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31/05/2007

LA HONTE DES FUTURS ARCHEOLOGUES - PT. 3

L’Occidental et la Cité

 

 

Un même régime est en vigueur sur tout le territoire Occidental, au-delà des frontières culturelles ou linguistiques. On le connaît sous le nom de « Démocratie », une oligarchie où règne une élite de grands boutiquiers et d’actionnaires, appuyée par de larges corporations de scribes.

 

 

Les affaires officielles de la Cité sont déléguées à des « représentants » élus, mais qui ne doivent rendre de compte qu’à cette élite économique, qui fonctionne strictement sur le mode de la cooptation. Cette structure totalitaire pyramidale n’est pourtant pas contestée par la majorité des sans-pouvoirs ; bien au contraire, l’Occidental estime ce système juste et équitable, chaque Citoyen étant considéré comme Souverain en titre – à défaut de l’être en droit et en pratique.

 

 

Le soin maniaque porté à l’apparence physique rejoint ici le respect doctrinaire des conventions sociales : les droits théoriques importent plus que leur exercice concret et l’illusion d’une liberté collective permet à chacun de supporter les vexations et l’arbitraire des dirigeants. L'usage étendu de diverses drogues par les classes laborieuses permet de maintenir un semblant d'ordre social et les violences collectives sont remarquablement rares ; on observe des explosions de colère cycliques auprès des Néo-citoyens en provenance de la périphérie mondiale mais à mesure qu'il vieillit et qu'il se féminise, l'autochtone préfère lancer des bulletins dans une urne que des pavés dans les gueules.

 

Périodiquement, des cérémonies populaires ont lieu pour que l’aristocratie politique s’échange les portefeuilles et les ministères. Le citoyen Occidental secoue alors sa torpeur pour endosser le rôle de prêtre populaire. Il devient, pendant quelques semaines, un « électeur » dont le « suffrage » devra sanctionner les choix préalables de l’élite économique et redistribuer les compétences parmi les mêmes membres de l’élite politique.

 

On reste perplexe quant à bien des aspects de cette abdication générale de l'autonomie des citoyens. Ainsi, on constate que l'homme de la rue s'estime plus ou moins libre selon le degré de contrôle qu'il délègue intégralement à ses maîtres, sans possibilité de recours ou de confiscation des pouvoirs en cas d'abus flagrants. Les "affaires" se succèdent sans qu'elles nuisent sensiblement à un cursus honorum classique, en-dehors de cas exceptionnels de molestation d'enfants ou d'assassinat ; le détournement de fonds, le parjure flagrant, le mépris le plus affiché de la "volonté populaire" sont considérés comme autant de prérogatives légitimes des castes dirigeantes, ne mettant jamais en péril l'essence du régime qui les facilite pourtant outrageusement.

 

La caste des scribes connaît une grande agitation durant les périodes qui précèdent ces cérémonies. Quelle que soit la nouvelle répartition des tâches, ses prérogatives ne sont pas menacées, car son train de vie est assurée indépendamment des résultats du plébiscite. Il dépend toutefois du déboussolement permanent de sa clientèle, qu'il faut alors maintenir dans un état de fièvre perpétuelle, quitte à donner une importance démesurée à des événements dérisoires. L'électeur doit pouvoir discerner toutes les nuances du gris et du tiède pour que s'effectue en bon ordre le coup de sac de la lotterie politique.

 

 

Le tâcheron médiatique devient alors le relais complaisant des militants les plus fanatiques, et un formidable exhausteur de la saveur de l'actu. Sous sa plume, les platitudes se transforment en "messages forts", le non-choix mollasson est rien moins qu'une "troisième voie", les tristes ravalements de façade explosent en "véritables révolutions". Il faut bien cette magie des grandes phrases pour que la transe électorale secoue l'apathie où l'on maintient Monsieur Moyen tout le reste du cycle solaire.

 

 

Le citoyen en question se plaint parfois de cette stagnation, mais il n’entreprend jamais aucune action collective pour modifier la donne ; il accepte les règles fixées par ses élites et participe toujours en nombre suffisant aux cérémonies de renouvellement pour que celles-ci puissent se prévaloir de son indispensable sanction – vox populi, vox dei. Rarement depuis les balbutiements de la théologie chrétienne, les Dieux ne se seront aussi mal exprimés.

 

 

Une forme de désordre permanent règne dans les plus basses couches de la population. L’incivisme et le maraudage rendent difficile la vie des quartiers populaires ; toutefois, comme les meurtres et les atteintes à la propriété des riches y sont exceptionnels, les gendarmes se montrent très cléments envers les déviants. Leur marge de manœuvre dépend officiellement des Représentants du Peuple, mais leur passivité ne fâche pas l’homme de la rue – c’est au contraire son prétendu zèle qui indigne volontiers le Lumpenproletariat allogène, dès que ses activités économiques illégales sont quelque peu perturbées. L’arrestation ou la mort de l’un des leurs provoque régulièrement des émeutes, où les dégâts sont avant tout matériels et les victimes humaines rares et accidentelles. Demeure donc, dans les quartiers les moins fortunés, un climat malsain de haine et d'anxiété, dont ont beau jeu de démontrer les faibles bases factuelles tous ceux qui ont intérêt à soutenir l'impunité des emmerdeurs.

 

 

Malgré une stabilité sociale sans précédent depuis l'ère des chasseurs-cueilleurs, l'Occidental fin-de-race estime vivre dans un climat permanent "d'insécurité" ; il accueille donc avec soulagement tout ce qui pourra limiter sa marge de manoeuvre et la vertigineuse angoisse qui accompagne toute liberté tangible. Son temps voit l'éclosion d'une myriade de milices privées, parfois auxiliaires des pouvoirs en place, parfois en concurrence directe avec le Prince, dont le boulot consiste à maintenir la populace sous pression. Lobbyistes altersexuels, communautaristes exotiques, vigiles de la Correction, épurateurs du langage, écorcheurs de vieilles plaies cicatrisées et pornographes mémoriels se succèdent en un ballet continu pour pressurer les glandes lacrymales, les bourses et les excuses d'être trop normal.

 

 

                (A suivre, peut-être...)