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03/11/2007

PAS PIRE QU'HIER

Il y a d’excellentes raisons de dégueuler ses semblables à toutes les époques. Il faut,  paradoxalement, une bonne dose d’optimisme pour penser que celle où l’on vit est pire que les autres, qu’il s’y passe des abominations inédites de nos ancêtres ou qu’on y bat résolument des records en saloperie humaine.

 

Où il y a de l'humain, et plus particulièrement quand il s'entasse par milliers dans des villes toujours plus irrespirables, il y a de la crasse. Et rien ne nous permet vraiment de penser que la nôtre ait réellement atteint un summum en la matière, même si ça soulage de le hurler. Hélas, du moment qu'on a été engagé ne serait-ce qu'un jour dans sa vie, tirer ce constat tout bête mobilise une énergie démentielle. Je profite d'un de ces éclairs d'extra-lucidité pour pondre ceci, avant d'en renier des morceaux ça et là par habitude, par sectarisme, par épuisement moral ou par goût de la provoc' cheap.

 

On ne peut même pas faire confiance à l’explication par le facteur Décadence. La stabilité, la récurrence, l’obstination même dont font preuve les générations successives dans la misère culturelle et toutes les formes de bassesses imaginables, tout cela donne à penser qu’il y a quelque chose de pourri au royaume humain tout entier, dès les origines. D’où la puissance du concept de Péché Originel chez les cathos. D’où, plus largement, l’idée d’une race intemporelle de révolutionnaires qui naissent avec le dégoût des autres chevillé à l’âme, sans raison objective. Chaque rejeton de cette lignée vorace s’arrime aux travers propres à son temps pour exprimer avec cohérence cette rage de chamboulement et de destruction. 

 

Et tous auraient alors pareillement, systématiquement tort.

 

 

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Pourtant, la misanthropie semble aller à l’encontre de tout idéal, surtout s’il se base sur la culture native, son amour et sa défense. Vomir l’humanité et haïr en même temps ceux qui sapent telle ou telle civilisation ? Autant insulter le malpropre qui chie dans un égout, c’est pas plus contradictoire.

 

Il y a peut-être un impératif insoupçonné dans cette conviction que « tout va de pire en pire », qui suit les rebelles de l’Histoire comme la vermine colle aux basques des bâtisseurs de ville. C’est la condition sine qua non d’une rupture, d’un Grand Nettoyage, la peur qui donne les ailes indispensables à sauter des murs trop lisses pour être escaladés.

 

Mais les faits viennent toujours contredire cet espoir : rien ne se crée, surtout pas les vraies Révolutions. On peut, au mieux, s’y préparer, mais pas les construire, ni les contrôler, ni les faire arriver plus tôt que prévu.

 

Ce qui nous fait frémir d’horreur ici et maintenant n’est jamais qu’une rediffusion d’un succès éternel : la Comédie Humaine au premier sens du terme. Une farce jouée par des hommes, mettant en scène leur propre caricature mongolienne sans même forcer le trait. Hier comme aujourd’hui, les rengaines et les modes se basent sur les mêmes ingrédients. On veut à toute force les croire spécifiquement contemporains, parce que ça légitime notre opposition, et toute action entreprise à leur encontre. Bref, ça nous structure, ça nous raidit face à l’adversité molle et étouffante. Mais c’est du flan.

 

L’histoire de la Chute et du Péché Originel, c’est une tentative semi-réussie de donner un sens à cette dégueulasserie primordiale. C’est le seul mythe explicatif qui semble acceptable d’ailleurs. Mais le monde a toujours été dégueulasse, depuis le commencement.

 

Pour notre malheur, avec les moyens de communications modernes et l’avancement constant des connaissances, on peut s’en rendre compte plus vite que nos anciens. Il fallait une vie entière aux plus clairvoyants d’entre eux pour en prendre conscience. Et dans l’intervalle, ils pouvaient aussi développer la sagesse et le recul suffisants pour ne plus en avoir rien à secouer. Pour le reste des abrutis, une lucidité réduite par les impératifs de la survie et par la contagion remarquable de la connerie les mettait à l’abri des réalités ; ils pouvaient, comme le peuvent encore beaucoup de nos contemporains, diviser le monde en catégories sympathiques ou abjectes, entretenir des croyances, des espoirs, des idéaux.

 

Pour nous autres modernes, c’est pratiquement impossible. On ne retourne à la passion que par distraction, soumis à l’impératif biologique de survie qui a recours jusqu’au rêve éveillé pour maintenir la machine en état de marche. On n’y croit plus que parce qu’on éprouve un suprême instinct qui nous y force – parce que nous sommes conscients que le deal c’est « Rêve ou crève ». Et il se peut bien que cette brève période entre le cynisme tranquille de l’enfance et la désillusion fatiguée de l’âge avancé, ce temps où on trouve une énergie surprenante pour lancer mille projets imbéciles et s’engager dans des croisades ineptes, ne soit justement qu’un interminable rêve. Un tunnel qu’on emprunte entre deux éblouissantes lumières, celle de l’innocence précédant celle de la libération du corps.

 

 

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Un gosse survit aux pires tortures ; un ancien vit sa routine malgré le poids de crimes inexpiables ; il n’y a que l’adulte qui soit véritablement fragile, faillible. C’est parce que toute sa vie se déroule le long de ce tunnel irréel, où on s’amuse à croire que les ombres sont la vraie vie. Percer leur mensonge à jour ne fait que rajouter à l’horreur de notre sort, sans nous permettre d’y échapper et sans en alléger le poids que par flashes irréguliers, cuite d’un soir, amour inattendu, victoire improbable et divines surprises en tous genres.

 

Tant de choses qui semblent des maux propres à notre époque ne sont donc finalement que des remakes vaguement au goût du jour. Ça ne les rend pas moins insupportables mais on a de suite moins d’énergie à leur consacrer. C’est que, pour combattre quelque chose, il faut hélas avoir le sentiment que la menace est à la fois extraordinaire et inédite, que l’affront dépasse les bornes, que nos limites les plus élémentaires sont violées.

 

L’ennui, c’est qu’il est parfaitement banal d’être confronté à des choses inadmissibles, au cours d’une vie ordinaire. Ça fait partie du cahier des charges qu’on reçoit tous à la naissance. On en est donc réduit, la moitié du temps, à mentir pour se permettre d’agir, et le reste du temps à tomber dans la lâcheté pour respecter la vérité. Il doit pourtant bien y avoir une possibilité de moyen terme. Elle consiste sans doute à se prendre délibérément au jeu, tout en sachant que ce n’est qu’un jeu, justement.

Commentaires

Sais pas pourquoi c'était bloqué niveau commentaires.. C'est réparé...

Écrit par : Stag Nation | 10/11/2007

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