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25/10/2009

CAU

De cette résignation à ce qui n’est que possible, nos sociétés sont en train de mourir. Le Maître et le Héros sont devenus, à nos yeux, des hommes dangereux et nous souhaitons, par bassesse et démission, être des esclaves endormis aux traits singuliers effacés par une générale ressemblance. Qu’un Maître apparaisse et il serait celui par qui le scandale de nos lâchetés arriverait. Et nous le lapiderions. Et nous l’accuserions de nous déranger parce que nous préférons, tassés au fond de la caverne, nous mélanger confusément et perdre tout souvenir de la lumière de la vie. L’Occident ne comprend ni son angoisse ni sa décadence et bredouille des milliards d’explications. Il n’en est qu’une : le triomphe de la moralité de l’esclave sans maître. Refuser d’entendre cela, c’est se boucher les oreilles en croyant que le tonnerre ne gronde plus dans le ciel.

 

-          La foudre vous détruira !

-          Non, je n’entends pas le tonnerre !

-          Si seulement vous étiez sourds !

 

Hélas, c’est plus méprisable : vous avez peur.

 

Cau, dans Le Temps des esclaves, décrit avec consternation ce qu’il voit advenir ; nous, qui sommes nés bien après l’Effondrement et n’avons connu que des décombres de culture, n’avons pas le luxe de cette consternation. Dès notre enfance, nous avons été stupéfaits ; nous nous sommes frottés un cuir encore souple à des immondices qui nous ont dégueulassés, et faits grandir tordus sans espoir de redressement. Cau appelait à une réaction de dernière minute ; notre existence est la preuve atroce et quotidienne qu’il n’a pas été entendu. C’est pour empêcher l’avènement de notre génération que des hommes tels que lui ont gueulé une vie durant, pour éviter que l’Occident devienne ce que nous sommes. Bien essayé, perdu.

 

On voudrait trouver quelque réconfort cathartique dans ces crachats qui sonnent déjà si vieux. Mais c’est une caféine légère pour nos besoins d’électrochocs. Le ton est cinglant, mais quand on voit ce qui le motive, tout l’avilissement de notre condition nous saute à la gueule avec une rage renouvelée. L’homme s’efface en se conchiant, écrivait Cau il y a quarante ans, parce que la Bombe rend la guerre impossible. Pour nous aussi elle semble impossible, mais nous n’avons même plus de nucléocauste à redouter pour nous justifier. Nous fonctionnons sans cette menace originelle; nous l'avons assimilée.

 

Cette Peur et cette Raison dont les vapeurs amollissaient les contemporains de Cau, nous les avons respirées dès la naissance à nous en faire péter les poumons.  Ses prophéties frénétiques se voulaient peut-être des baffes dans la gueule des indécis ; elles sont notre banalité, des choses auxquelles plus personne ne fait vraiment attention :

children_Of_The_Grave.jpg

 

Demain, la race. Il y a eu la horde, le clan, la tribu, la province, le royaume, la patrie, la nation, l’Etat. Demain, la race. Blancs contre Jaunes. Noirs contre Blancs. Imaginons le Blanc vaincu et, à son tour, devenant « homme de couleur » ! Après tout, le blanc en est une. (…) Nous avons vu monter les tolérances. Nous voyons chaque jour que nos sociétés reculent un peu plus la cote d’alerte. Faute de guerre qui lancerait un appel au secours aux valeurs. Du coup, la notion d’opprimé s’élargit à tout : hier aux prolétaires ou aux colonisés ; aujourd’hui aux noirs, aux femmes, aux enfants, aux étudiants, aux prêtres (qui se disent opprimés par l’Eglise !). Demain à la condition humaine, toute entière. « Nous sommes hommes ; donc opprimés ! » Mais par qui ? Par Dieu ! soit, liquidons-le. Alors par qui ? Par les « tabous » ! soit liquidons-les ! Et demain la société parfaite. L’Eden. On mesure l’étendue proprement folle de cette sottise. Ses thuriféraires la croient universalisable et ignorent que, comme la « liquidation des tabous » ne sera pas générale, ce seront les mainteneurs de tabou (les Chinois, par exemple, ou n’importe qui) qui dès lors seront les maîtres.

 

Les utopistes sont condamnés à être opprimés.

Les chantres de la liberté absolue sont condamnés à la servitude.

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