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11/12/2007

CAUCHEMARS DU MARCHEUR SOLITAIRE

Courses alimentaires. Excellente occasion d'enfiler des vêtements et de sortir à l'air libre. Ça fait un moment que je marche. La ferme n'est plus très loin. Encore quelques centaines de mètres parmi la boue et les cailloux. Les bruits de la route encore proche s'effacent. Il fait un temps dégueulasse.

 

« Dieu fait des images avec les nuages, la pluie fait des miroirs dans la boue »…

 

Des morceaux de plastique sale pendent aux branches d'un arbre à moitié pelé. Comme ces trois ou quatre dernières années, les feuilles ont résisté à l'hiver. La planète qui meurt en se réchauffant sans doute. Il fait d’ailleurs relativement doux. J'ai de la terre plein les frocs jusqu'au-dessus du genou.

 

La mélopée de la pluie et l’odeur discrète du sol détrempé isole l’esprit, on se retrouve face à soi-même. Occasion d’un rapide état des lieux, un bilan du chemin parcouru et des choses qui restent à faire. Je pense aux opportunités manquées jour après jour de changer de vie. Des mois à passer d’un petit boulot à un autre. Interminables semaines creuses, démarches improductives, harcèlement administratif, avenir bouché comme un intestin constipé.

 

Des lignes anonymes hantent ma caboche fébrile dans cet environnement ramené à ses basiques.

 

 

Je fais des rêves. Je suis un vagabond, et je sillonne une France presque vide, avec seulement quelques habitants, resserrés autour de quelques hameaux. Il s’est passé quelque chose, un genre de cataclysme. Je suis soulagé, libéré d’un poids.

 

 Il y a de très grand espace à parcourir. Il n’y a plus de villes, on parle seulement de ruines, lointaines, mais cela inspire le dégoût à tout le monde. La forêt a repoussé, un peu partout. Je sais qu’il y a un peuple de la forêt, maintenant, dont on parle en chuchotant ; il y a autour d’eux beaucoup de mystères. On parle de Dieux terribles, et d’idoles secrètes. Moi, je redresse des cairns, aux carrefours de chemins abandonnés.

 

 

Beauté brute de ces visions. En résonance absolue avec elles. Passer sa vie à marcher en solitaire. Propager la Bonne Parole de la désespérance complète aux gens croisés d’une vallée à l’autre. Un effort physique ininterrompu pour soutenir une purification spirituelle de fond en comble. Ascèse marathonienne. Particulier échangerait vie chiante et avilissante contre existence brève, simple et dure.

 

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Le chemin de Saint-Jacques longe une bonne partie du lac, dit-on. On croise ça et là de minuscules panneaux qui l’indiquent. La seule signalisation qui force le respect. Elle emplit le patriote casanier d’une rage indescriptible de se faire nomade professionnel. Trois décennies passer à flirter avec la folie, les NDE bon marché, et l’obsolescence économique la plus absolue ; ça devrait suffire pour que les trois prochaines soient consacrées exclusivement à faire l’aller-retour entre Appenzell et Compostelle, jusqu’à ce que corps et âme s’accordent pour accepter de se coucher à l’ombre d’un pin et de ne plus bouger.

 

C’est la seule option raisonnable et cohérente. Rejoindre cette minuscule famille des apatrides par dégoût de ce que leur terre est devenue. Faire sa propre Sécession comme un stand-up activist. Emporter avec soi des glands de ce chêne planté par le grand-père et les semer le long de la route, dans l’espoir qu’ils servent un jour à réchauffer une famille moins dégueulasse que les autres, ou à pendre une ordure qui le mérite. De toute sa vie, ne plus toucher un papier à en-tête, un ordinateur ou un téléphone. Devenir ce qu’on ne pensait jamais pouvoir être, pour éviter de ne rien devenir du tout, digéré par les tripes de notre Grand Nulle Part collectif, cette chose qui ose encore s’appeler une Civilisation quand elle se prend un avion sur le coin d’une tour jumelle. 

 

Il y a peu d’amertumes comparables à celle qui te prend quand tu passes à nouveau la porte de ton appart en te disant que ça n’arrivera jamais. Que cent microlâchetés te laisseront patauger à jamais dans la médiocrité desséchante d’un quotidien amorphe. Tu ne verras jamais Compostelle. Tu ne feras que des randos éparses sur les sommets les plus proches. Ton épitaphe parlera d’un type assis dans une gare, intarissable sur l’Orient-Express ou le Transsibérien, mais qui sera né et mort dans la même salle d’attente, la face gluée à la vitre.

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Retour aux factures en retard, au jeu de rôle perpétuel, aux stratégies d’évitement, aux contrats à durée extrêmement déterminée, aux interrogatoires de ceux qui se demandent si on fait exprès ou si on a reçu un sort, et pourquoi on s’échine à leur parler toujours des mêmes choses qui les ennuient ou les foutent mal à l’aise en société.

 

Retour aux casquettes, aux dreadlocks, au bling-bling, aux singeries sous-humaines présentées comme de l’art à la fois raffiné et rentable. Revoilà les cortèges de trahisons unilatérales, de reniement de soi, de déification de l’Autre, de dilution massive comme aboutissement nécessaire du Progrès.

 

Revoilà la pornographie de la marchandise, où on se sert de sa Visa comme Rocco de sa troisième jambe, et où les cadeaux de Noël à moins de cent balles gênent ceux qui ont encore le culot de les offrir. Revoilà les entassements de bipèdes, anxieux d’arriver en retard à des boulots de merde, de devoir attendre quarante-huit heures avant de s’endetter pour un Iphone, de trouver une crèche pour le petit dernier qui n’était pas vraiment prévu au programme.

 

Revoilà la crasse revendiquée, la stupidité assumée, la saloperie de luxe, qui te salissent en retour, qui te renvoient le reflet insoutenable de ta collaboration à l’effondrement général, de ton impuissance d’esclave satisfait à provoquer le moindre remous dans cette vase qui absorbe tes hurlements comme un mur antibruit.

Commentaires

Pour la vision merveilleuse d'un monde allant en se dépeuplant vite suite à une anomalie solaire,je recommande:

"Le jour des fous" de Edmund Cooper.
Un grand cru pour misanthrope, à déguster.

Écrit par : marcel | 12/12/2007

Je devrais vous en vouloir de contribuer à rallonger une liste de "Bouquins à lire" qui a déjà l'air d'un serpent de mer. Mais bon, merci pour le tuyau !

Écrit par : Stag Nation | 12/12/2007

Oui, revoilà Noël. Ce qui fut autrefois, en ces temps infiniment lointains où existait encore cette chose aujourd’hui inconcevable qui n’est plus rien qu’un mot : une civilisation, ce qui fut jadis l’attente dans le feu calme des prières d’un avènement si formidable qu’il laissait hommes et femmes tout frissonnants comme au bord d’un abyme, du terrifiant indicible d’où allait surgir ce Verbe, cause de toute présence, raison et racine de l’existence de la plante de la bête et du rocher, explication expiation et rachat de cette poignée de glèbe faite à la ressemblance de Celui qui allait naître –ah, oui, comme c’était fou ! Insupportable à la raison ; et comme nous l’avons sainement remplacé, et qu’elle fière et forte joie nous en tirons.
Cette pauvre magnifique folie si grandiose n’est plus désormais qu’un homme aux mains déjà tremblantes, et il a 2000 ans en vérité, et le souffle court. Il n’y a pas de jeunesse autour de son illusoire puissance, rien que des petites croyances rabougries qui jouent à « avant ». Là où vibre encore un peu du vrai feu, au cœur des insomniaques, c’est à peine si on ose regarder le vieux monsieur… l’espérance est devenue la plus fragile des démences.

Mais le Remplaçant est là lui, et rudement planté les deux pieds dans Sa fête, je vous en réponds. Celui-là, vous ne l’attristerez-pas et n’allez pas croire que vous pourrez longtemps encore échapper à Sa joie ! Il fourbira le bonheur et fera reluire l’allégresse, nulle triste béance que festin ne gave. Aucun père n’échappera à Son bonheur, car aujourd’hui la paternité c’est la soumission.
Et rien ne craquera car tout à déjà craqué et depuis trop longtemps pour qu’on s’en rappelle vraiment. C’était…dans un autrefois chimérique. Et, maintenant…vite, habillez-vous apprêtez-vous au morne carnaval à ses fades orgies, vide d’étreintes, carnaval habité d’ersatz ; tous ces masques de foi gras, ces oripeaux papiers bariolés cadeaux qui DOIVENT déclencher bonheur gratitude Amour – car enfin, ils vous aiment ces proches, ce sont les vôtres et quand même, vous n’irez pas gâcher l’ordre… de la fête ; et Lui… - Il est heureux ! Vous pouvez l’appelez le Diable, le vide, la mort en marche ou bien la pourriture des civilisations mal enterrées, Il est, de toutes façons, le résumé de nos lâchetés, de notre échec, de notre usure.
Enfin, on l’aura quand même tenu éloigné quelques poignées de siècles, assez pour quelques cathédrales pour deux ou trois dizaines de musées déjà souillés de regards niais et de mornes déambulations … Et dans la lutte avec l’entité qui échappe jusqu’à nos mots , surtout, avec peinture vitrail et symphonies – il y aura eu assez de livres pour bercer la calme euthanasie qu’est désormais notre vie.

Sauf à sauter encore dans l’ancienne Folie qui au fond de l’âme brûle toujours du même feu vivace…

Écrit par : Restif | 12/12/2007

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