Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/07/2010

CHASSELAS 101

C'est bientôt l'heure de faire péter les topettes et d'enterrer une nouvelle semaine, causons picrate.

 

Bob Pied-Noir espérait quelques lignes sur « le vin suisse ». C'est pour l'obliger que je ponds ces  quelques lignes sur un sujet beaucoup plus restreint, à savoir quelques choses que je sais de certains pinards que l'on fait sur mes terres vaudoises, dont la beauté n'a d'inverse proportionnelle que la piètre qualité de ses habitants, mais je m'égare. Digresser en guise d'intro, ou l'art d'estourbir le plus bienveillant des lecteurs. Passons.


Un cépage y exerce une domination d'autant moins contestée qu'il est autochtone : le chasselas. On lui a inventé des origines exotiques, mises à mal par les dernières recherches en la matière. Il s'épanouit le long du bassin lémanique; pratiquement partout ailleurs, il s'acclimate si mal que beaucoup de vignerons ricanent encore à l'idée qu'on puisse en tirer un vin buvable. S'il est connu en-dehors des frontières helvètes, c'est parce qu'il sert plus volontiers d'échelle pour mesurer la maturité des autres cépages. En Valais, il se désigne sous le nom de Fendant, mais pas de gourance: c'est bien le même individu. Il y a quelques décennies, des fonctionnaires ont cru très intelligent de le baptiser du nom idiot de Dorin dans le canton de Vaud, et de Perlant à Genève. Ces pseudos humiliants ont heureusement disparu depuis.


Pas évident de le décrire à qui n'en aurait jamais bu. Au palais vaudois, il paraît constituer un archétype, une base universelle, un produit si basique qu'on ne voit pas pourquoi on lui concéderait plus de prestige que le pain ou l'eau plate. Jusqu'à une époque récente, ce tranquille mépris paysan a poussé bien des caves à fourguer des merdes sans nom au consommateur, censé ne faire de différence qu'entre le blanc et le rouge. A l'inverse, le dégustateur hexagonal qui le découvre risque d'être surpris, voire de n'y rien comprendre, comme me le confiait récemment un amateur pourtant plus éclairé que ma pomme sur la question.

 

chasselas.jpg

 

Posons quelques évidences grossières jusqu'à la caricature mais qui aideront à ce qu'on se comprenne bien.


A qualité comparable, un vin blanc français sera plus volontiers sur l'acidité, alors que le chasselas sera, lui, sec mais fruité. C'est un mélange que bien des frocards à qui je l'ai présenté  laisse durablement perplexe. Le Vaudois formé à ce mélange particulier, qui lui semble pourtant bien banal, sera retourné par la violence des blancs de France, dont les arômes citronnés lui fissureront l'émail des molaires. Cette différence fondamentale éclaire les habitudes respectives de consommation: par chez moi, on vous proposera presque fatalement du blanc à l'apéro, phénomène bien moins massif chez nos voisins tricolores. Rares sont leurs blancs qui peuvent se passer d'un plat en accompagnement; le chasselas, s'il irradie de bonheur en compagnie d'un taillé aux greubons ou de quelque salaison campagnarde, se suffit amplement à lui-même.


Si l'on se plaît à lui trouver « un goût de reviens-y », c'est avant tout parce qu'il est apprécié dans sa jeunesse: on y recherche de la fraîcheur, de la vigueur, de l'insolence. On commence à peine à réaliser, hors du cercle des spécialistes, son fabuleux potentiel de vieillissement et la complexité que lui confère le temps, même en bouteilles capsulées. Pour le populo, c'est sa rusticité, sa légèreté, qui fait tout son attrait, loin des notes riches et lourdes des grandes appellations burgondes. Comme pour souligner encore cette différence d'univers, sa délicate exubérance lui vient de ce qui est considéré comme un défaut rédhibitoire presque partout ailleurs : la présence d'un très léger gaz carbonique. Mais achtung : le millésime 2009 réservera des surprises pas forcément jouasses. J'ai déjà pu goûter certains blancs locaux si écoeurants et pesants qu'ils iront mieux en dessert qu'en apéro...


A l'image de l'Oktoberfestbier, bien que pour d'autres raisons, la raison d'être du chasselas est de pouvoir être bu sans soif, ou plus précisément sans la passer, ni couper la faim. Des vins trop riches et trop alcoolisés ont cet effet déplaisant, vous scient les jambes et vous découragent de toute goinfrerie ultérieure. Pas le chasselas bien fait : sa finale légèrement amère et minérale provoque une plaisante sensation de manque, mais sans astringence pour autant. Au contraire,  sa rondeur aérienne invite à rafoncer les godets de toute la tablée jusqu'à ce que chacun crève assez la dalle pour passer à plus sérieux.

Il se dit – je n'ai pas encore pu le vérifier – que la Côte fait des chasselas plus doux et flatteurs que Lavaux (ne dites plus Le Lavaux). Au sein de ces mêmes régions, dans un seul bled, on en trouve des qualités gravement disparates. Qu'on ne mise donc pas sur les AOC: boire « du Féchy » ou « du Saint-Saphorin », pour ne prendre que deux exemples, ne garantit en rien le plaisir de la déguste. Tout est question, bien sûr, du travail plus ou moins propre du vigneron, mais aussi du terroir. On prétend que le chasselas serait l'un des cépages traduisant le mieux les caractéristiques des terrains où il pousse. Or, la notion de terroir, si fondamentale dans la viticulture française, peine encore à percer en Suisse. On y fait encore prioritairement des vins de cépage, et l'étiquette mentionne le nom du producteur bien plus que celui de son domaine. Il se peut que ça change à l'avenir. Les vins de cépages n'ont pas une réputation très flatteuse, ne serait-ce que parce qu'ils sont la norme chez les vignerons industriels du Nouveau Monde, qui feraient pousser de la vigne sur du béton si c'était faisable et rentable.

Ceci pour dire que je ne donnerai pas de conseils de cave particulière pour ceux d'entre vous qui seraient tentés de se familiariser avec le chasselas. A éviter, toutefois, toute bouteille mentionnant des choses trop vagues. On trouve par exemple, en supermarché, des litrons de « Chasselas de Romandie », assemblages hasardeux de raisins provenant de va savoir où. Au minimum, il faut pouvoir identifier clairement le producteur et son bled, tout en sachant que l'on n'aura aucune garantie qu'il n'aille pas se fournir ailleurs, voire carrément dans un autre canton... Pour le reste, même recommandation que dans le précédent billet sur le thème : goûter souvent, plein de choses différentes, et surtout noter toutes ses observations, enthousiastes ou déçues.

Commentaires

"Bob Pied-Noir espérait quelques lignes sur « le vin suisse »."

Vous êtes bien urbain.

(Cela dit : Bob Pinot-Noir, si ça ne vous dérange pas.)

A part ça, je viens d'apprendre que mon caviste local avais repris son fonds de commerce en 1996, d'un homme qui le tenait depuis... 1936. Et que j'ai connu (un peu après 1936). Vous voyez ce qui vous reste à faire...

Écrit par : Robert Marchenoir | 21/07/2010

Pas sûr qu'on trouve du chasselas romand chez le « Nicolas » de ma commune...

À défaut, les vins les plus proches du chasselas ne sont-ils pas ceux de Savoie ?

Écrit par : Criticus | 22/07/2010

Un très léger gaz carbonique ? Hum... Comme le vinho verde, alors ? C'est acceptable, le vinho verde, mais c'est vite oublié, quand même... J'espère que les Suisses font mieux que ça... Les Portugais aussi, d'ailleurs, font beaucoup mieux que ça...

Écrit par : Robert Marchenoir | 23/07/2010

Comme le disait notre excellent ami commun, "Pas évident de le décrire à qui n'en aurait jamais bu. " Le Vinho Verde sera facilement sur des notes citronnées que vous ne risquez guère de trouver dans un chasselas, par exemple. Imaginons d'allier le fruit d'un Viognier pas complètement mûr avec la minéralité d'un champagne doux, c'est encore ce qui se rapproche le plus d'un blanc vaudois. Quant au carbonique proprement dit, entendons-nous bien : il ne s'agit pas d'un "spumante" à l'italienne, pas même d'une clairette éventée. On ne détecte sa présence qu'à l'oeil : en bouche, il ne pétille pas, ne faisant que souligner la fraîcheur du picrate. D'ailleurs, on le boit volontiers très, voire trop frais...

L'avantage de cette acidité très maîtrisée, c'est qu'on peut en descendre deux topettes sans avoir l'émail qui se fissure, et en l'accompagnant de modestes grignotes style flûtes au sel ou au sésame (Un mien pote hexagonal m'affirme toutefois que ce genre de choses ne se trouve pas fastoche de votre côté de la frontière). Alors qu'un chardonnay burgonde abordable, bon courage pour en venir à bout sans un plat de fromage ! Trous dans l'estomac garantis à court terme...

Écrit par : Stag | 23/07/2010

Pinaillage mais non : faut pas se plaindre de la double occupation de notre espace vital tout en en employant les codes !
"Chasselas 101", non. Mais "Chasselas mode d'emploi" oui, par exemple.

Écrit par : GAG | 23/07/2010

Vous avez une manière fort instructive et captivante de parler du Chasselas! Bien vu, bien joué. Ca donne soif.

Écrit par : DF | 13/08/2010

@GAG : un vieux réflexe, réminiscence de "Murder 101", morceau médiocre du tout aussi médiocre premier Pro-Pain...

@DF : bien aimable. Puissiez-vous en trouver du buvable dans vos parages.

Écrit par : Stag | 13/08/2010

Les commentaires sont fermés.