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26/03/2007

DEDICACE CELINIENNE AUX NOCTAMBULES

<< L'insomnie légère ou tenace des intellectuels, l'insomnie essentielle, ne se présente pas tout à fait comme celle des autres sujets, des "manuels" par exemple. Le plus souvent, les intellectuels semblent prendre un certain goût pervers pour leur insomnie, il entre dans leur cas une forte participation de masochisme, de narcissisme... et pour tout dire de littérature consciente ou inconsciente. Ils finissent par n'aimer point qu'on leur reprenne leur insomnie. Ils veulent bien la soigner, certes, mais ils ne veulent pas tout à fait en guérir. D'ailleurs, en général, et moins que tout autre, l'intellectuel ne veut perdre la moindre chose de ce qui est lui-même, de sa chère signature, de son nom chéri, sa merveilleuse personnalité, et même son affreuse insomnie !

Ne point croire cependant que la souffrance de ne pas dormir est dans son cas feinte ou dérisoire! Nullement ! Mais il est ainsi fait l'intellectuel, ce malheureux, que tout ce qui lui arrive est l'occasion d'une rumination mentale plus ou moins formidable. Il n'en sort plus et ce qui est plus grave, il préfère, atrocement, n'en pas sortir ! Le voilà donc gentil et bien équipé par ces insomnies que nous voyons, devenues entièrement angoisses et terriblement conscientes, durer parfois toute une vie !...

A ce moment plus on l'imbibera d'hypnotiques, plus il s'acharnera à rechercher son insomnie à travers l'Hypnotique pour la préserver, "abominable et merveilleuse torture", de toute atténuation. Triomphal, il vous arrivera le lendemain du cachet, blème, tiré, suicidaire : "J'en ai pris deux, Docteur, et je n'ai pu fermer l'oeil! " C'est qu'il a vaincu l'Hypnotique ! Il a sauvé sa torture !  C'est un vicieux d'angoisse. Intellectuel = masochiste. Ne lui donnez pas de raison d'être malheureux en le traitant par des Hypnotiques ordinaires. Il les aime trop ses malheurs. Il les préfère en vérité à tout le reste de sa vie. L'intellectuel s'entraîne aux insomnies à coup d'Hypnotiques. Il arrive à la fin à retrouver son insomnie à travers n'importe quel barbiturique. (...) >>

 

Louis-Ferdinand Destouches, manuscrit inédit de février 1932, Hors-Série n°4 de Magazine Littéraire, 2002, page 51.