20/02/2010
DANSER AU SON DES BRUITS DE BOUCHE
Le monde politique et médiatique a adopté le langage de l’hypermarché. On peut parler de droits ou de la liberté comme on parle – exemple parmi des centaines d’autres – d’ œufs frais :
« Les œufs sont dits «extra-frais» pendant 9 jours à partir de la date de ponte. »
Un : ce simple suffixe devrait déjà sonner comme une alarme aux oreilles un peu saines. Extra-frais ? Et pourquoi pas extra-comestible ? Un cadavre passé au hachoir, il devient extra-mort ? Le fait d’être leucoderme et ouaciste, ça me rend extra-Blanc ?
Deux : Je ne sais pas pour vous, mais ma conception de la fraîcheur s’arrête à 24 heures. Après plus d’une semaine, plus rien de ce qui se boit ou mange ne me paraît « frais. » Ce n’est pas que ça me pose un problème : des pâtes qui se conservent longtemps ou un fromage qui a explosé sa date limite de conso officielle, ça passe tout seul. C’est juste que je n’aime pas qu’on me raconte des conneries pour faciliter-l’acte-d’achat. Oui, je suis assez mal barré par les temps qui courent.
Tel produit trafiqué ? On aura le droit de le présenter comme « pur » jusqu’à 10% d’impuretés ajoutées. Une toquante dont toutes les pièces sortent de camps de travail chinetoque ? Tu peux coller « Swiss made » dessus si un frontalier a passé une journée à l’assembler en territoire helvète. Und so weiter. Même plus besoin de jouer sur les mots, il a suffi de faire passer des lois et des règlements qui autorisent les épiciers à leur donner chaque jour un sens nouveau.
Pourquoi foutre s’échinerait-on à utiliser des mots qui ne décrivent pas la réalité ? Parce que l’on sait que Monsieur Moyen, lui, s’attend à ce que la forme reflète le fond, plus ou moins fidèlement. Il veut que, quand on lui propose de la bière, on ne lui fourgue pas une panachée. Il veut que le contrat qu’il passe avec le marché ou l’Etat soit respecté par l’autre partie. Et c’est ainsi qu’il se fait baiser de toute éternité, et encore plus profondément de nos jours que jamais auparavant dans l’histoire connue. Symbole par excellence de cette arnaque planétaire : le label « bio ». Monsieur Moyen veut y voir la marque d’un produit naturel, sans produits chimiques, de chez un artisan respectueux du cycle des saisons ; ce qu’il achète, c’est juste du haut-de-gamme industriel, dont le fabricant na gagné le droit au prestigieux label qu’en respectant un cahier des charges adapté au rythme inhumain de la production de masse.
Avec ces banalités en tête, on voit un peu plus clairement le chemin qu’a pris la civilisation pour en arriver à notre situation : un monde où domine la paperasse, et donc l’écrit, mais où les mots n’ont plus de sens et ne sont plus reliés à aucune réalité fixe et tangible. Nos voisins d’ex-France ont eu un nouvel exemple de distorsion assumée des mots et de leur sens avec la dernière loi proposée par leur gouvernement : on cause plus de vidéosurveillance, mais de vidéoprotection.
Vous ne voulez pas avoir un microscope dans le cul ? C’est bien naturel ! Mais vous n’allez pas refuser qu’on vous mette à l’abri des singes à capuche, quand même ? Tous les balancer à la mer ? Vous n’y pensez pas ! Regarde bien leur code-barre : c’est bien écrit Made In France ! Vous avez une dent contre vos compatriotes et vos semblables ? Si, Monsieur, c’est du ouacisme, vous n’avez pas lu l’addendum de la dernière circulaire du sous-secrétariat à la gestion du bétail citoyen ? Et vous en êtes fier en plus ?!
Tout dire et son contraire, tout promettre sans jamais rien tenir ni payer pour haute trahison flagrante , en récidivant jusqu'à plus soif, voilà la liberté absolue, la marge de manœuvre sans fin du pouvoir parce que la langue qu’il parle n’a aucun sens. Les sons qu’il couine copient ceux qu’émettent les humains pour communiquer ou interagir, mais ils visent à polluer toute conversation et prévenir toute action collective qui n’a pas son visa ministériel. Derrière le brouillage, les débats truqués, les bisbilles soigneusement mises en scène entre faux ennemis qui fréquentent les mêmes partouzes, c'est la même armée de bureaucrates et de clônes, dont l'unique mission est de garantir que le gavage des masses se poursuive dans la bonne humeur.
Notre Policeman préféré a expliqué très bien tout ça en une seule image.
10:41 Publié dans La Zone Grise | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Très bonne comparaison qui me porte à me poser cette question: quand vous acheté ou possédez (de force) ces produits (oeufs giga-frais ou fraises bio), vous préférez vous acharner hystériquement sur le paquet en espérant que le commerçant / fabriquant va changer de méthode ou que le produit va se changer tout seul (magique!) ou vous préférez allez toucher deux mots aux personnes en question?
To buy or not to buy?
Écrit par : Sébastien | 21/02/2010
Pour les oeufs et les légumes, on peut toujours trouver une ferme dans un rayon de quelques bornes Mais ça ne règle la question qu'au niveau de la seule consommation personnelle, ce qui revient à se retenir dans une salle où tout le monde pète à grand bruit.
De toute manière, la question se pose à tous les niveaux : à quoi bon cultiver ses propres patates si on est coincé dans un job fictif, entouré de faux amis, dirigé par des gens moitié fous ou incompétents, surgavé d'intox, harcelé par le porno, tenu en laisse par des créanciers dont on ne connaît pas le visage... - bref, si l'on vit dans un monde où absolument tout est faux ou falsifié ? Ca n'est plus qu'une posture moraliste, une manucure pour clodo de bidonville. C'est du niveau du Cercle de Silence ou de la flashmob : ça flatte l'égo sans rien changer du tout.
Consommer "différemment" est grotesque. "Ne plus" consommer est techniquement impossible si l'on n'a pas sa propre ferme et des ressources d'énergies autonomes. Et encore ! il faudra bien dégager assez de fric pour les assurances et les impôts, auxquels on a une chance d'échapper que si on se fait nomade... C'est peut-être bien ce qui nous attend si l'on espère aller jusqu'au bout d'une certaine logique dissidente : devenir des gitans blancs toujours en mouvement... Pour un patriote qui veut des gamins, c'est une perspective assez insoutenable. Il en découle que notre seul vrai choix est entre avaler des kilomètres de couleuvres en espérant être un père acceptable, ou renoncer à toute lignée pour se lancer dans l'action directe suicidaire et nihiliste.
Pas sûr d'avoir répondu à votre question.
Écrit par : Stag | 21/02/2010
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