12/09/2008
NEAR DEATH POETRY
Un correspondant anonyme, à lire mes insanités dans un coin discret du ouaibe, me demande si j'ai encore des potes ou si je vis "comme Elysée Reclus." Un autre, beaucoup plus sceptique, estime que je suis, respectivement, "un misanthrope de carnaval, un vomisseur à temps partiel et un nihiliste en RTT." Petit exercice d'autodissection indécente.
Quand tu vois ce qu'un Costes, un G.G. Allen ou un Iggy Pop de la grande époque peuvent faire sur scène, tu te dis que c'est une forme de testament écrit en direct, à coups de rasoir dans la chair. Que ce n'est pas possible de continuer à vivre après ça. Que l'amour propre et l'instinct de conservation en prennent vraiment trop plein la gueule pour qu'une résilience soit techniquement concevable. Et puis non. Ils sont toujours là. Ils vivent, ils sortent, ils parlent aux gens, ils ont mêmes des potes et des plans-cul durables.
Ce blog c'est un peu pareil. La différence c'est que ça n'est pas un exutoire. Rien de ce qui y est publié ne soulage. On se relève la nuit, des couteaux plein le ventre, du bruit blanc entre les oreilles, on en distille une partie par clavier interposé, on arrange le tout de manière acceptable selon les canons en vigueur en Occident (d'un point de vue stylistique s'entend), on appuie sur "Publier maintenant", et on retourne se coucher. Les lames et le brouillage sont toujours là. L'épuisement ne cède toujours pas son siège au sommeil. Mais on a la sensation d'avoir utilisé ce fumier pour faire pousser quelque chose, quitte à ne cultiver que des ronces et des buissons de belladones : pas mangeable mais décoratif.
Par épuisement autant que par vanité, j'aurais tendance à dire que c'est " déjà pas mal ". Ni suffisant, ni utile, ni beau - juste pas mal.
Pas suffisant parce que face au torrent de hideur qu'est devenu notre quotidien, écrire n'est rien. C'est détruire qu'il faudrait, décimer, incendier, appliquer enfin concrètement cette terreur dont nous bassine le gendarme mondial, être à la hauteur de l'épouvantail benladenesque qu'il agite en n'y croyant pas une seconde. Mais bon, ce n'est pas donné à tout le monde. Une formation d'assassin et d'artificier, ça commence tôt, à un âge où la plupart d'entre nous croyait encore suffisant de distribuer des tracts ou de porter des t-shirts à slogans. Trop tard. Fait chier. Tant pis.
Pas utile parce que ça ne fait que rajouter de la fange dans un monde qui barbote déjà bien assez dans la vase. La différence avec les Boniches de notre grisaille est minuscule. Ils salopent au nom du Progrès, en croyant sincèrement faire du beau avec du laid. Moi je ne dégueulasse que dans l'espoir d'arracher un lambeau de ce masque.
Pas beau, enfin, parce que créer de la beauté suppose qu'on conserve en soi des réserves insoupçonnées d'énergie vitale. Un artiste au sens noble du terme est un catalyseur, une dynamo humaine capable de transformer de la force brute en énergie positive et édifiante, un démiurge avec les épaules et les reins assez robustes pour combattre activement la laideur et le pourrissement. Je n'ai pas cette carrure-là. Et puis je n'y crois pas une seconde non plus, soyons francs. Repousser le laid avec le beau, c'est le même principe que la non-violence pour renverser l'oppression ; ça peut fonctionner avec un pouvoir le cul posé sur des baïonnettes. Les ordures qui nous cornaquent ont une assise autrement plus stable puisqu'ils rentabilisent l'apathie et la crasse, et surtout parce qu'ils ont la meilleure conscience du monde. Ils sont du côté du Bien. La Vie prime tout pour eux, l'existence la plus stupide vaut mieux à leurs yeux qu'une mort digne.
Tout occupés qu'ils sont à épurer l'Europe de ses habitants et à augmenter le rendement de l'avortement, pas un instant ils ne se laissent aller à gueuler Viva la Muerte ! C'est une invocation qui n'appartient qu'à nous autres, présumés défenseur de la vie et de la force qui la soutient. Allez comprendre.
22:45 Publié dans Marées Noires | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Je ne vois pas pourquoi, parce que la France agonise, on devrait accepter de périr sous les décombres. Rien n'oblige non plus à se complaire dans le rôle du looser. Nous ne sommes pas les premiers à évoluer dans un monde en ruines, un monde dont tous les référents s'évanouissent... En tout cas, le Viva la muerte n'est pas mon cri. Et si je souhaite à ceux qui aspirent au trépas collectif tous les malheurs possibles, je n'en conserve pas moins un appétit de vivre que je n'hésite pas à transmettre à une ribambelle d'enfants.
Écrit par : Ivane | 14/09/2008
"Viva la muerte", c'est justement le plus criant des appels à vivre intensément ...
Écrit par : Le Bâtard | 14/09/2008
Non Jef t'es pas tout seul
(...)
Allez viens Jef viens viens
Viens il me reste trois sous
On va aller se les boire
Chez la mère Françoise
Viens il me reste trois sous
Et si c'est pas assez
Ben il me restera l'ardoise
Puis on ira manger
Des moules et puis des frites
Des frites et puis des moules
Et du vin de Moselle
Et si t'es encore triste
On ira voir les filles
Chez la madame Andrée
Paraît qu'y en a de nouvelles
On rechantera comme avant
On sera bien tous les deux
Comme quand on était jeune
Comme quand c'était le temps
Que j'avais de l'argent
Bien à toi Stag...
Regarde les belles mirettes des mômes... c'est la vie Stag... c'est la vie.
Écrit par : Ns | 15/09/2008
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