29/07/2007
HURLER AUX OREILLES DES SOURDS
Quelle importance peut bien avoir un blog ?
Je veux dire, un putain de blog ! Le cybertruc inepte par excellence, le degré zéro de la littérature, à peine plus haut que la page Myspace sur l'échelle de la littérature moderne. L'illustration même du narcissisme et de l'exhibition tellement en vogue en temps de décadence généralisée.
Ca ne devrait servir qu'à mettre en scène son minuscule quotidien, étaler sa misère affective, partager avec des hordes de fantômes anonymes ses passions mesquines, ses allergies ridicules, ses expériences mal digérées. Rien de profond, jamais rien de sérieux, d'abouti, d'à-long-terme. Un blog gratosse où l'on publierait des choses d'une extrême sévérité, c'est du même niveau qu'une bédé éducative, comme cet immondice pleurnichard et niais que certains d'entre vous se sont sans doute farcis au collège. Qui voudrait d'une telle comparaison, qui la supporterait sans honte ?
Et puis un jour ça vous arrive. Vous réalisez que vous avez ouvert un putain de nom de Dieu de blog. Il apparaît sur une liste continuellement mise à jour, aux côtés de jacasseries de pisseuses encore imbaisées, de militants centristes précautionneux, de fans de tricot, de collectionneuses de chiens en porcelaine, de conspiracy theorists, d'érotomanes malsains. C'est fait. C'est trop tard. Vous avez passé le pas. Vous faites partie du bouronnement, du bruit blanc, des parasites du ouaibe qui donnent leur avis sans attendre qu'on l'ait demandé. Vache.
Alors bien sûr vous vous dégottez moult excuses. Payer un nom de domaine, c'est au-dessus de votre absence de moyens. Le courrier des lecteurs local, ça suppose de l'autocensure, de la pesée soigneuse de chaque mot, de la castration volontaire pour espérer échapper aux ciseaux. Fermer sa gueule donne le cancer, rend alcolo, fait prendre des risques imbéciles en bécane, provoque des altercations avec des gens censés vous aimer. Tout ça est un peu frelaté. Les grandes douleurs savent la boucler. Celles qui vous poussent à publier sont donc théoriquement dérisoires. Ca ne rend que plus humiliant l'originel passage à l'acte, toujours moins justifiable à mesure qu'il se répète, insomnie après insomnie. Perseverare lamentablum.
Quand vous le réalisez pour la quatorzième fois environ (il faut bien ça pour admettre nos erreurs les plus monumentales), commence alors les introspections fracassantes, génératrices de bien belles fractures incicatrisables. C'est l'heure des bilans provisoires, des passages en revue de ses propres troupes en perdition, du déséquilibre intrinsèque des comptes.
"Pourquoi" ?
Parce que tout le monde, dans certains cercles antimodernes, sent bien qu'il y a un gros problème, mais que personne n'a de solution solide à proposer.
Parce que personne n'avait l'air de vouloir en parler ni même de s'en rendre exactement compte.
Parce qu'un sursaut de haine épuisée et de dignité abrasée par trop de stupidité ordinaire vous y a poussé.
Parce qu'il fallait bien que quelqu'un le fasse.
Parce que le coma éthylique, la baise forcenée, la guerre économique, les ennuis de santé, les amitiés qui se déchirent et autres délicats loisirs ne fournissent que des paravents furtifs aux mêmes constats obsédants.
Et puis, en fin de compte, parce que la très relative beauté du geste l'a emporté sur les considérations plus pragmatiques. Quand on naît avec un flingue entre les pattes, allez résister à l'envie de tirer, même s'il n'y a rien à tuer, même si les balles sont à blanc. Juste pour faire du bruit. Voilà ce que c'est de subir le poids de ce don particulier, qui vous fait noircir des classeurs entier aussi naturellement que d'autres consumment un paquet de clopes. Ca ne mène à rien, ça ne change rien, ça n'intéresse personne, mais c'est là, ça existe, il faut bien en faire quelque chose.
"A quoi ça aura servi" ?
A ressasser des évidences mort-nées, à glorifier des causes vaincues, à mettre Paris en bouteille à grands coups de "et si ça c'était passé autrement". Certainement pas à fertiliser la moindre révolution à venir. Ni à éveiller la moindre conscience. Ceux qui lisent savent déjà et n'en sont pas plus avancés. Ceux qui ne savent pas lisent sans comprendre, ou avec le ricanement de ceux qui peuvent se permettre d'être décontractés, comme disait une vieille réclame pour hommes.
Je vais laisser tout ça en sommeil pendant une semaine, le temps d'aller voir à quoi ressemble un 1er Août sur une montagne tessinoise. Au retour, on verra bien si l'absurdité de la démarche justifie l'éradication, ou au contraire le rajout d'une couche.
08:20 Publié dans Marées Noires | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Autant te demander à quoi sert tout ce que tu entreprends si tu n’arrives pas à en mesurer les effets concrets. Pense à l’effet papillon. Ne pas savoir ce que ça rapporte mais le faire quand même, c’est toute la noblesse de l’entreprise. Mais comme on dit au PS : je respecte ton choix.
Écrit par : MisteurCocktail | 29/07/2007
On pourrait presque en tirer une définition des réacs...
Un réac c'est quelqu'un qui ouvre un blog tout en sachant parfaitement la part de vanité, de suffisance dans ce geste, mais qui se dit que non, ce n'est pas possible de ne pas avoir au minimum tenté de relever le niveau.
Ce qui rejoint Gomez Davila:
Si le réactionnaire n’a aucun pouvoir à notre époque, sa condition l’oblige à témoigner de son écoeurement.
Écrit par : Polydamas | 29/07/2007
Les commentaires sont fermés.