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16/07/2007

HISTOIRE URBAINE SANS MORALE III

Plongée anthropologique sur les quais montreusiens.

 

Le festival de soi-disant djaze (m’en fous, j’aime pas ça de toute manière) entame glorieusement son second samedi soir dans une chaleur proprement tropicale. Ça tombe bien, au vu de la faune qui grouille sur les quais, telle une fourmilière au ralenti. On m’informe que c’est Soirée Brésilienne, ou quelque chose comme ça, ce qui explique l’ambiance générale, on dirait une pub pour l’Unesco. Mais il y a encore un petit peu trop de Visages Pâles pour qu’on se sente vraiment dans une favela. Le brassage ethnique aurait-il pris du retard ? Courage, blanchouilles, si vous voulez être démocrates ! Pas de quoi désespérer toutefois : les couples dépareillés ne manquent pas, souvent comiques tant le contraste est flagrant. Ton jeune cul contre mon vieux passeport, un classique indémodable.

 

Il y aura peut-être une possibilité de magouiller pour entrer dans l’enceinte même du festival plus tard dans la soirée, pour l’instant on s’immerge parmi la plèbe trop fauchée pour se payer une place de concert. Est-ce cela qu’on appelle le « festival off » ? On y entend somme toute peu de musique. Un dj s’excite tout seul derrière ses platines, polluant tout un bar ressemblant vaguement à une baraque de plage tahitienne. Un amérindien fait hululer sa flûte de pan sur fond de synthétiseur, sur une mélodie d’Elvis Presley. Quant aux bruits de crécelles qui percent ici ou là, comme du bruit blanc syncopé, ce sont les mp3 que dégueulent à plein volume les téléphones portables des innombrables ados, traînant leur ennui au bord de l’eau.

 

3ff6ab677ee894210225c05050628754.jpgL’espace est occupé avant tout par des boutiques qui offrent des accessoires de mode pour militantes de Greenpeace. Les stands d’artisanat africain ne sont pas tenus par des africains. Je crois aviser un coiffeur relativement leucoderme proposant des tresses afros. Plus loin, les « massages japonais assis » sont bien assis, mais où sont les japonaises ? Il fait une soif abominable et les seules bières acceptables sont à l’autre bout de cette meute longiligne et molle, qui se masse dans un étroit boyau entre le bord de l’eau et l’entassement des échoppes.

 

En chemin, des effluves gras et salés nous séduisent les narines. Il fait soif mais il fait aussi faim, putain. Comment faire l’impasse sur la malbouffe traditionnelle dans ce genre d’émeutes tranquilles ? Thaï, bof, les portions sont dérisoires. Bretzels, pourquoi pas, mais en dessert, pour solidifier les prochaines bibines. Hambouguères, pas ragoûtants. Kebabs, presque inquiétants. Tartiflette, pourquoi pas, y en a pas des masses mais ça devrait boucher plus de coin qu’une poignée de riz et trois crevettes.

 

Mademoiselle opte pour un sandouiche au magret de canard et des frites agonisant dans une ample flaque de ketchoupe. Je me décide pour une baguette farcie d’oignons carbonisés (ça pourrait aussi bien être des algues), de morceaux de viande et de sauce à l’ail de synthèse. C’est infect, ça ne ressemble à rien, c’est cher, c’est exactement ce qu’il me faut ce soir. Le grassouillet qui me sert doit perdre un litre de sueur par heure, penché sur des grills clapotant d’huile bouillante, de quoi repousser le siège de tout un château. Son regard et ses gestes rappellent certains figurants de la Nuit des Morts-Vivants. Chouette boulot.

 

Nunc est bibendum. Traçons allègrement dans la masse en direction du bar du Sauvetage, où l’on trouve de la bière blanche et de la Maredsous , sans doute le meilleur rapport qualité-prix du site. Au sortir du goulet des malbouffistes, on débouche sur un petit espace dégagé, qui permet aux femelles de s’agglutiner en file aléatoire devant les cagoinces. Ça devrait aussi permettre au trafic bipède de se ventiler un peu, mais ça serait trop simple, pas assez festivalier. C’est l’exact endroit qu’ont choisi sept ou huit Brésiliens pour taper sur des bidons.

 

« Bada-bada-bam. Bam-bam-bam. » Ctrl+C Ctrl+V pendant des heures. Il faut se frotter à eux pour passer, on piétine, on étouffe, la tête bourdonne. Les gens alentours semblent ravis, particulièrement les jeunettes autochtones, tortillant du cul, hilares, enivrées par ce tambourinage et va savoir quelle cigarette au thé. Au centre des cogneurs de bidon, un athlète de la brousse, lunettes de soleil vissées au nez dans l’obscurité relative, la tignasse Jackson Five colorée en jaune orangé du plus bel effet. Il me faut absolument à boire, vite, beaucoup.

 

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Autre constante de ce grouillement bigarré, une teneur en pouffe très supérieure à la moyenne. Ils feraient des Hots d’Or locaux en même temps que les concerts ? On aurait pu me prévenir. Un responsable m’apprend que c’est simplement la pointe de la mode actuelle. D’habitude, il faut aller dans des boutiques de lingerie pour trouver des vêtements dont le prix est inversement proportionnel à la surface qu’ils occupent sur le corps. Depuis peu, il suffit de fréquenter les boutiques pour collégiennes. Mais peut-être que Grand-papa disait déjà ça à l’époque des premières minijupes. Et puis, pour relever le niveau, il y a des quelques femmes que je présume saoudiennes, emmitouflées dans de grands draps noirs d’où n’émergent que leurs mains et leur visage. Avec cette météo, c’est sûr que le costume de salope est plus confortable que celui de bonne épouse, quoiqu’en dise le Prophète.

 

Causette avec un responsable de la sécurité. Ça ne bastonne ni plus ni moins que d’habitude, la flicaille ne chôme pas. Elle donne même dans l’arrestation préventive, puisqu’une bande de gamins avinés a été cueillie sur le chemin d’une bagarre avant le moindre échange de coup de poing. Qualité suisse, sans doute. Mais qu’on n’aille pas leur jeter la pierre, aux flicards. Ils peuvent se montrer très serviables. Ils offrent même un service de navette gratuite spécialement réservée aux balkaniques chahuteurs. Pourquoi se faire chier à attendre tranquillement le bus, alors que tu peux avoir ton propre taxi à gyrophare, simplement en foutant la merde pendant deux minutes ?

 

Le ciel blanchit, nous n’avons plus un rond et je manque de m’éclater un autre os dans les cailloux, en allant relever le niveau du lac d’une modeste contribution personnelle. Il est plus que temps de rentrer.

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