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09/10/2008

COEUR D'ARTICHAUT

Pieta.jpg

 

Prendre le train, tôt mais pas trop, pour rejoindre le bouche-trou salarié du moment. La faune du départ est bien moins pire que celle de l'arrivée. Ca ne dispense pas de quelques mesures d'isolement. La visière au ras des yeux. Les pompes à coque cirées brillant. La barbe hirsute. Et l'inévitable baladeur empétroua vissé aux portouguaiches. Pour l'ambiance festive de ce matin, qui va devenir de plus en plus glauque à mesure que je me rapproche de l'arrivée, j'ai opté pour Deadlight, de Before The Dawn, un espèce de machin genre blackcore semi-mélodique qui broie sa race. Le seuil de la douleur est encore loin mais le volume est suffisant pour ne rien entendre d'autre.

Bien entendu, le ouagon est plein. Pas question de se choisir une double banquette en solo. J'opte pour la première moitié qui se présente. Ce qui est assis en face semble femelle, je regarde à peine. Une étincelle de raffinement chevaleresque me pousserait à ôter casquette et écouteurs pour saluer, mais je passe outre. Le train démarre, et le paysage aussi, comme ont pu le chanter les incontournables Nonnes Troppo, successeuRES des non moins indispensables V.R.P.

Au bout d'un moment, je me laisse distraire des brumes funéraires qui enrobent les champs que nous traversons pour laisser errer mes yeux sur la passagère. A la réflexion, c'est parfaitement délicieux. Blond, cheveux plus ou moins court, physique agréablement ordinaire, dégaine simple, petites loches qui lorgnent discrètement hors d'un chemisier quelconque. Ce qui frappe surtout, c'est cette expression de douceur exquise. Elle me rappelle une ex. Il y a de la Madonne post-pubère en elle, une sérénité sensuelle qui rayonne et qui coupe le souffle.

Elle a l'air encore plus raide que moi, en ce petit matin humide. Elle a retiré ses lunettes, roulé sa veste en boule et s'en sert comme d'un oreiller, se pressant contre la paroi pour un semblant de sommeil. Ce n'est pas un canon, pas une icône porno, juste une donzelle des environs d'une incomparable suavité. Elle donne envie de se lover contre elle dans un immense et suicidaire élan de régression infantile. Dans un monde où Dieu existerait, elle serait une Mère idéale. Si la planète n'était pas le rectum du cosmos, tout prédateur s'approchant d'elle tomberait en poussière de cendres et elle serait physiquement incapable d'un coup de pute, d'une trahison, d'une bassesse. Les gens qui dorment sont assez laids. Elle, c'est une Joconde contemporaine. Je fais des efforts athlétiques pour ne pas la mâter trop souvent, des fois qu'elle se réveille.

Or elle se réveille, justement. Refout ses bézicles. Se penche vers moi. Semble me causer. J'arrache mes écouteurs avec autant de flegme que possible.

"Monsieur, est-ce que vous pourriez mettre votre musique moins fort, s'il vous plaît ? Ca serait gentil."

Un sourire, putain ! En mégatonnes, c'est même pas calculable. Elle était déjà belle en roupillant, quand elle vous cause c'est surnaturel. Je présente mes excuses et baisse le volume. Elle se réinstalle, divine au possible, referme les yeux, c'est à nouveau un tableau de maître, un extrait de Renaissance qui flotte devant moi avec une tendre insolence.

Court instant de grâce absolue. Plusieurs siècles d'amour courtois me traversent les entrailles en quelques minutes. Si j'étais célibataire, il y aurait de quoi se flinguer immédiatement, dans l'espoir d'entrevoir encore cet émail scintillant à travers la déchirure de ses lèvres. Cette conne-là arrive jusqu'à rendre dérisoire la moindre pensée graveleuse.

Vu ce que j'écoute, le faible volume, ça le fait pas. Et puis après cette oeillade, du boucan bourrin semble déplacé. Il va falloir zapper. Pourquoi pas Playing the angel, tiens ? En plus, l'ex qu'elle évoque adore Depeche Mode. Elle est déjà loin dans ses rêveries. Cette B.O. lui va à ravir.

When I feel the warmth
Of your very soul
I forget I'm cold
And crying
When your lips touch mine
And I lose control
I forget I'm old
And dying

Commentaires

quel poète, j'adore !

En plus, vous avez des éditeurs incroyables en Suisse

http://www.youtube.com/watch?v=xA2SJq9m15A

Écrit par : Bernard | 10/10/2008

"En plus, vous avez des éditeurs incroyables en Suisse"

J'ai entendu ça à la radio d'Etat ce matin. Du coup, la journée a bien commencé. Mais tout de même pas aussi bien que celle de Stag. ;)

Écrit par : Naufana | 10/10/2008

Bosser te donne de l'entrain petit galopin. Ta voracité scopique, balayant impitoyablement la griserie du matin tout en anticipant la moyenne statistique de tirage de gueules, est enfin sortie de ses rails pour s'arrêter sur... une jeune fille en fleur.

Oh bien sûr, tu as beau être surpris (et même attendri), tu nous rassures vite sur le fait que tu n'idéalises en rien la demoiselle, le recours à l'effet de contraste dans ta manie de croquer ce qui t'environne se révèle ici inefficace, d'où le recours à des représentations artistiques : comment rendre cette présence inattendue auquelle se mêle une aura poétique, un je-ne-sais-quoi ?

A te voir couper ta musique de doux dingue pour bercer tes portugaises, on pourrait presque croire que ces courts et heureux moments d'illuminations ne sont finalement qu'un état spécial du système nerveux, une excitation d'un type inconnu, que la chimie des drogues de synthèse n'arrive toujours pas encore à maîtriser. En effet la surprise n'a ni commencement ni fin, et en cela elle ressemble à l'art vivant car elle est là où ne l'attend pas, et si on la dit parfois divine c'est bien parce qu'elle se détache sur un fond de désespérance.

Car cette jeunette, plus ou moins abandonnée langoureusement dans les bras de Morpheus et objet de fascination, est bel et bien une apparition au sens religieux du terme. Entre la Vierge, incarnation du féminin, et la fille en pleine grâce existe une affinité secrète. Questionner l'au-delà de la femme c'est un peu tourner autour du mystère de la différence sexuelle, et cela renvoie par là aussi à soi, conjurant secrètement une angoisse du "hors-sexe" (angoisse qu'on retrouve par ex. dans ce mot d'esprit d'un débauché malheureux présentant l'abstinence comme la forme la plus sublime de perversion).

La belette te donne même un instant - pour un instant seulement - le goût du bonheur, celui qu'on a envie de faire grandir en construisant une vie de couple, celui dont même l'inconciliable Bardamu, qui se croit trop banal pour désenchanter à mal, goûte à la (saine) tentation. Les lili marlène sont d'autant plus lointaines qu'elles conjurent le sentiment d'un manque...

Ceux qui diraient que ces cristallisations passagères sont aussi bonnes pour le moral qu'un vieux rhum négligeraient un peu vite que le moment de perte (de soi dans l'autre contemplé) nous met quelque part devant l'essence paradoxale de l'amour. En même temps cultiver un destin mélancolique révèle bien vite le caractère foncièrement narcissique de cet attachement amoureux qui te transit (et c'est là ce qui le sépare de l'extase mystique qui féconde le monde selon sa vive intériorité).

Mais peut-être pourrait-on rapprocher ce pur amour (transitoire) et cette part de désir d'éternité qui cheville l'écriture : temps perdu sur la vie, temps retrouvé pour la jouissance...

Fais toi beau, rase toi, et qui sait ? Tu la recroiseras peut-être ? Et cette fois là lui rendre un beau sourire ? Dis lui que l'espace de sa sieste tu avais rêvé de ta vie avec elle. Un peu comme dans le film "La vie devant les yeux"... La chute te plaira...

Écrit par : Ducky Duke | 18/10/2008

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