Tout ça, histoire de se marrer un coup ...
Bon je déconne là à mon grand regret.
Agni ( http://chezleboreen.over-blog.com )
Écrit par : Agni | 04/07/2008
Avez vous des nouvelles de LBDD ? Disparu.
Écrit par : SK | 05/07/2008
Selon moi, LBDD c'est terminé. Envie de passer à autre chose. Commenter quotidiennement la débâcle du monde du monde finit par donner la nausée.
Écrit par : Sébastien | 05/07/2008
Monsieur Stag,
Je dis monsieur Bouli! Non vraiment de ous ceux dont je me souviens, il me semble que je viens de lire votre meilleur texte. Pour le moment. Ah bordel écrivez! Commencez, finissez, ce sera infiniment décevant par rapport à ce qui vous aura caressé l'âme au commencement. Mais ce sera une OPA enragée sur la prochaine tentative, et ainsi de suite...
Enfin continuez vraiment. Bien sûr c'est facile à dire lorsque l'on prend le spectacle du monde par l'autre bout (Restif dit-il autre chose).
Enfin merci Stag.
A bientôt.
Tang, affreux optimiste des profondeurs mystiques,
Écrit par : Tang | 07/07/2008
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