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15/12/2007

SURVIVRE ET LAISSER CREVER

On ne peut pas protéger les gens qui ne se protègent pas déjà eux-mêmes la moindre, ou qui n’ont pas au moins la volonté de ne pas crever. Un garde du corps peut souvent être plus gêné dans son boulot par son client que par les menaces extérieures : allez mettre à l’abri quelqu’un qui gesticule face au danger ou qui n’en est absolument pas conscient !


Quand on a appris par soi-même à ne plus digérer les mensonges ou à repousser un adversaire, tout semble relativement simple. Toujours poser des questions précises et ne pas hésiter à balancer des kicks dans les valseuses ou les genoux. Ça ne rend pas invulnérable, ça ne dispense pas d’une vigilance aiguisée et ça n’évite pas toujours de se retrouver la gueule en sang ou les finances en deuil. Reste que ça limite pas mal les dégâts. Alors on se dit qu’il suffit de faire passer les « tuyaux » autour de soi.


Mais lesdits tuyaux ne trouvent souvent pas preneur, parce que la plupart de notre entourage ne croit pas en avoir besoin. La pub ? Oh elle me donne pas envie d’acheter ! La propagande ? Oh j’y suis pas sensible ! Le travail de sape morale et culturelle ? On me la fait pas à moi ! C’est Les Gens qui ont besoin de ça, Les Autres, Les Cons, Les Moutons. Le troupeau, c’est toujours ceux qui nous entourent, même si on y est immergé jusqu’au dernier gramme de laine. Une grand-mère de mes connaissances, qui n’avait plus toute sa tête, se plaignait volontiers de ses séjours forcés en EMS, parce qu’il n’y avait « que des vieux » là-bas…


Effectuer son réveil politique complet est un travail à plein temps qui peut prendre des décennies – et non, on n’est pas réveillé quand on a remplacé les clichés de Monsieur Moyen par ceux d’un classeur à slogans. Alors prétendre éveiller les autres ? Encore faudrait-il qu’ils dorment pour de bon, et qu’ils ne se soient pas plongés délibérément dans un coma artificiel.


Le fait n’est pas seulement qu’un maximum de gens sont crédules, de bonne volonté, optimistes quant aux intentions et aux motivations des pires fils de pute qu’ils rencontrent. S’ajoute à cela un autre fait, beaucoup plus embarrassant : la naïveté toute aussi profonde des prétendus sceptiques.


39e255530bafdc807f0dccedbd44fd96.gifQuelques convictions soutenues par une poignée de stats et de documents ? Voilà qu’on s’intronise alors Grand Infaillible, qu’aucun arnaqueur ne peut jamais atteindre. La vérité, c’est que tout le monde se fait baiser un jour où l’autre, et plutôt régulièrement qu’une seule fois par existence. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas humainement possible d’être en permanence sur le qui-vive pour tous les aspects de notre vie. Il y a toujours des situations, des gens et des domaines qui nous inspirent assez de confiance pour que l’on baisse sa garde. La crédulité n’est pas une défaillance de notre système immunitaire mental : c’est une partie intégrante de notre instinct grégaire. Pas de cohésion sans confiance, et pas de survie hors du groupe.


Le plus endurci des solitaires doit chaque jour s’en remettre à la bonne volonté des gens qu’il fréquente. Il est forcé d’espérer qu’il recevra les services ou produits auxquels le paiement de ses factures lui donne droit. Il est obligé de considérer les gens qu’ils croisent comme a priori pacifiques ou bien intentionnés. Il n’a aucun moyen de savoir si ses prétendus amis sont sincères, si sa femelle simule l’orgasme ou non, si personne n’a craché dans sa bière le temps qu’il aille pisser la précédente.


Se croire critique et bien informé ne met personne à l’abri d’un piège grossier ou d’une maladresse de débutant. La sagesse du combat de rue peut s’appliquer à tous les aspects de notre existence : expérimenté ou pas, un jour tu gagnes, un jour tu perds. Il n’y a pas de magie, ni de technique capable de pallier aux défaillances naturelles de l’homme.


L’instinct tribal peut foutre un atroce complexe christique à celui qui croit son chemin éclairé par ses lumières. Si l’on a plus la tripe libertaire que flicarde – ce qui n’est pas forcément courant dans le milieu, quoiqu’on en dise – on peut renoncer à faire le bonheur des gens à coups de bottes et abandonner toute idée de prosélytisme classique.


C’est une autre histoire que de rester lucide sur ses élans de Rédempteur, de justicier chargé de sauver de l’extinction un peuple qui étale chaque jour sa volonté hallucinée de se dissoudre dans un magma métissé et consumériste, où chaque Citoyen bosse à la commission et se shoote à crédit en attendant son tour de gagner l’Euromillion.


Deux questions douloureuses auxquelles se soumettre chaque matin :


- Est-on à la hauteur de nos prétentions, avant d’expliquer aux autres qu’ils doivent calquer leur vie sur la nôtre ?

- Ces autres méritent-ils vraiment qu’on se casse le cul pour eux ?


Si vous avez un maximum de oui sur trois mois, vous faites partie d’une mafia qui pourrait m’intéresser, ou vous êtes enfermé dans un asile où nous pourrions bien un jour être voisins de chambrée.

 

On en revient à ce même vieux constat d’impuissance et de paralysie qui commence doucement à faire sa place dans les esprits dissidents. Trop tôt ou trop tard pour l’action directe qui nettoie les rues tout en salissant les trottoirs (Qu’un sang impur etc.) Inutile d’attirer l’attention de Monsieur Moyen sur des phénomènes qu’il voit aussi bien que nous, mais sans que ça lui stimule la glande à haine. Vase clos de toute propagande volontariste, écrite et lue par les mêmes cercles minuscules et hermétiques.

 

On peut bien gonfler les pectoraux, invoquer la sacro-sainte « Minorité inaccessible au découragement », se cravacher comme des pénitents – quand on rouvre les yeux, c’est toujours le même cul-de-sac. Et quand résonne l’incontournable « Alors on fait quoi ? », on n’a toujours rien d’autre que la même putain de réponse : « On attend… »

 

On attend. Parce qu’il n’y a absolument rien d’autre à faire. L’Histoire n’a pas besoin de nous en ce moment. Elle nous a mis au chômage technique sans préavis, sans indemnité, et les seules portes que nous ouvre sa lettre de recommandation sont celles de la pharmacie ou de la morgue.

 

Ça n’empêche personne d’attendre utile, en bossant son endurance, en entretenant ses réflexes, en structurant sa pensée et en étoffant son réseau social. Mais pas de conneries : rien de tout ça ne hâtera l’Heure H, si jamais elle sonne quand nous sommes encore chauds. Il n’y aura personne pour donner raison après coup à ceux qui se seront noyés en nageant à contre-courant. La postérité nous a déjà oubliés. Nos contemporains nous vomissent ou nous ignorent.

 

Tout ce qu’il nous reste à perdre, ce sont ces dernières illusions qui nous empêchent de « toucher le fond » de notre colère. Nous ne sauverons personne si nous ne commençons pas par nous sauver nous-mêmes. Nous ne travaillerons pas de manière productive pour l’autonomie de notre peuple si nous ne réalisons pas d’abord notre petite Sécession personnelle. Survivre en évitant la folie et laisser crever quiconque n’appartient pas au premier cercle du clan, voilà un programme à court terme qui semble très adapté aux conditions actuelles.

Commentaires

Seul ou entre nous...

Il faut se méfier aussi de soi.
Si individualiste que certains matins, je ne m'entends même pas avec moi même...

Écrit par : tyler | 15/12/2007

"Survivre en évitant la folie et laisser crever quiconque n’appartient pas au premier cercle du clan, voilà un programme à court terme qui semble très adapté aux conditions actuelles."

Je pense que c'est déjà ce que l'on fait. La plupart du temps, le contenu de "nos sites" n'a pas de vocation militante, de visée argumentative ou d'aspirations de recrutement, il s'agit beaucoup plus de "rester entre nous", et bien heureux ceux qui parviendront à nous rejoindre sans qu'on le leur demande. C'est qu'ils étaient déjà "des nôtres" avant, mais sans le savoir.

Nous restons soudés, nous réagissons déjà en communauté, nous nous inter-rassurons, confirmons nos avis, on les reformule, on parle des nuances de points de vue internes, souvent minimes, etc. Ce qui, en effet, contribue à maintenir une certaine relation communautaire, un microcosme de réflexions dont on sait qu'il échappe à notre boulanger, notre patron et parfois notre conjoint. On évite ainsi la solitude finale, et la folie.

Ton pessimisme est légitime, tout comme la conclusion que tu en tires, mais je pense que le "programme à court terme" dont tu parles est déjà appliqué "chez nous", la plupart du temps sans avoir conscience de ce que tu développes ici, de l'instinct grégaire, sans théoriser tout cela. C'est peut-être pas plus mal.

Écrit par : xyr | 16/12/2007

bien vu xyr...
s'il y en a que ca inspire de causer sans théoriser, ils peuvent toujours passer prendre un pot un jour...
http://forum.bistrotenface.org/list.php?3

Écrit par : tyler | 17/12/2007

Vous vous préoccupez encore beaucoup trop de la société,
C'est mort, fini, hs.
Enfin,si ça peut vous empêcher de devenir fou...

Écrit par : Restif | 17/12/2007

D'ailleurs -et ça me frappe vraiment - c'est curieux à quel point, au fond,vous êtes altruiste. On dirait parfois que vous êtes en rage contre cet amour des hommes que vous n'arrivez pas à tuer en vous.

(fin de ma pacotille neuronale,jussqu'à une prochaine attaque de ridicule -car si un blog est déjà ridicule,être un commentateur de blog...)

Écrit par : R | 17/12/2007

"Vous vous préoccupez encore beaucoup trop de la société"

Cet article propose justement de ne plus le faire.

"n dirait parfois que vous êtes en rage contre cet amour des hommes que vous n'arrivez pas à tuer en vous"

Cet article propose justement de le tuer. Au moins de l'oublier.

Écrit par : xyr | 17/12/2007

Certes, mais avec quelle passion! Imaginez un détachement qui n'a même plus souci de (se) convaincre.

Words, words, words...

Écrit par : Restif | 17/12/2007

Rafale de réponse :

@Tyler : l'enfer c'est effectivement les autres, Sartre avait au moins raison sur ce point ; mais le pire ennemi est soi-même, et ça c'est moins sûr qu'il en ait su quoique ce soit.

@ Xyr : J'espère n'avoir donné aucun "conseil" et m'en être tenu au constat. C'est juste qu'il est un peu plus douloureux de chier droit après dix ans passés à tordre du cul.

@ Restif : impossible de tuer ce salopard, en effet. Alors je le fous en quarantaine pour qu'il ne me fasse plus faire n'importe quoi. Ceci dit, quand on ne rêve que de sauver une toute petite partie de l'humanité, on tombe de moins que certains socialistes.

Écrit par : Stag Nation | 17/12/2007

Ps La dernière phrase est pour moi hein. Quoi que. Bon, de toute fçon,les "words",aussi dérisoires soient-ils (ce que nous savons) c'est pour l'instant tout ce qu'on a.

"En attendant la mort/ Je fume au nez des dieux de fines cigarettes" (Laforgue. Ce sont des words plaisants)

Écrit par : R. | 17/12/2007

Bonne quarantaine. De toute façon,même la lucidité est une passion. Et puis,osciller entre détachement et colère controlée n'est pas une mauvaise discipline.
Et puis quoi, il faut bien, quand même, se battre. Sans s'en gargariser. Ouh là ,j'arrive au stade "moral" : fuiyons.

Écrit par : R | 17/12/2007

"Survivre en évitant la folie et laisser crever quiconque n’appartient pas au premier cercle du clan, voilà un programme à court terme qui semble très adapté aux conditions actuelles."

C'est le plan que j'applique. nN ne force pas un âne à boire. Bon courage, moi j'ai mis 5 ans à accepter que l'on ne pouvait pas sauver les gens contre eux même.

Maintenant j'ai trois cercles de conniassances: mes amis qui ont mes convictions, des copains que j'aime bien, trop faibles pour arriver à mes idées et des connaissances.

Bon courage. De toute manière vous êtes obligé de continuer, à moins de vous suicider.

Écrit par : raph | 24/12/2007

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