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21/10/2012

ITINERAIRE D'UN PARFAIT SALAUD - Souvenirs non ouacistes, vol.3

Adolescence. Nouveau déménagement. Nouveau collège. Assez stupidement, je me suis battu pour pouvoir terminer ma scolarité obligatoire dans l'ancien, à des dizaines de bornes, où je n'ai aucun ami et où je suis fâché avec pas mal de profs. Persévérance dans l'erreur et l'ennui, va comprendre.

Dans le train, j'écoute la radio pour suivre en direct la première guerre du Golfe. La chose me fascine. L'histoire est simple, assez belle : une grande dictature envahit un petit pays voisin, qu'on imagine sympathique puisque petit. Les Américains, qui sauvent la paix dans le monde depuis un demi-siècle et ont donc l'habitude, interviennent. La grande dictature s'en prend plein la face. La télé diffuse des images en vision nocturnes, noires et vertes fluos. Des colonnes de fumées opaques s'élèvent des puits de pétrole en flammes. Tout ça est très esthétique. Iron Maiden compose Afraid to shoot strangers sur le thème.

Des histoires horrifiques circulent. L'Irak est un pays foutrement dangereux, Saddam un putain de cinglé génocidaire. Il va, par exemple, balancer du gaz asphyxiant sur l'Europe, un beau gaz bien vert et bien visible. Ceux qui n'en claqueront pas mettont leur masque, et là paf ! ce salaud rajoute un gaz vomitif inodore et incolore : les survivants crèveront dans leur gerbe. Terreur. Le petit supermarché de la plus grosse bourgade est pris d'assaut, les gens stockent du sucre et de la farine. C'est la guerre jusque dans la cambrousse vaudoise. De l'autre côté de la flaque, l'Amérique aussi est en état de siège. Poison Idea annule sa tournée par trouille des détournements ou destruction d'avions.

Un matin, pas très réveillé, je suis si concentré sur les infos que je m'assieds au hasard dans le train, et me prends une prune pour défaut de billet première classe. Tout ça pour que dalle. En complète dégringolade dans pratiquement toutes les matières, j'échoue aux examens finaux. Il va falloir redoubler dans mon nouveau bled. Je passe du Gros-de-Vaud à la banlieue lausannoise.

Première rencontre avec la Diversité. Il y a de tout, mais surtout des Italiens, des Portugais, des Espagnols. Des Turcs aussi. Quelques visages très foncés. Beaucoup écoutent ce rap qui semble débarquer fraîchement sous nos latitudes. Sa laideur, sa stupidité, son étrangeté me heurtent, hostilité radicale dès les premières écoutes. Sont-ils des cons pour s'enfourner une telle chiasse dans les oreilles ? Pas vraiment. Quelque chose me dit que je ne peux pas vraiment les comprendre, on n'est pas exactement pareils, c'est leur truc, on s'en fout. Je retourne à Maiden, seul à écouter ce genre de choses.

O. est espaga, noireaud, poilu, déconneur, grand connaisseur en porno, grand fan de ce qu'on n'appelle pas encore hip-hop. Ce jour-là, il tire un peu la gueule. Je demande pourquoi. L'air profondément lassé, il m'explique une histoire de permis à renouveler, pour lui et toute sa famille. Què permis ? Je n'ai pas besoin de cette connerie, moi, comment se fait-ce ?

Pourquoi le gouvernement et la bureaucratie font-ils chier O. avec de la paperasse ? Je n'y vois que tracasserie administrative, mesure vexatoire. Il ne faut pas emmerder les gens "juste" à cause de leur nationalité, c'est n'importe quoi. Si je connaissais le terme, je parlerais de discrimination, avec dans la voix un mélange ostensible de dégoût, d'agacement et d'incompréhension vertueuse. Il y a quelque chose de pourri au royaume d'Helvétie.

A cette époque, pas du tout politisé, du moins consciemment, j'ai déjà assimilé l'idée que nous sommes dirigés par des gens tristes, gris, sécuritaires, de droite, qui se plaisent à persécuter les étrangers par ce genre de lâche et futile biais. Je ne sais pas d'où je sais ça. C'est simplement une évidence : les puisants sont riches, xénophobes, droitards, ils ont une vie de merde qu'ils occupent à emmerder les immigrés.

Quand éclate l'affaire des fiches, cette conviction n'est que renforcée. Quand Ruth Dreyuss débarque au Conseil fédéral - évidemment une grande et belle nouvelle - je blague sur les autres Sages qui doivent se retenir de la traiter comme une secrétaire et lui demander d'apporter des cafés. Ces vieux machos, comme ça doit les faire chier ! C'est bien fait.

Un an plus tôt, des gonzesses organisent une "Grève des Femmes". Nos parents, braves intellos gauchistes, y entraînent toute la famille. Souvenirs confus de l'événement. Beaucoup de parlote. Des sketches aussi, peut-être. Je gueule, ravi, des slogans dont le sens m'échappe : ça semble être monstre provocateur, et en même temps très juste, légitime, moral, cocktail jouissif pour le gosse qui prend ses repères dans la société, pétri de ce bon vieux paradoxe d'être le primus inter pares.

Père fait quand même une remarque amusée sur le fait qu'il y a, dans l'assemblée, beaucoup de dames qui aiment manifestement les dames. Mère n'aime pas, fait une remarque aigre sur ce genre d'observation, manifestement "déplacée". Là non plus, je ne pige pas. A quoi voit-il ça ? En quoi est-ce important ? N'empêche que la chose me travaille, c'est un détail qui vient un peu gâcher cette fête infantile. J'aimerais ne pas avoir connaissance de ce fait. J'aimerais que nous soyons tous réunis, entre gens de bonne volonté, par une noble cause, et pas pour des histoires de cul plus ou moins glauques.

C'est encore l'époque où je sais qu'en tant que mec, je dois faire des efforts envers les gonzesses, et qu'en tant que Suisse, je dois être coulant avec les étrangers. Nos dirigeants sont de tristes enflûres, mais dans l'ensemble, notre société va bien, quelques broutilles à corriger, scories du passé destinées à la poubelle, qui traînent encore là par la paresse ou l'incompétence d'une minorité. On ne m'a pas encore expliqué que les choses sont beaucoup plus graves que ça, que cette niaiserie souriante est très insuffisante, qu'il n'y a pas "quelque chose de pourri", que tout est pourri, et que c'est la faute aux gens qui ont ma gueule. Avant seize ans, tout ça sera devenu très clair. Entre la fin du collège et le début des études secondaires, les doses de Honte Blanche administrées vont être massives.

A suivre

Commentaires

Carrément...tes parents te faisaient assister à du théâtre féministe lesbien...Les miens se contentaient de dîners de profs gauchistes et d'apéros subventionnés avec des Noirs...
Ceci dit, ce n'est pas pour me vanter, mais j'ai eu la puce à l'oreille un peu plus tôt que toi (ça a pris beaucoup de temps à mûrir par contre).
J'ai hâte de connaître la suite. Quand est-ce que ça devient sérieux?

Écrit par : Coruscante | 23/10/2012

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