18/03/2008
CONFITURE AUX COCHONS
Une des objections de Tang aux réakkks, à méditer soigneusement, est celle de rajouter plus de fumier dans la fosse, au lieu d'y faire pousser des fleurs. Créer de la beauté dans un univers de laideur serait un acte autrement plus subversif et courageux que nos diatribes possédées.
Pas la force de le faire, et pas l'envie ni le talent.
Aucun dissident ne peut s'empêcher, ça et là, d'en rajouter sur sa dangerosité pour le Système. C'est la version trash de Y en a point comme nous, une espèce de Crasse Pride, faire un étendard de la répulsion hypothétique des lâches comme des traîtres à notre égard. Ils sont plus rares, ceux qui assument franchement leur haine propre et personnelle. C'est dommage, parce que l'Ennemi véritable ne nous hait pas tant que ça. La haine est une émotion forte, irrationnelle, pulsionnelle, incontrôlable. On ne joue impunément ni avec la nôtre ni avec celle d'autrui. C'est pas un truc de tripes froides. Or quand on aspire à organiser la planète comme une grande robineterie de cash flow et de matériel humain, c'est préférable d'avoir des entrailles soigneusement congelées. C'est carrément un sine qua non.
Ceci fait que nous ne sommes guère que des chicanes dérisoires sur l'autoroute des mondialistes. Un Black Block fait plus de bruit et mobilise plus de flicaille - pour que dalle de plus, on s'entend, mais au moins certains y trouvent-ils une Schadenfreude agréable.
La plupart d'entre nous n'a pas la force de créer de la beauté parce qu'elle n'a pas celle de simplement exister en tant que menace sérieuse pour l'Ordre des hygiénistes. Nous avons grandi protégés de la faim et du froid, mais exposés à tous les pourrissements moraux et culturels. Toute la fonte soulevée et les kilomètres de forêts piétinés ont laissé notre âme chétive et poitrinaire. Mens insana in corpore sano. Bien chançards ceux qui peuvent encore avoir la force d'expulser leur dégoût de manière lisible.
Voilà bien la seule véritable force que le hasard et les erreurs de nos cornacs nous ont laissée : rajouter de la saleté à la saleté. On peut le faire dans l'espoir, irresponsable mais motivant, de battre les pollueurs à leur propre jeu, de les entraîner avec nous au fond de la fosse. On peut aussi le faire pour écoper à mesure la voie d'eau immonde qui nous y entraîne inéluctablement. On peut le faire encore parce qu'on n'a rien d'autre à foutre, bouffés par le tétanos terminal de la desesperance.
Ce dégoût coupe ensuite toute l'envie de lutter contre le tsunami de chiasse avec des raffinements et des délicatesses. Autant balancer un message à la mer sans bouteille autour. Ca ne rend personne insensible à la beauté quand il la croise, mais de là à la recréer... La matière première manque tristement et ce n'est pas en nous-mêmes que nous la trouverons, ne pouvant lui offrir qu'une humble chambre d'écho si elle daigne nous visiter parfois. Et puis, cet écho, répandu comme ça à tous vents ? Des clous : il ne s'adresse qu'à celles et ceux qui ont prouvé qu'ils le méritent. Ce ne sont pas les aspirants Prophètes ni les apprentis Meneurs de peuple qui manquent. Dès qu'un groupe rassemble plus de trois personnes, la lutte pour la domination s'installe : il faut de l'ordre, un chef, de la hiérarchie, de la subordination. Les galériens d'un côté, ceux qui leur donnent le tempo de l'autre, un peu plus haut dans l'échelle du fond de cale - mais à part ça on est tous des camarades égaux, hein ?
Nous autres qui n'avons jamais voulu marcher ni faire marcher au pas, nous voilà rapidement à la flotte. Déserteurs. La solidarité réservée au premier cercle du Clan, qui se résume facilement à une personne qui nous comprend à peine. On apprend à s'en foutre. A se concentrer sur le fait, essentiel, qu'elle ressente les mêmes torsions dans les poumons quand elle croise avec nous cette même foutue Beauté insaisissable et gratuite. Si ça se trouve, une femme émue aux larmes par un panorama sous la lumière de l'aube vaut dix hommes galvanisés par un discours guerrier. Et c'est une forme de sagesse sans clinquant et terre-à-terre de l'admettre une fois pour toutes : faire partager notre capacité d'émerveillement est sans doute le seul véritable talent que nous possédons.
Si nous en avions eu plus, de talent, autant que de force et de rage de vivre malgré tout, alors ç'aurait été différent. Peut-être que nous aurions eu la légèreté de plâner au-dessus de la marée noire. Mais nous y trempons jusqu'à la gueule, face collée au sol. On y respire mal, on y chante faux.
09:38 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
... et c'est le moment ou jamais de citer Jünger (dans Le coeur aventureux) :
Prenons garde au plus grand danger qui soit : celui de laisser la vie nous devenir quotidienne. Quelle que soit la matière à dominer et les moyens dont on dispose - cette chaleur de sang qui permet le contact immédiat ne doit pas se perdre. L'ennemi qui la possède a plus de prix à nos yeux que l'ami qui l'ignore. La foi, la piété, l'audace, la capacité à s'enthousiasmer, à s'attacher avec amour, quel qu'en soit l'objet, tout ce que notre époque dénonce comme sottise radicale - partout où nous le rencontrons, nous respirons plus librement, fût-ce dans le cercle le plus restreint. Tout cela est lié à cette très simple expérience que j'appelle étonnement, cette ardeur à s'ouvrir au monde et cette immense envie de s'emparer de lui, comme un enfant qui aperçoit une boule de verre.
Écrit par : Baroque et fatigué | 18/03/2008
Bonsoir Stag,
J'ai un peu honte de mon optimisme en vous lisant... Encore n'est-ce jamais qu'une posture de désabusé qui VEUT croire...
Mais XP a raison, il est urgent d'admirer. Et peut-être aussi de "partager" non pas avec un improbable collectif, mais avec le pèlerin du hasard. Je crois encore aux rencontres entre individus, je ne crois qu'en cela d'ailleurs.
Les réacs et au fond tous ceux qui se sentent des hommes devraient s'ils ne se sentent pas capable de créer du beau, diffuser la beauté (s'en faire la chambre d'échos, comme vous dites). Les réacs plus que les autres peut-être puisque leur culture est souvent grande et notoirement peuplée de déshérités.
En tout cas c'est à ce qu'il me semble depuis la rencontre de Restif que je souhaite reproduire plus fréquemment des passages marquants de mes lectures...
Non que je crois à l'utopie d'un monde rendu meilleur par ces offrandes peu couteuses, mais cela ne peut pas faire de mal.
A bientôt Stag,
Tang(uy)
Écrit par : Tang | 18/03/2008
"s'ils ne se sentent pas capableS"
Mille excuse, il faudra que vous me disiez un jour comment vous faites pour avoir une orthographe si sûre dès l'édition de vos billets et commentaires.
Vous imprimez chaque projection avant de la publier effectivement? C'est à croire!
Écrit par : Tang | 18/03/2008
- optimisme : n'en est-ce pas une forme pragmatique que de se préparer activement et systématiquement au pire ? Un Ami Imaginaire demandait récemment si je n'en faisais pas des tonnes, semblant croire que j'étais aussi glauque à la ville qu'à l'écrit. D'où ma précision sur ce tout petit cercle clanique pour qui on peut et doit encore faire pousser de rares fleurs sur le bitume.
- ortograf : je suis pas spécialement doué, avec un handicap supplémentaire en ce qui concerne les accents. Faut juste prendre le temps de se relire un peu, et de choisir les tournures de phrases dont on est absolument sûr :)
Écrit par : Stag y-a-pire-comme-pseudo-mais-pas-beaucoup | 19/03/2008
Les amis imaginaires sont généralement d'une exquise délicatesse. J'ai pu le vérifier à maintes occasions.
En fait je ne parlais pas tant d'orthographe que de concentration, d'attention... J'ai du mal à me relire sur écran comme je le fais sur papier en fait. Signe d'une parole dévaluée, sans doute. Des temps aussi peut-être?
Sinon comme pseudo, à une autre époque Jean-Marie Le Pen vous aurait fait des amis aussi...
Écrit par : Tang | 21/03/2008
Les commentaires sont fermés.