25/07/2009
WANDER LUST
Do you still walk the streets at night?
With the wandlust you fight
Back to the corner where we went our
seperate ways
Flogging Molly
Il n'est pas tard, mais chacun semble avoir sommeil, beaucoup ont quelques centaines de kilomètres dans les pattes. Payer l'addition, sécher les verres, se saluer. Je rejoins ma bécane, m'équipe, me mets en route. Le trajet pourrait être court mais il faudrait pour cela une certaine envie de retrouver les pénates, qui à ce moment fait défaut. Rester sur place et enchaîner les tournées d'absolument n'importe quoi, voilà la seule solution de continuité acceptable, rejetée par le départ de chacun.
Je pourrais continuer ailleurs mais je sens déjà que, quel que soit l'endroit et quoi que j'y commande, tout sera inadéquat, comme hors de propos, lassant avant même de commencer. Et puis, sur le chemin, quelle adresse est-ce que je connais vraiment ? Une solution serait de passer à l'appart, d'embarquer des munitions et d'aller les liquider dans un coin à l'abri du vent - et pourquoi pas embarquer de quoi faire du feu, aussi, tiens ? Le soufflé retombe à peine sorti du four : pas l'énergie. Pour faire quelque chose ou ne rien faire du tout. Pas le choix : il faut continuer à rouler. Je dépasse mon bled en n'en prenant conscience que trop tard, de toute manière.
La route est vide. Le soleil, disparu depuis deux heures, décore encore les sommets d'un ravissant halo bleu néon. De gros insectes croisent parfois ma trajectoire comme des balles traçantes saoules. C'est à peine si j'entends encore le bruit du moteur. Au moment de partir, sur la terrasse, il faisait presque trop frais ; en selle, veste fermée, c'est encore juste agréable. Ca remet les idées en place. Passe un village, puis un autre. Pas évident de se maintenir en-dessous de 100, je ne sais pas trop pourquoi je cherche à le faire d'ailleurs, ce coin-là ne m'a jamais semblé très fliqué. Je tente quelques longueurs toutes lumières coupées, mais il ne fait pas assez clair ; la lune dessine un croissant qui semble immense mais encore trop maigre. Inutile d'en faire des tonnes dans le genre, non plus. Rallumer, adopter une vitesse régulière. Je rote un mélange d'huile pimentée, de café et de grappa - servie glacée, détail remarquable. Je dois avoir le foie qui fatigue.
Je me souviens d'un temps, pas si éloigné, où c'est à pinces que je sacrifiais à l'obligation d'endormir ce mal nocturne particulier, arraché du plumard par un élan plus impérieux que l'insomnie ordinaire. Cette garce-là se contente, et c'est déjà suffisant, de te faire jouer à la broche humaine, en trempant méthodiquement chaque recoin de draps, en patientant le temps que s'étouffe le bourdonnement d'entre les tympans. Rien à voir avec cet appel de la nuit, qui exige que tu viennes lui rendre visite sans n'avoir rien à lui dire. Je trinquais avec elle au whisky, en général, dans la lumière orange des lampadaires, écrivant parfois à la craie sur le bitume aux heures où l'on pouvait se coucher sans crainte en travers de la route. Ca pouvait durer des heures, avec le privilège de rentrer à la fois vidé et comblé. Et puis ça n'a plus suffi. Le passage à l'acte seul apportait une certaine satisfaction : une fois dehors, pas plus de sérénité. La nuit devenait aussi étroite que la piaule. Ce soir, c'est un peu pareil, sauf qu'il est encore possible de s'enivrer de vitesse. Une entrée d'autoroute se présente justement.
Ce n'est pas que je traîne, mais un sale con me talonne sur la voie d'accélération. Je suis à peine à 120 que ce rectum en 4X4 me dépasse, bien à 160. Je le laisse tracer. Il y a du monde, ce qui force à se concentrer un peu. Slalomer entre les pas pressés, dégager la voie pour ceux qui sont à la bourre. Ne pas louper la bonne sortie. L'air hurle dans le casque en tonalités suraiguës. Encore deux minutes et nous serons en un lieu qui, désormais, constitue le point d'arrivée et de départ de toute journée ordinaire. Est-ce parce que c'est encore trop neuf que je ne veux pas y rentrer ? L'odeur de peinture, en tous cas, s'est atténuée, ou alors je ne la sens plus. Un effort, putain : parquer la bête, trouver la serrure dans le noir, fermer derrière soi. Ici non plus, rien de ce que je pourrais me servir ne m'inspire. C'est pourtant pas la variété qui manque. Un truc très frais, pas trop sucré, ni trop lourd, voilà qui ferait l'affaire. Si j'avais su que je rentrerais dans de telles dispositions, j'aurais foutu la bouteille de gentiane au frigo, ou j'aurais fait des glaçons pour n'importe quel cocktail, il me reste justement du citron vert. Tant pis, ça sera du thé.
Sur fond de silence : soufflerie du pécé, vibration des tuyaux dans les murs, tremblements épileptiques du frigo, va-et-vient des locataires dans les couloirs, et ce scintillement continu, acidulé, qui vient combler ces vides qui suivent abruptement les longues périodes de boucan. Toujours pas installé de quoi écouter décemment de la musique ; les sons qui sortent de cette machine sont atroces, pas de basses, pas de mediums, tout zozote et grince comme un transistor dans un bunker, Antimatter ou Disfear sonnent presque pareil.
Aucune chance de roupiller avant des plombes. La bonne nouvelle, c'est que je n'ai plus la bougeotte. Il sera peut-être possible d'aller se tuer la tête et les yeux devant la téloche. En fin de compte, c'est par ça qu'il aurait fallu commencer.
23:25 Publié dans Marées Noires | Lien permanent | Commentaires (11)
Commentaires
Toujours aussi bon ce blog, l'envie me prend de picoler en votre compagnie. Je rêve bien sûr.
Écrit par : Le Fumier à Barbe | 27/07/2009
Tu chevauches quoi exactement ?
Écrit par : Le Bâtard | 27/07/2009
"...Antimatter ou Disfear sonnent presque pareil."
Ah oui, quand même!
Écrit par : Benway | 28/07/2009
"...Antimatter ou Disfear sonnent presque pareil."
T'es sûr que tu n'as pas plutôt du plâtre dans les oreilles ou que tu pars en couille?
Si même la bécane ne te fait plus rien....
Écrit par : Olipien | 29/07/2009
@ Fumier : c'est sûr que Melbourne, ça fait une trotte, même en gros cube... Si par contre un jour vous êtes à portée de guidon de mes terres lémaniques, allez savoir...
@ Bâtard : une fort sympathique 650 bavaroise, une occase en or mais parfois capricieuse - enfin comme toutes les bécanes.
@ Olipien : il n'est pas garanti que je ne sois pas en train de méchamment déraper, c'est sûr. Mais 1) pas plus que d'habitude depuis un quart de siècle 2) sur ce pécé de secours, le son est VRAIMENT dégueulasse.
Écrit par : Stag | 02/08/2009
Salut Stag,
Ca faisait une paye. Ca se lit très bien, j'aime beaucoup ceci:
"Rien à voir avec cet appel de la nuit, qui exige que tu viennes lui rendre visite sans n'avoir rien à lui dire."
Je vois la chose, plus ou moins même si je ne suis pas du tout si profond dans la désespérance.
Bonne soirée en tout cas,
Tanguy
Écrit par : tanguy | 02/08/2009
Une telle paye que j'ai considéré l'idée de ne plus jamais pondre la moindre ligne. Et puis, miracle de la onzième heure, je retrouve un accès au net et avec lui la possibilité de me divertir en bavardages insanes et rebâchage d'évidences incapacitantes. Merci pour la visite.
Écrit par : Stag | 03/08/2009
Ah ah... Allez savoir, votre désillusion m'enchante, me fait rire et m'angoisse à la fois.
A bientôt Stag.
Écrit par : tanguy | 03/08/2009
Dites, vous devriez déménager plus souvent. C'est que ça vous réussit bien. Pour cause d'esclavage patronal je n'ai pas pu venir depuis votre retour. Alors je viens de m'envoyer vos dix derniers billets. Encore plus excellents, poilants et désespérants (oui, oui, tout ça ensemble et c'est un compliment) que d'habitude il me semble. A moi non plus ça ne me déplairait pas, de partager quelques verres...
Écrit par : Naufanette | 15/08/2009
@ Nauf' : grassiasse moutcho. Et puis, comme disait l'autre, Yes We Can, question d'organisation.
Écrit par : Stag | 16/08/2009
Jawohl. Ca devrait aller pour l'organisation. Je suis moins loin que Melbourne... ;)
Écrit par : Naufana | 19/08/2009
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