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11/04/2007

SOURIEZ, VOUS ETES EN LIBERTE SURVEILLEE

La vie ordinaire en Démocratie, c’est la Liberté Surveillée. Peu de choses sont explicitement interdites par la loi : on compte beaucoup plus sur l’autocensure et la surveillance mutuelle. Chaque citoyen est son propre censeur et le flic de son voisin.

 

Tout ce qu’on nous balance sur la Liberté d’expression et d’association est donc fondamentalement biaisé, comme « Tcherno » l’a bellement illustré pour le cas de l’Ex-France.

 

Oui, nous sommes libres de penser, dire et faire ce que nous voulons, mais la plupart des sujets vraiment importants sont tabous au point qu’ils paralysent Monsieur Moyen et que les plus agressifs du troupeaux se chargent de faire taire l’emmerdeur bien avant que la flicaille ou les avocats ne débarquent. Donc cette liberté est factice, strictement théorique. A l’inverse :

 

Non, nous ne vivons pas en « dictature » pour autant. La pose de martyr qu’affectionnent tous les dissidents institutionnalisés les rend par conséquent ridicules, en décalage complet avec la réalité Monsieur Moyen peut observer. Nous vivons en régime hybride, à mi-chemin entre la rigidité moraliste terrifiante d’une société ultra-orthodoxe, et entre un libéralisme de facto au bénéfice du monde de l’entreprise, mais de jure seulement pour le citoyen ordinaire.

 

Cette situation n’incite pas à se taire, mais beaucoup plus vicieusement à n’avoir rien à dire. C’est le nettoyage par le vide, le brouillage des têtes par le bruit blanc continu, le droit de faire autant de jogging que l’on veut mais pieds nus sur du gravier.

 

D’où l’importance fondamentale qu’a prise la vidéosurveillance dans notre vie quotidienne. Le culte des Droits rend impossible toute ingérence franche et brutale de l’Etat dans la société civile, sauf dans les cas présentables comme « urgents et graves ». Reste donc l’option de mettre tout le monde sous tutelle, une tutelle virtuelle, un grand Œil omniprésent qui permet de tracer tout le monde en cas de comportement déviant.

 

Cette surveillance a bien sûr d’autres origines. En premier lieu, il y a tout le pognon qu’on peut en retirer, en matière de vente de caméras et de location de services de sécurité privés. Mais il faut compter aussi avec les bénéfices sociopolitiques qu’en retire l’Etat lui-même et ses commanditaires.

 

Le grand Œil, c’est la mort du Pas-vu-pas-pris pour tout homme moyennement honnête, qui s’autolimite par peur des représailles. Pour l’enculé qui s’assume, rien de changé par contre : il se contrefout de vivre dans un Loft Story à échelle nationale puisqu’il jouit d’une impunité relative quand il est mineur, et qu’il a l’habitude du circuit policier une fois adulte, un circuit qui n’a jamais les moyens de prévenir son passage à l’acte.

 

De fait, une telle prévention n’aurait aucun avantage : la petite délinquance, ce harcèlement de Monsieur Moyen qu’on étiquette « Incivilité », fait précisément partie du processus de limitation de sa marge de manœuvre. Le but est de le désécuriser pour lui vendre un discours sécuritaire et lui faire accepter les outils officiels de sa mise en œuvre. Monsieur Moyen a peur de la police et du grand Œil, donc il fera gaffe à ne pas trop péter de travers. Mais Monsieur Moyen a aussi peur de la Racaille , et cette peur le mène selon sa nature à deux comportements possibles :

 

1)      soit il croit encore que le travail de la police est de traquer les criminels, alors qu’elle ne sert qu’à discipliner les citoyens ordinaires. Dans ce cas, il accepte sans trop rechigner les restrictions qu’on pose à sa liberté, en échange d’une promesse de sécurité accrue. L’exemple le plus délirant se trouve dans les aéroports. D’un côté, une surveillance méticuleuse et vexatoire des passagers ; de l’autre, un accès pratiquement libre aux appareils et au tarmac par n’importe qui. C’est le principe du « Mauvais Médicament » : si c’est dégueulasse, c’est sûrement que c’est très efficace contre la maladie... Pour être convaincu que la police le protège sérieusement, Monsieur Moyen veut sentir les griffures du barbelé sur son gras. Sans quoi, il a l’impression qu’on ne s’occupe pas de lui.

 

2)      soit il a compris, par expérience directe ou par l’observation, qu’il est parfaitement seul face aux pourrisseurs de vie urbaine. Il sait qu’il ne pourra, au mieux, qu’être dédommagé une fois qu’il sera trop tard. Le grand Œil ne sert pas à paralyser les criminels mais à désigner des responsables pour payer les pots cassés, à commencer par les siens propres. En ce cas, il ne lui reste plus qu’un choix : faire profil bas, raser les murs, fermer sa gueule, n’avoir d’avis sur rien, être tolérant de tout, n’être choqué que par ce qui choque le responsable local de la Fareas ou n’importe quel gauchiste dans les bons papiers de la presse régionale.

 

La première réaction possible pousse Monsieur Moyen à réclamer lui-même le knout policier. La seconde réaction l’amène à l’auto-flagellation ou à l’acceptation passive des coups de toute mafia politique, ethnique ou autres.

Et voilà comment on concilie en un miracle typiquement Occidental, le harcèlement de la Racaille , l’omniprésence du flic, la prospérité du marché de la sécurité et la résignation souriante de chacun face à un sort inacceptable.