14/01/2010
LA DEMISSION, C'EST LA LIBERTE
Dans le régime parlementaire le peuple n'exerce pas le pouvoir. Il ne fait plus de lois, il ne gouverne plus, il ne juge plus. Mais il dépose un bulletin dans l'urne, sorte d'opération magique par laquelle il s'assure d'une liberté qui n'est plus dans ses actes quotidiens. C'est sous la forme de la démission que se manifeste la vie politique : démission du peuple entre les mains de ses représentants, démission de la majorité parlementaire entre les mains de son gouvernement, démission du gouvernement devant la nécessité politique incarnée par les grands commis de l'administration. En régime parlementaire, l'abdication de la volonté populaire se fait en détail et pour un temps limité entre les mains de quelques-unes. Dans le régime totalitaire, elle se fait d'un seul coup entre les mains d'un seul. [...] Ce qu'il y a de grave ce n'est pas l'acte de céder à l'État qui est inévitable, mais de tout lui abandonner en appelant cette aliénation Liberté. [...]
Le progrès le plus important accompli par l'État au XIXe siècle, le plus lourd de conséquences pour l'avenir, c'est sa main mise sur l'enseignement. Jusque-là, dans la société occidentale l'enseignement était laissé à l'initiative des individus ou des groupes. Le roi protégeait ou surveillait, mais même quand il fondait le collège de France, il ne lui venait pas à l'idée d'instruire. Aujourd'hui, de cette indépendance de la fonction enseignante, à peu près rien ne reste en France, sauf quelques privilèges désuets dans la discipline intérieure des facultés, par exemple le droit pour les doyens de refuser l'entrée des bâtiments universitaires à la police. [...]
Peut-on dire, au vu de ses résultats, que l'extension de l'instruction publique ait réellement aidé l'homme à devenir meilleur ? S'est-elle préoccupée de forger son caractère et sa volonté ? A-t-elle éveillé en lui un sens plus vif des fondements de son existence ? En lui apprenant à lire et à écrire, lui a-t-elle appris à penser par lui-même ? Ces questions sont stupides et ne comportent pas de réponse, car elles n'ont même pas été posées. Pour le XIXe siècle, il était bien évident que le progrès humain devait nécessairement aller de pair avec celui de l'instruction et des connaissances. Et il a ainsi préparé un nouveau type d'analphabète, la brute au cerveau bourré de mots, bloqué par l'imprimé. Le lecteur du journal, l'intoxiqué de la propagande.
Oubliez qu'il y a Delacroix en couverture et lisez le reste des extraits ici.
14:34 Publié dans La Zone Grise | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
"Voter, c'est abdiquer; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c'est renoncer à votre souveraineté. Qu'il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d'une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu'ils se chargent de les rédiger et leur mission est de vous faire obéir.
Voter c'est être dupe; c'est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d'une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l'échenillage des arbres à l'extermination des peuplades rouges ou noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l'immensité de la tâche. L'histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.
Voter c'est évoquer la trahison. (...)
N'abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d'autres, défendez-les vous-mêmes; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d'action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c'est manquer de vaillance.
Je vous salue de tout coeur, compagnons."
Elisée Reclus, Lettre adressée à Jean Grave et insérée dans Le Révolté du 11 octobre 1885.
Écrit par : Ns | 16/01/2010
A propos du système d'éducation Ivan Illitch disait la même chose sur l'absence de liberté que porte en lui un système étatisé, sur l'impossibilité de mener à bien la faubleuse égalité des chances sur la contre-productivité d'un système conçu et orienté vers les masses, Lawrence était aussi passé par là, rien n'y fait on continue
Écrit par : memento mouloud | 19/01/2010
Les commentaires sont fermés.