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17/04/2008

HAPPINESS IN SLAVERY

D'habitude, Capital, ça cause de la vie des riches ou de la manière de s'offrir des vacances de bourges, ce genre de choses fondamentales. Ce dimanche soir, c'était un numéro spécialement consacré à la promotion de la servitude économique volontaire, avec une belle galerie de portraits dégradants. Ca a trente balais, c'est fun et tendance, et ça s'expatrie chez les bougnoules, les bridés ou les yanquis pour "faire fortune" et "chercher l'aventure" dans de "nouveaux Far-West".

 

La fortune, c'est trois fois le salaire français sans papiers ni qualifs, mais pour trois ou quatre ans maximum, dans des conditions d'hébergement effrayantes, au contact de grouillements humains cauchemardesques, dans des dédales de verre et de béton floutés par des brumes toxiques permanentes.

 

L'aventure, c'est s'entasser à huit dans une chambre d'auberge de jeunesse en guise d'appartement, ou dans une caravane recouverte d'un revêtement thermique opaque histoire de ne pas dormir en anorak, avant de retourner au bureau pour peaufiner le portrait d'un Afrootballeur destiné à un jeu vidéo sportif pour ados obèses.

 

Le Far-West, c'est la loi du plus friqué, dans des Etats où le libéralisme permet et promeut la destruction de l'environnement, les sous-jobs jetables, les formes les plus dégradantes du salariat moderne - comme par exemple cette Chine où on ne boycotte décidément pas tout à la fois, et qu'on taquine pour son communisme tout en applaudissant ses efforts de Croassance.

 

Mais tous ces jeunes gens trouvent ça formidable. Ils sont Français, souvent très recherchés pour cette AOC dit-on, mais ils ne sont de nulle part. Tout lâcher pour vivre trois ans à Dubaï, puis six mois à Vancouver, puis quatre trimestres ailleurs où sévit la mégalomanie financière ou immobilière, ça leur va. L'essentiel, c'est qu'il y ait suffisamment de nightclubs et qu'on puisse tutoyer les collègues pendant la pause Café-What-Else. Ne penser à rien pour agir global. Le stade suprême de la spéculation humaine, en somme. 

 

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D'autres s'endettent pour reprendre un bistrot et en faire un lounge à canapés blancs et sushis lyophilisés, juste le temps de rempocher leur mise de départ et de se faire un pourcentage au passage. Ces esclaves volontaires vont plus loin, en investissant carrément leur vie, en boursicotant avec leurs propres "ressources humaines", plantes vertes qui trimballent leur pot d'un continent à l'autre en suivant les nuages de pluie. Voilà le prix à payer quand on veut exhiber, sur un gigantesque écran plat, les photos de ses vacances dans un bungalow collectif sur une île, comment elle s'appelait déjà ? Enfin une île et c'était vachement bien, tu vois. On les comprend. Ils ont bossé dur. Alors ils les méritent bien, ces vacances. C'est pour elles qu'ils ont bossé si dur d'ailleurs, et qu'ils sont allés vivre près des derniers cercles de l'enfer urbain occidentalisé.

 

Inutile d'expliquer à ces gens-là qu'ils ne sont pas leur travail ; ils sont leur week-end et leurs primes au rendement.

 

Leur spectacle pourrait être glaçant, il est à peine pitoyable. Ce n'est pas comme s'ils nous vendaient une grande réussite personnelle, à la force des reins et du poignet, dans des terres hostiles où tout est à construire. Leur mise en scène n'a rien de Bollywoodien, elle est terne, mesquine, carcérale. De grands sacrifices et un exil radical pour des miettes hâtivement grapillées d'un fuseau horaire à l'autre. La torpeur du décalage horaire conçue comme un quotidien très banal. Tout ça pour que dalle de durable. Leurs racines arrachées de la terre d'Europe ne se plantent pas dans leur coin du lupanar mondial ; ils vivent perpétuellement hors-sol. L'arnaque est flagrante, le bon plan pue le bricolage au rabais et la pub si outrageusement mensongère que personne n'y croit d'entrée de jeu.

 

Les globalistes nous font une séance Nostalgie Des Trente Glorieuses, comme d'autres radasses imbitables à la Amy Winehouse recyclent Aretha Franklin. On va faire semblant, comme avant, du temps où ça marchait, où tout le monde pouvait croire à un destin de Golden Boy en partant de que dalle. Vous aussi vous pouvez connaître un destin magique, si vous vous donnez les moyens de vos ambitions. Vous aussi vous pouvez finir red-en-chef en commençant par vendre des journaux à la criée. Vous pouvez être le prochain Bill Gates, ce nerd entouré de hippies qui s'est retrouvé à la tête d'un Empire.

 

Ca a plutôt bien marché pour nos parents, cette course de lévriers. Pour nous autres, ça soulève déjà moins d'enthousiasme, parce qu'on a pigé que le lièvre n'était pas mangeable. Même les suceuses prosélytes qui étalent leur soumission à l'écran suintent un vide existentiel si total qu'on en a mal pour elles - à leur place plutôt. Mais pas longtemps. A les voir tortiller du croupion entre dédales de bureaux et boîtes de nuit identiquement glauques partout sur le globe, on se dit que, décidément, manier du shrapnel artisanal dans une bicoque perdue du Montana était une carrière d'expatrié particulièrement séduisante.

 

PS : jamais fait autant de fautes de frappe ou de grammaire depuis longtemps, purée. Merci à Sam pour m'avoir signalé les oublis d'une première relecture...

Commentaires

J'ai aussi vu le reportage, Saint-Martin, et si j'ai beaucoup aimé ton analyse "littéraire", je trouve qu'elle aurait pû être plus poussée vers le plus "sérieux":

1) on pourrait aussi dire que si ces jeunes quittent la France pour adopter de tels boulots/modes de vie à l'étranger, c'est que la situation en France au niveau emploi/niveau de vie doit être encore pire.

2) du point de vue des "valeurs", on remarque ces jeunes-là sont très loin du fantasme de la "gôche": ils se foutent des inégalités, des 35 heures, des Droadlom, etc... tout ce qu'ils veulent, c'est gagner plus, plus rapidement, être mieux intégrés au système capitaliste.

Ce deuxième point à lui tout seul explique toutes les désillusions de la gauche électorale depuis 1989. C'est probablement moins littéral, voire "moral" que ton analyse, mais c'est politiquement incontournable, il me semble.

Écrit par : Tyler | 19/04/2008

Excellent résumé à la fois du reportage et de la réalité. La vie des expatriés est incroyablement glauque, et ils ont bien du mal à transmettre leur pseudo-enthousiasme.

@Tyler
Ça peut-être vrai pour certains, ceux qui n'ont pas des diplômes exceptionnels, ça peut le faire sur un CV. Mais de retour en France, c'est toujours difficile. De plus le niveau de vie de ces expats (je ne parle pas des banquiers-financiers parachutés par leurs boites, hein) n'a rien d'incroyables. Les attractions touristique du pays leur donne une sensation d'exotisme. Au bout d'un mois, ils ont fait le tour.

(sinon pour le point 2, on peut entendre chez eux des excuses de gauche à la Adam Smith, la réussite de quelques-un profite à tous, etc... )

Écrit par : il sorpasso | 19/04/2008

Bonjour Saint-Martin,

Ces gens-là n'ont qu'une patrie depuis toujours. Qu'est-ce que cela changerait au néant moral de leur vie s'ils restaient en France? Rien.

Vivre hors-sol, oui c'est cela sans doute. Ce n'est pas inintéressant (qu'est-ce qui l'est? même observer ces chimères ne l'est pas tout à fait) mais pour l'avoir vécu (dans d'autres conditions vous vous en doutez) on est sans doute déraciné, là-bas on vous dit que vous êtes à la maison mais c'est faux bien sûr et pendant ce temps on vit extrait de la culture (enfin je me comprends, Goldorak puis C'est arrivé près de chez vous) à n'y rien comprendre quand tu débarques pour une mise en terre prolongée.

C'est sûr ça a un côté malgré tout rassurant un coin de terre (ceci dit sans mépris) peuplé (vous me comprendrez) où revenir. Cependant je ne suis pas bien sûr d'y avoir été attaché autant par la terre que par les gens que j'y ai connus (aimés). C'est une hypothèse assez Damasienne si vous avez lu La Horde du Contrevent. (très bon roman SF quoique venant d'un affreux gôchisse)

Cela dit j'aime autant, le régionalisme con-con du Bretagnikistan, non merci. Et puis ne pas partager certaines références ma foi on se fait une raison (ou une "culture" avec "c'est arrivé près de chez vous" je veux!)...

Je m'éloigne un peu, du sujet, mais pour y revenir cela me fait penser aussi à un vieux billet sur l'immigration que j'avais écrit après qu'une immigrée s'était définie comme "bâtard".. Cela peut apporter de l'eau à votre moulin (qu'il tourne, et les anguilles glisseront...).

En y repensant c'est tout à fait cela d'ailleurs, une anguille, ce que l'on devient dans l'entre deux d'expatrié. Pour cela sans doute que j'aime les villes fluviales.

Bien à vous Saint-Martin,
Et désolé pour le quart d'heure nostalgie, ce commentaire est surtout méditatif.

Écrit par : Tang | 24/04/2008

Bijour le Tang.

Pour aller jusqu'au bout du raisonnement et donc de l'autocritique, il faudrait admettre qu'on vit hors-sol même quand on n'a jamais vécu ailleurs que chez soi. De ma fenêtre, on voit des poubelles, du tuning au rabais, et la facade d'un immeuble peuplé de fort peu de compatriotes. J'échange sans hésiter contre une île d'Irlande. Si je n'avais pas vécu un peu à la cambrousse, l'idée même d'enracinement patriotique ne m'aurait jamais percuté. Un citadin pur jus peut être facilement natio, raciste, identitaire, chauvin, mais patriote ? Presque impossible, techniquement.

Pour ma part, je ne suis attaché qu'à la terre, très indépendamment des gens qui y vivent et qui ont de moins en moins la même gueule que moi. Quant à ceux qui l'ont encore, leur comportement m'étrangle de dégoût la plupart du temps. Je ne retrouve un peu de paix et de joie qu'en contemplant le Léman depuis une hauteur isolée de Lavaux ou de La Côte.

Dans ces moments-là, d'absolu détachement et de "diogénisme" parfait, j'en viens à me dire que la mort de mon peuple me chagrinerait assez peu si elle ne s'accompagnait pas de la naissance d'un magma humain pour qui MSN, Tokyo Hotel et la capoeira constituent la seule culture classique imaginable. La Mort avant le Déshonneur, vous savez, ce genre de trucs clinquants. Mais allez expliquer ça à quiconque. A croire que pour conserver un semblant de vie sociale, mieux vaut encore entretenir en soi quelques vestiges de crispations doctrinaires : on ne peut même pas compter sur la haine durable d'un ennemi sans eux.

Mes saluts et au plaisir,

SM

Écrit par : Stag | 24/04/2008

Très intéressant votre distinguo "citadin/paysan". C'est précisément une critique que je comptais (et compte toujours) développer à l'encontre de ceux que j'ai envie d'appeler les réacs en plastique (même pas en papier).

Ce sera l'occasion d'en remettre une couche à propos de cette charmante espèce qui retient mon attention...

Pour le reste ma foi vous poussez ici votre raisonnement en son terme, riant cela va sans dire. Et puisque je ne l'ai jamais dit, allons-y: j'apprécie votre intégrité (un autre temps, qu'importe le clinquant) au delà de certaines divergences de vue qui par ailleurs font sans doute l'intérêt de ces échanges même si c'est énoncer un affreux lieu-commun)

Bonne journée et merci bien SM,

Tanguy

Écrit par : Tang | 24/04/2008

PS: Précision pour l'ami restif que je ne voudrais pas peiner par une critique allusive: quand je parle de régionalisme étriqué je sais à qui je pense, une foule de jeunes gens arpentant les couloirs de fac de lettres et qui ne rien vont vous chanter la langue bretonne et Di-Wan sans savoir aligner deux mots en breton et sans rien connaître de la culture dont ils se réclament. Cette sorte de gens m'irritait.

Écrit par : Tang | 24/04/2008

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