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17/06/2008

SLAVE POWER

Le porno pour filles, c'est pas la charcuterie intello d'Ovidie, c'est plus la Collection Arlequin, c'est la téléréalité. Le spécimen de femelle que j'ai à la maison consomme ce qu'il se fait de pire en la matière. Je ne vois rien mais j'entends tout, la boîte-à-cons étant juste dans mon dos. J'en connais un putain de rayon, à force.

 

La première chose qui frappe, c'est le mélange de sensiblerie façon maman-de-Bambi-qui-meurt et d'exaltation de l'esprit de compétition le plus ignoble. Tout le monde est superpote avec tout le monde dans une course où les coups bas sont encouragés. Il arrive toujours un moment où telle ou telle médiocre ordure confie à la caméra que l'amitié c'est bien choli, mais qu'elle est là pour gagner et que ça justifie bien un coup de pute, une trahison, une dégueulasserie étalée devant toute une nation de cadavres à zappette. Mais ces guerres civiles en laboratoire sont noyées dans de l'easy listening, du sirop sentimental, tout un lexique si caricatural qu'il évoque le rituel d'une secte. Il faut être "généreux" ; il faut "donner tout ce qu'on a" ; il faut "aller jusqu'au bout de l'aventure" parce que c'en est une, et une belle. Chacun parle "avec son coeur", personne ne "triche", tous sont "sincères". On est "ému", "scotché", on dirait bien que ça nous "troue le cul" mais la grossièreté du vocabulaire est mal vue, contrairement à la vulgarité abyssale du comportement. Je te déchire la gueule pour trois francs mais je t'offre le mercurochrome emballé dans du strass. On touche là au fond répugnant de la féminité dégénérée, cocktail de cannibalisme et de mièvrerie, où la survacherie est tolérée du moment que les bonnes manières sont respectées.

 

white slave.jpgLa seconde chose qui marque, c'est l'impression de téléguidage rectiligne de ces observations de la vie ordinaire, par essence bordélique. Voilà pourquoi on picole, provoque des bastons, drague en boîte, s'endette pour des vacances, quémande des antidépresseurs à son médecin ou se jette sous un train quand rien n'a fonctionné comme prévu. Faire péter les stats d'audimat avec cette horreur ? Alors que tout le monde zappe sans pitié les documentaires animaliers ? Impensable ! La téléréalité n'a de réel que son étiquette, elle est à l'existence ce que le label Bio est à la nourriture naturelle. Son but n'est pas de nous immerger façon safari dans la vie de conneaux ordinaires, ce qui n'est jamais qu'une incidence. Ce qu'elle cherche avant tout, c'est à créer du faux avec du vrai. Parce que tout, absolument tout sonne horriblement faux chez ces acteurs amateurs de leur propre coma existentiel.

 

Il y a aussi toute la mise en scène saccadée, hystérique, "clipesque" qu'on impose à cette chair à audience. Un plan sur une altercation prise sur le vif est suivi sans transition d'un témoignage des protagonistes, puis on revient sur la scène originelle commentée par un narrateur omniscient, repassée au ralenti, zoomée, analysée, répétée jusqu'à l'écoeurement en nous soulignant bien les mots importants, les choses à retenir, comme les "principaux titres" que nous rappelle gentiment le saucissonneur de news du Vingt Heures. Dans les sommets de crasse que nous propose MTV, lesdits témoignages sont clairement surjoués, résumés en phrases-choc aussi spontanées qu'une allocution présidentielle. La connasse ordinaire et le blaireau moyen, censés être filmés dans leurs banales habitudes, singent les professionnels du spectacle en faisant de leurs pauvres vies un show millimétré, où tout ce qui pourrait déranger est nivellé. "Merde", "foutre" et "chier" se transforment magiquement en "bips" plus ou moins longs, assourdissant tout, aussi brutaux que des paragraphes caviardés dans un document déclassifié.

 

La vraie vie, c'est un truc long, chiant, monotone, où il ne se passe rien d'extraordinaire neuf fois sur dix. Il est suffisamment pénible de supporter la sienne et celle de notre entourage, pour ne pas encore s'infliger la dissection du quotidien d'exhibitionnistes habillés. Leur routine est donc savamment découpée, remixée, concentrée, pour n'offrir aux voyeurs que ses morceaux les moins fades. Et pour que la sauce ait un goût plus abject que notre propre quotidien, pour nous aider justement à en supporter la médiocrité et l'aspect cul-de-sac, on nous propose des visions de cohabitations démentielles, des rencontres improbables, qui garantissent des clashes et des coups bas qui sublimeront les petits crachats et les entorses que nous échangeons discrètement au quotidien.

 

C'est ainsi qu'on rentabilise le syndrome de Stockholm et la lutte pour le territoire. C'est uniquement ici que la réalité reprend  ses droits : glorification de la compète, tout est business, tactique, alliances stratégiques, calculs sordides - toutes les valeurs de la démocratie marchande discrètement enseignées, banalisées.

 

Tout ce qui rend notre vie pénible ou mièvre est distillé pour en augmenter la force et tartiné avec outrance. Car ce sont bien les histoires de cul ou les prises de tête qui passionnent cette immense part du public trop vieille ou trop cultivée pour se passionner au premier degré pour ces obscénités désinfectées. La cruauté et la tension sensuelle sont ce qu'avouent rechercher les accros honteux, comme pour se justifier de supporter les pitoyables prétextes musicaux ou artistiques qui sous-tendent ces nouvelles expériences de Milgram. La misère affective, la stupidité congénitale, la rêverie de midinette pas gâtée par la nature, toutes ces petites afflictions sont exploitées, violées, bafouées, pour captiver un public de larves rassurées sur leur propre sort en voyant pire ailleurs.

 

Dans ces univers parallèles s'étale ouvertement l'obsession de la staritude, d'être vu, d'être adulé, qui a toujours titillé les saltimbanques mais qui était encore camouflée jusqu'à récemment. "Faites du bruit pour..." l'abruti numéro 364, braille le maître de cérémonie. La télépoubelle concasse les rêves lyophilisés de paumés qu'elle a patiemment élevés pour ne rien pouvoir envisager d'autre. Le paradis est une plage des Caraïbes, une Merco flambant neuve, une bluette vomie en direct devant un parterre de pucelles, une poignée de billets qui iront combler une partie des dettes qui nous étranglent. Pour ces nirvanas Tupperware, on est prêt à montrer son cul, à s'y tatouer un logo, à foutre une honte éternelle à toute sa famille, même à l'embrigader publiquement dans un délire de grandeur emballé sous vide, à n'être qu'une capote humaine pour la bite des médias - enfilée, remplie, jetée, recyclée.

 

Ce matériau humain n'existe pas qu'à la télévision. Nous croisons tous chaque jour des gens encore jeunes qui n'ont comme imaginaire que ce qu'elle leur a appris. Il est compréhensible de gerber ces esclaves complaisants de la Boîte-à-cons, mais ce sont nos restes de pitié qu'ils mériteraient bien plus que des pains sur le groin. La fafosphère, il y a quelques temps déjà, s'est délectée du spectacle de "Clément le No-Life", dont la vidéo a été vue ici ou là sans autres commentaires que des insultes méprisantes. Alors oui ce jeune trouduc inspire un dégoût bestial dès les premières secondes, mais est-il pleinement responsable de ce qu'il est ? Il constitue un exemple parfait de cette génération élevée tout exprès pour les besoins du Bastringue Citoyen et tout en lui est représentation, show, artifice. Une dégaine de rock-star pour un gamin sans renommée ; des doigts qui s'agitent autour d'une guitare imaginaire ; des gonzesses virtuelles draguées sur Messenger, enfermé dans une piaule sans âme ; une langue à piercing farfouillant une vulve absente.

 

Délire. Autisme. Hallucination permanente.  

 

Pour un seul d'entre nous chez qui tout ceci distille et raffine la haine la plus pure, combien en qui cette dégradation volontaire sape, tout au contraire, les réflexes de sainte colère ? Parce que c'est bien ça, le but implicite de cette industrie de l'ordure pailletée : relever toujours plus le seuil de douleur et de nausée. Rendre banal l'inacceptable. Désensibiliser face à la déchéance et la perte de toute dignité basique. Rendre malléable - flexible, cette qualité suprême chez le domestique moderne qu'est l'employé du tertiaire. Rien de tout cela n'est une mode passagère ou un phénomène isolé, c'est au contraire un concentré du Zeitgeist, un manuel d'anthropologie pour comprendre ce qu'auront été les dernières heures de l'Occident, transformé en lupanar tropical aux murs couverts de slogans soviétiques.

Commentaires

Avant d'aller pieuter messire Stag, je ne sais comment vous complimenter sur votre texte pour une raison bien évidente: vous ne l'avez pas écrit pour cela, et je me sens tout con.

Néanmoins je ne relèverai que la justesse du propos, et les belles nervures de votre billet, dont cette image fulgurante:

"on est prêt (...) à n'être qu'une capote humaine pour la bite des médias - enfilée, remplie, jetée, recyclée."

Ah oui, vous avez ma compassion dans votre dure épreuve de TV réalité imposée... Damned on vous fait la vie dure, mais n'a-t-elle pas de la vaisselle à faire avant de regarder ces mièvreries carnassières? Enfin tant que cela vous inspire de tels billets...

A bientôt.

Écrit par : Tang | 18/06/2008

Laver la vaisselle, c'est son job, oui. Et puis tout ce qui entretient la rage insane est bon à prendre alors je ne lui en veux pas trop. L'horreur banale du quotidien finit par épuiser de lassitude, un petit fix concentré remet les idées en place et la testostérone à niveau.

Merci pour votre intérêt constant.

Écrit par : Stag | 18/06/2008

Gageons que ce jeune homme, le no-life, connaît ses classiques, tout comme vous-même mon cher GP :

"I have found
You can find
Happiness in slavery"

N'est-ce pas.

Écrit par : Georges-André Gaillard | 19/06/2008

Si je me rappelle bien, l'oiseau écoutait un genre de métal chrétien, mais pas Paradise Lost époque Shades of God. Alors allez savouare s'il ne se jette pas contre les murs en écoutant March Of The Pigs. Tout est possible de nos jours. J'ai rencontré un tout jeune mouflet pour qui Rammstein constitue d'excellentes berceuses et une gamine d'à peine 11 ans, t-shirts roses et rêves de vétérinaire, pas spécialement effrayée par Hatebreed. La colleque de Mp3 ne constitue certes plus une échelle fiable d'évaluation qualitative de nos contemporains.

Écrit par : Stag | 19/06/2008

Très bon texte, même si c'est une évidence.

La fin est la plus intéressante selon moi. Où s'arrête l'influence de l'époque, où commence la responsabilité individuelle...

Evidemment qu'il y a une action fondamentale de l'environnement, mais en sombrant dans la compassion nous n'arrangeons rien. Je préfère encore le dégout et le "on mérite ce qui nous arrive". Nous aussi nous vivons dans cette fosse à purin moderne, et pourtant nous nous en sortons mieux que la moyenne. Enfin je crois.

Écrit par : xyr | 19/06/2008

En vérité, je crois qu'il nous faut tous nous reconnaître une certaine fascination pour le néant

Écrit par : franz | 18/03/2009

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