20/03/2008
PLUS JAMAIS (IL)SA
Avant qu'Ambrose (je crois qu'on le trouve ici, qu'il gueule si je confonds) n'en parle au Bistrot récemment, je n'avais jamais vu Ilsa la Louve des SS. Sérieusement. En même temps je n'ai toujours pas vu La Liste de Schindler non plus, pour dire le niveau d'inculture septimartistique où je croupis. Ceci n'explique guère cela, soit dit en passant. Mais voilà : on m'explique que c'est "un film de grand malade", alors fatalement ça m'intrigue. Alors je fouille et je trouve, je me fais une grande théière (feuilles de menthe et Gunpowder) et je regarde.
Et je me demande, bon dieu de merde, comment il est possible qu'on ne nous l'ait pas infligé au moins une fois par an sur Arte, et en praïmetaïme.
Bien sûr, il y a du sexe et de la violence. Il n'y a même que ça, avec par-ci par-là des lambeaux de scénario, comme des bouts de viande et de légumes en suspension dans la gelée d'une tête marbrée (en ex-France, on doit appeler ça du jambon persillé, sauf erreur). Mais enfin, du sang et de l'obscénité on en trouve à toute heure sur pratiquement toutes les chaînes de la boîte à cons. Pas plus tard que cet après-midi, on pouvait voir trois fringants altersexuels mâles se rouler des galoches et disserter des mérites de la technique de l'un ou l'autre, sur un (c)anal à prétention musicale. Quant à la violence, ce n'est pas ce qui manque les soirs où le téléjournal n'est pas trop occupé par les élections pour nous parler de l'Irak ou de l'Afghanistan. Or dans les deux cas, tripotages et charcutages nous sont proposés comme ça, tout crus, sans autre but que nous surinformer ou nous distraire massivement.
Je postule que la diffusion d'Ilsa aux heures de grande écoute permettrait un immense travail de Prévention, en faisant pour une fois un usage productif du cul et de la baston, et j'appelle solenellement les autorités spectaculaires à extraire des Enfers ce chef-d'oeuvre Citoyen (voire à plannifier un remake sous forme de sitcom avec Scarlett Johansson dans le rôle-titre). Ceci pour les raisons suivantes :
1) "On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre"
Le sexe et la violence sont tout ce qui passionne cette portion de notre jeunesse la plus susceptible de ne pas faire ses Devoirs de Mémoire. Les pros de l'animation socioculturelle ont pigé depuis longtemps la nécessité de rendre ludique tout apprentissage des fondamentaux. Pas une maniffe sans tam-tam et théâtre de rue très très amateur. Ne parlons même pas du Live Earth de l'été 2007, où des foules pubères ont pu tortiller des fesses en rythme pour sauver la planète. Or, à ce jour, la sensibilisation à la flagellation collective a été outrageusement peu fun. N'allons pas chercher plus loin la cause des lacunes des jeunes en matière d'Holocauste : toutes ces photos en noir/blanc, ces témoignages de vieillards qui ne savent pas même la différence entre un Ipod et un pacemaker, ces personnages historiques tous si moustachus qu'il faut les différencier selon la mèche de cheveux, quel ennui ! De l'action, putain ! Des coups de fouet ! Des paires de miches swastikées au fer rouge ! Vous allez voir comme elles vont crever le plafond, les moyennes d'histoire contemporaine !
2) L'Histoire est une chose trop importante pour être confiée aux gens qui l'ont vécue
Dernier douloureux exemple en date, Misha Défonce-moi et ses petites libertés prises avec l'interprétation des faits. Ca vous bricole des négassionnisses par wagons à bestiaux entiers, ça ! On ne dénoncera jamais assez les crimes commis au nom de l'indulgence envers la sénilité : atteindre un âge canonique ne donne pas le droit de raconter n'importe quoi et de tourner en ridicule des zartistes aussi drôles, intelligents et respectables que Guy Bedos (qui lui n'est pas du tout sénile, insistons là-dessus.) Il importe donc que les réscapés des Heures Pas Claires confient leur mémoire à des spécialistes en communication, histoire d'éviter de nouveaux cafouillages désastreux. Il faut en outre que l'enseignement de l'histoire s'affranchisse des faits bruts et se concentre sur le message à retenir ici et maintenant. Ne laissons plus les Faurisson et consorts semer le doute avec des archives poussiéreuses : mettons directement la fiction au service de la réalité !
3) Une allégorie facile à comprendre vaut mieux que des faits ambigus
Une étude indépendante de la Seconde Guerre mondiale est dangereuse pour les jeunes esprits, car elle pourrait leur faire croire que tous les camps en présence comprenaient leur lot d'ordures, de lâches et de héros. Qui sait ? De jeunes punks pourraient même être tentés de salir la mémoire des Alliés en montant en épingle les délicats incidents du bombardement de Dresde, du torpillage du Wilhelm_Gustloff ou des indélicatesses des troupes coloniales vis-à-vis des Européennes libérées par leur soin... L'essentiel, c'est que chacun sache que les nazis étaient de vilaines personnes et tous les moyens sont bons pour marteler ce fait central, surtout si peu de temps après la fin du conflit.
De ce point de vue, Ilsa atteint en une heure et demi des objectifs que six heures de Claude Lanzmann ne font qu'effleurer. On y voit des Allemandes pisser sur des officiers SS aux dents pourries, de séduisants prisonniers sexuellement infatigables, des tortures auxquelles le Divin Marquis lui-même aurait à peine pensé, tout est dit de manière simple, concise, facile à mémoriser pour les écoliers les plus cons culturellement défavorisés. Plus d'arguties éreintantes entre historiens pointilleux ! Plus de contestation de crimes imprescriptibles ! Le marché est cash, d'entrée de jeu, à l'image des Miracles des parvis d'église ou du théâtre chinois de la Révolution culturelle ! Ne demeure que des images-choc qui, grâce à la licence poétique, peuvent "résumer" les grands événements en spectacle accessible à tous, débarrassé des lourdes conventions académiques.
Il importe donc de déclarer au plus vite le classique de Don Edmonds Oeuvre d'utilité publique et d'en distribuer des copies dans les cours d'école. Peut-être faudra-t-il aussi penser à coller un petit avertissement sur la pochette, du genre "Les activités mises en scène par ce film sont mal et ne doivent pas être imitées, même si on s'appelle Youssouf Fofana."
09:20 Publié dans Chez les boniches de la Zone Grise | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Surtout que la mère Ilsa s'est recyclée par la suite, donnant lieu à une trilogie qui explique bien des choses :
Ilsa Tigresse du Goulag n'étant rien de moins qu'une SS en cavale, qui cherche a renouer avec une monde carcéral qui décidément lui va au teint, il apparait que le communisme et sa pureté originelle ont été principalement pollués par les transfuges du régime honni, secondés de quelques cosaques mercenaires.
Écrit par : Le Bâtard | 20/03/2008
Quand même, ça troue le cul, ce concept de "nazi porn"... Est-il seulement imaginable qu'un réalisateur ou qu'un auteur se lance dans un style pareil à notre époque, pourtant pas si éloignée ? A part Jean-Louis Costes, je ne vois que Jonathan Littell - mais si j'ai bien compris, il a été pris au premier degré et salué comme un grand auteur très sérieux, c'est à n'y rien comprendre.
Écrit par : Stagoulag | 20/03/2008
j'adore toujours autant votre blog...
Mais là n'est pas mon propos . Apres une rapide recherche sur un logiciel d'"acquisitions parallèles", il y a aussi dans la série des "Ilsa" ( comme il y avait des Martine...) : Ilsa Harem keeper of the oil Sheiks (1976)...
Tout un programme!
A continuer a vous lire.
Écrit par : waterman | 21/03/2008
Le plus cocasse étant que c'est en Israël que ce phénomène de Nazi Porn fonctionnait le mieux ...
http://libertesinternets.wordpress.com/2007/10/23/la-fascination-bizarre-disrael-pour-le-porno-nazi/
Écrit par : Le Bâtard | 21/03/2008
Semblerait qu'Israël ne soit pas épargné non plus par les skins xénophobes et les librairies révisos, on n'est donc plus à une cocasserie près. Et puis gore officiel ou porno clandestin, on reste dans le registre de la pure fascination, de l'hypnotisme collectif, une idolatrie primitive qui touche les fanatiques pro et contra dans les mêmes proportions....
A ce jour, je n'ai rencontré qu'un seul Ashkénaze (d'ailleurs fort mécréant et grossiste en revues porno...) qui professait se contrefoutre de la Shoah. Le fait est que face au devoir de mémoire obligatoire, ce n'est pas l'insulte ou la contestation des faits qui apparaît comme la marque d'indépendance absolue, mais bien la mise en pratique du droit à l'indifférence.
Écrit par : Sta(la)g | 21/03/2008
La religion holocaustienne et son pendant sont effectivement de l'ordre de la sensibilité épidermique, du pavlovisme le plus absolu. A partir de là, toute réflexion s'y référent, dans un sens ou dans l'autre est marquée du sceau de l'irrationnel.
Reste que les années aidant, tout le monde finira par s'en contrefoutre. Tout passe, et les générations à venir se sentiront de moins en moins concernées par ces psalmodies fondamentalement chiantes.
Le disparition de l'idée même de mémoire collective dans le grand rien marchand emportera tout cela de toute façon. Au grand dame des derniers rentiers du phénomène, qui doivent commencer à s'en rendre compte si j'en crois l'offensive générale sur le sujet dans les médias français.
Quand à notre attitude en attendant, vous l'avez bien dit : l'indifférence au pire, un sourire amusé au mieux (discret le sourire) ...
Écrit par : Le Bâtard | 21/03/2008
Comme quoi, les critiques cinoche les plus laconiques peuvent donner lieu à de longues et savoureuses exégèses...
J'avais la flemme ;°)
Écrit par : Amby-Rôtie | 24/03/2008
Ce qui est triste avec le deferlement de foutre mou des blandices de foutriquets éclaboussant esprits et écrants, c'est que ça masque le creusement de l'abyme dans le langage.
-Paul Ceilan. Où comment une langue en s'engoutisant a donné sa fleur ultime. Car le vrai crime des nazis, c'est d'avoir contaminé la langue même,en son lyrisme, et d'avoir brisé cette terre de fructifications des Génies qui avait nom l'Allemagne et dont il me reste que le fantôme infiniment dérisoir.
Écrit par : Restif | 24/03/2008
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