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08/07/2007

EN DECALAGE COMPLET

Le paumé ordinaire qui tente de vivre aussi droitement que le lui permet son hérédité chargée se retrouve vite en décalage complet avec l’époque, ce qu’elle propose, ce qu’elle impose, ce qu’elle rejette. Puisque le suicide reste une option plus théorique qu’autre chose, et que le terrorisme façon Leaderless Resistance n’est pas à la portée du premier venu, reste la non-solution de vivre relativement intégré sans assimilation, dans une sorte de communautarisme en solitaire, d’extrême repli sur soi.

 

 

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L’époque est égocentrique

 

 

Pas de place pour des choses aussi nobles et nécessaires à la fois que l’égard pour l’autre, la capacité d’écoute sincère, le courage du sacrifice, la subordination des fringales personnelles aux besoins vitaux du groupe, le respect pétrifiant de l’expérience des anciens et de la rage guerrière de la relève. Tout ce que le régime a trouvé pour limiter les ravages de cet autisme généralisé, c’est le culte d’une Solidarité ni mécanique ni organique, mais sectaire, basée sur que dalle de tangible.

 

 

L’époque est dévirilisante 

 

L’esthétique masculine, le comportement propre au mâle pas dégrossi, la façon carrée d’aborder les problèmes et de les régler sans fioritures, poubelle tout ça !Sont considérées comme à la fois naturelles et civilisées des manières de pisseuse : le « dialogue », la « tolérance », l’ « ouverture », l’insinuation, la fourberie, la langue de bois, le chantage affectif, la faux-culerie généralisée. Fut un temps où on nous posait le choix entre « Socialisme et Barbarie » ; belle époque, en fin de compte, puisque maintenant, Camarade, faut que tu choisisses entre prétendue Barbarie sous sédatif et Enculade librement consentie.

 

L’époque est pragmatique

 

Elle ignore tout ce qui peut être Sacré, et ne reconnaît un ersatz de sainteté qu’au poulpe des Drouadloms et ses milliers de tentacules ONGesques. Pour le reste ? Rien n’a de valeur si on ne peut pas coller un code-barre dessus. La défense de la Nature elle-même n’est qu’une question de  préservation des ressources, sauf chez les plus allumés des écolos qui donnent dans le panthéisme sans bien s’en rendre compte. D’ailleurs on ne parle même plus de « nature », à peine de « paysages », mais « d’environnement », peut-être parce qu’on n’a pas encore le cynisme de parler de « Décor »... La social-démocratie consacre le règne des technocrates, qui dégueulassent jusqu’au langage quotidien.

 

 

L’époque est matheuse

 

 

Un scientisme désertique régit nos moindres rapports, codifie nos journées minute par minute, nous plongeant dans une grisaille déshumanisée qui aurait fait l’admiration des Soviétiques les plus désaxés. Nous n’avons pas dépassé le dix-neuvième siècle, de ce point de vue. Loin du bal, les poètes, les compositeurs, les peintres, les grands orateurs, les éveilleurs de peuples, les prophètes, les guérisseurs, les visionnaires. Au recyclage, tous ceux qui donnaient au monde sa magie primordiale, cet enchantement qui nous sauve de la désespérance, de l’aigreur et de toutes les bassesses. Car rien de noble, de beau et d’éternel n’est jamais fait par calcul, pas même en géostratégie internationale.

 

Les grandes civilisations se bâtissent sur des rêves à l’échelle du cosmos tout entier : la gloire unilatérale d’un dieu, la domination d’un conquérant, la libération de nations immenses. L’Occident décadent se donne des idéaux de contrôleur fiscal, des défis d’insecte : le droit au respect de la sodomie à quatre, l’inscription du R’n’B au patrimoine mondial, 100% de recyclage des seringues distribuées aux toxicos. La Grèce antique a légué à l’Histoire l’Iliade et l’Odyssée. L’Europe métastasée laissera pour tout texte sacré des chartes d’entreprise éthiques, des posologies d’alicaments et des manuels de communication non-violente. Quand ils fouilleront dans nos déchets, les archéologues du futur baptiseront notre ère l’Âge de la Crotte Cubique , une époque qui n’aura produit que de l’excrément high-tech en emballage biodégradable.

 

 

L’époque est tristement festive

 

 

Les célébrations populaires tournent toujours autour de rites religieux ou du souvenir des ancêtres et de leurs accomplissements. Nous n’avons plus rien à fêter parce que nous gerbons nos Anciens et que seules les religions exotiques nous font assez peur pour qu’on les respecte. Mais nos routines quotidiennes sont si écoeurantes, nos existences si vides de sens, nos merdopoles si invivables que Monsieur Moyen ne vit plus que pour le bastringue. Toutes les fêtes se ressemblent désormais, à mi-chemin entre le carnaval brésilien et la beuverie machinale. Elles dégagent une bonne humeur factice, aseptisée, « avec modération ». Elles plombent le moral aussi sûrement que la « joie » qu’on nous souhaite à la fin d’une messe.

 

Depuis trente ans, l’expression « s’éclater » est devenu un cliché, poisseux de ringardise et de bons sentiments. Il décrit pourtant bien l’ambiance de dépassement obligatoire de nos propres limites, comme si l’ivresse n’était qu’un palliatif à la mort volontaire : s’enfiler des canettes plutôt que de se mettre une balle, histoire de s’exploser la caboche une bonne fois pour toutes. Cette festivité niaise, proprette, dégradante, pollue tout sur son passage, jusqu’à la colère de la rue. Les émeutes ne sont plus seulement hors-la-loi, elles contreviennent carrément aux bonnes mœurs, puisqu’on ne reconnaît plus aucune raison légitime d’éprouver de la haine, cet ennemi de la Démocratie.

 

 

L’époque est boulimique 

 

 

Rien ne nous terrorise plus que l’idée du manque. C’est flagrant au niveau des rations de bouffes, de leur richesse calorique délirante, de la banalisation des menus à gogo, en attendant les formules All-you-can-eat à l’amerloque. C’est aussi chez les yankees qu’est apparue l’idéologie originelle du Bigger and Better, et leur goût de l’obésité pathologique est en train de nous gagner à notre tour. L’idée de simplicité volontaire est si incongrue qu’elle n’apparaît jamais dans AUCUN débat, même de faible envergure. Qu’on puisse gagner et consommer moins que ses parents est perçu comme une obscénité économique. Qu’on puisse malgré tout vivre plus heureux et de manière plus équilibrée, c’est carrément de la science-fiction pour nos contemporains, y compris parmi les plus anticapitalistes.

 

Si nos philosophes d’hypermarché étaient plus conséquents, ils feraient reconnaître officiellement le Droit à la Goinfrerie , puisque c’est visiblement tout ce qui nous importe : pouvoir nous en fourrer jusqu’aux yeux, ne se priver de rien sous aucun prétexte. Si les régimes-miracle sont si bien tolérés, c’est parce qu’ils rapportent une fortune, qu’ils échouent systématiquement et que leurs clients sont toujours prêts à investir dans une nouvelle arnaque prometteuse. Le jour où tous les gras-doubles de l’Ouest décideront de se passer de coaches, de pilules et de substituts, la maigreur sera à nouveau considérée comme le propre des souffreteux et on ne parlera plus de surpoids mais de « prestance ». La contradiction entre notre culte du corps et notre rage de l’engraisser est trop phénoménale pour durer encore longtemps. Ça ressemble à quoi, un triple pontage coronarien à l’échelle de tout un continent ?

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