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29/03/2007

LA NAUSEE, MAIS PAS CELLE DE SARTRE

Le monde moderne provoque en celui qui l’observe une nausée bien différente de celle dont parlait Sartre en son temps. L’hideux stalinien résumait par ce terme l’élan frustré du militant, angoissé par le poids de sa mission historique. Celle que nous éprouvons se rapproche bien plus d’un véritable haut-le-cœur que d’un dépassement face à l’ampleur de la tâche révolutionnaire.

 

Conquérir notre place en ce monde et le façonner à notre image n’est plus à l’ordre du jour. La saleté, la décadence et la corruption ont atteint de tels sommets que l’évidence qui s’impose est toute autre – nous n’y avons tout simplement plus rien à y faire. La trouille paralysante qui nous envahit est celle du kamikaze confronté à l’imminence de sa propre mort, alors que ses généraux ont déjà signé l’armistice.

 

Tout ce que nous pouvons accomplir de salutaire pour l’Europe est tenter de saccager la décharge à ciel ouvert qu’elle est devenue. Y construire quoique ce soit n’a plus aucun sens, à moins d’accepter par avance l’échec et l’avortement. Le mot n’est pas trop fort, puisqu’il s’agit bien de nos mouflets avant tout. Donner naissance à des trisomiques ou des imbéciles irrécupérables est sans doute une bénédiction à l’heure actuelle : des enfants viables, autonomes, forts et lucides ne trouveront ici-bas que la désolation sociale, la misère spirituelle et une excellente raison par jour de boucler la ceinture d’explosifs. Nos descendants n’auront le choix qu’entre le statut de victime et celui de bombe humaine, avec la garantie qu’une atroce majorité n’aura ni le courage ni la décence de choisir la seule option honorable.

 

Ils vivront dans un monde où avoir deux parents vivant ensemble sera une bizarrerie, où les mères célibataires seront la norme et où avoir deux pères ou deux mères devra être considéré comme normal sous peine de poursuites. Ils seront familiers des viols en réunion avec filmage sur téléphone bien avant leur première relation consentante. Ils traverseront des rues où la jeunesse autochtone sera composée exclusivement de dread-loqueteux, d’androgynes pop-goths, de salopes revendiquant fièrement ce titre et de blaireaux à poubelles tunées. L’école leur apprendra à devenir des lopettes consuméristes et xénolâtres. Leurs ambitions se cantonneront à construire des cybercafés au Burkina, à faire une courte carrière dans la musique d’ascenseur, à revendre de la came à leurs prétendus potes ou à louer leur cul à l’empire ultralibéral.

 

Selon qu’ils se croiront de gauche ou de droite, ils se mettront au service des délocalisateurs d’entreprises ou des propagandistes du Lumpen. Leur univers se limitera toujours plus à des banlieues sordides, des mégapoles irrespirables, du bordel multiethnique sans âme, de la stupidité joyeusement assumée.

 

L’avènement de ce monde épouvantable n’est pas qu’une question de volonté, d’engagement, de résistance. Nous savons TOUS très bien que malgré tous nos efforts, c’est cette sale gueule-là que notre avenir aura. Même les plus optimistes d’entre nous, les plus hystériquement auto-endoctrinés, savent et sentent parfaitement que nous devrons ramper dans ce gigantesque collecteur d’égouts pendant des décennies. Même en admettant qu’une Révolution intégrale soit possible et qu’elle se produise durant notre courte vie, nous savons et sentons tous parfaitement que nous allons nous manger des hectolitres de chiasse avant que le moindre séisme politique et social se présente. Personne ne peut sincèrement s’en réjouir. Et pourtant il y en a pour sabler le Rimuss, déjà tout réjouis en reniflant le parfum des ruines à venir.

 

Ecoutez-les, ces prétendus pragmatiques, ces arrivistes refroidis, ces massacreurs encore embryonnaires, qui vous expliquent que ce n’est qu’une question de patience ! Comme quoi « quand les caddies seront vides », on va voir ce qu’on va voir. Comme quoi Monsieur Moyen se bougera le cul quand ledit cul sera si maigre que s’asseoir sur un banc lui fera mal. Comme quoi nos semblables finiront fatalement par se révolter à force de voir leurs fils rackettés, leurs filles violées une fois par semaines dans les caves du quartier, leurs parents insultés et molestés par les plus odieux bipèdes que l’enfer sous-développé ait jamais chié.

 

Ecoutez-les et voyez comme s’allume dans leurs yeux cette sale petite lumière sadique. Voyez leur confiance absolue dans leur capacité de survivre aux pires scenarii Mad Max, leur impatience d’arriver enfin au Grand Chaos, leurs mains qui se crispent déjà sur un fusil imaginaire. C’est que eux, n’est-ce pas, on ne la leur fait pas ! C’est qu’ils sont déjà des guerriers urbains accomplis, ma p’tite dame ! C’est que eux, ils n’auraient aucun problème à survivre à Bagdad ou à Kaboul ! Des bêtes de concours ! Des pitbulls qui marchent sur leurs pattes arrière ! Du vrai de vrai, du Viking contemporain !

 

Eux ne souffriront pas de tout ce merdier, que non. Ils seront bien à l’abri, indestructibles, inatteignables ! Leurs gamines ? Championnes de K1 à quatorze ans, et à l’écart de toute mauvaise fréquentation, même à l’école primaire ! Leurs parents ? Planqués à la campagne, dans un camp retranché où personne ne viendra les faire chier !  Le Grand Chaos, bien accommodant, il ne frappera que Les Autres, les lâches et les traîtres, les bobos et les bolchos, les déracinés urbains, toute la lie du peuple qui ne se sera pas rallié à leur blanc panache ! C’est comme ça, l’Histoire est magnanime, les Dieux sont avec nous, la Fortune sourit aux audacieux, et on n’aura que le boulot le plus agréable, à savoir l’épuration décontractée des saligauds miraculeusement rescapés de l’effondrement général.

 

Ce que de tels fantasmes traduisent, c’est une mentalité de charognards, de détrousseurs de cadavres, de profiteurs de charnier. Et ça se permet de faire la morale aux cannibales marxistes qui décimaient les populations au nom de la Liberté du Peuple. Allez vous poser des colles, après ça, sur le fait que tant de nos semblables nous considèrent comme des illuminés, porteurs d’aucun projet de société viable. Notre acharnement à leur donner d’aussi excellentes raisons de le penser a quelque chose de fascinant.