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07/07/2010

"IL FAUT SAVOIR CE QUE L'ON AIME..."

... et mine de rien, ce n'est pas évident.

Entre 2006 et 2007, j'ai vraiment commencé à m'intéresser à ce qu'il y avait d'écrit sur les étiquettes de pinard et sur l'origine exacte de leur contenu. Auparavant, il était rare que j'approche une bouteille de rouge avec autant d'attention.

Dans notre petite équipe de déglingués, nous organisions régulièrement de grandes mangeailles pas compliquées. Nous faisions d'amples provisions de bières belges ou allemandes, je me réservais une bouteille de ouiski, et pour accompagner les saucisses ou les steaks il n'était pas rare que nous options pour un peu de rouge. Le rituel était immuable, et plutôt simple. Avec ma femelle de l'époque, nous errions dans le rayon ad hoc du premier supermarché disponible, cherchant une bouteille aguicheuse. Nos critères ? Nous n'en avions pas vraiment. Elle comme moi venions d'une famille où l'on avait le goût des bonnes choses, mais pas beaucoup de rigueur dans la dégustation. Nous savions elle et moi quelques grands noms, et cela nous suffisait. Bien des fois, nous avons opté pour tel ou tel erzats de "Châteauneuf", parce que le nom sonnait bien. Potable ou médiocre, peu importait en fin de compte : nous la finirions bien, cette fichue topette...

Avec le recul, je me demande bien quel plaisir nous pouvions retirer de ces vinasses industrielles bon marché. Il y a quinze ans, c'était le bref triomphe des produits archi-barriqués et hautement drinkable en provenance de Californie ou d'Australie. Des choses expressément conçues pour être bues sans effort ni surprise. Il faut croire que cela suffisait à notre degré de raffinement. Pourtant, nous nous pensions des esthètes et de grands gourmets. Cette arrogance m'amuse encore, beaucoup moins le décalage entre nos prétentions et les maigres moyens que nous avions de les assumer.

Dans cette routine de médiocrité, un souvenir éblouissant demeure : ces caisses d'Aloxe-Corton dégottées pour moins que rien par l'un d'entre nous, exterminées autour de l'immense table belle-familiale, débordant du salon jusque sur la terrasse, par une soirée d'été d'une exceptionnelle douceur. Je n'ai gardé aucune trace précise des arômes, parfums et sensations de ce vin ; mais quelle stupeur! Quelle révélation! Quelle merveille d'équilibre! Des lustres plus tard, j'en ai gardé une tendresse particulière pour l'appellation, même en visitant les sous-sols des très imbuvables Patriarche... Mais là encore : si je pouvais le déguster aujourd'hui, serais-je à l'abri du crève-coeur de la déception ?

Le palais, soumis à une certaine discipline de découverte, évolue à une vitesse remarquable. Aussi faut-il rester sur ses gardes : des choses qui nous paraissent indépassables à une époque toute récente se révèlent finalement bien quelconques, une fois une minuscule expérience accumulée. Il y a trois ans, je me suis pris une jolie murge à la propriété d'un vigneron, tapant systématiquement dans son haut-de-gamme, à base de Cabernet si je me souviens bien. Passe le temps, divers déménagements, je perds le bonhomme de vue, mais je n'oublie pas sa production, me jurant d'en faire des stocks une fois sorti de la mouise. Retrouvailles impromptues au début du printemps dernier. Nous faisons toute sa gamme, en gardant ledit Cabernet pour la fin. Kolossale Dezeption : c'est mou, sans tanins, l'acidité à la traîne et le fruit tristounet, un ensemble ennuyeux au possible.

On fera remarquer qu'un même produit évolue de façon surprenante d'un millésime à l'autre. Mais je crois que l'explication, beaucoup plus élémentaire, est que plus on déguste, moins l'on est facilement bluffé par des vins trop faciles d'accès. Savoir ce que l'on aime, ça suppose de ne pas s'arrêter à une première impression, et accepter de découvrir un jour qu'on avait eu des goûts de chiottes.

Pour faire un parallèle imbécile, j'avais éprouvé une tristesse semblable avec Excalibur. Sa découverte, à 10 ou 12 ans, m'avait retourné tête et tripes. Plus de dix ans plus tard, le voilà rediffusé. Je m'apprête à une délicieuse séance de nostalgie, je m'effondre devant une daube sans nom, avec un merlin à calotte d'aluminium, des fumigènes qui feraient honte à David Hamilton, un univers d'une indigence au-delà des mots. Ne me reste que le souvenir du choc esthétique originel, et le regret de ne pas l'avoir conservé intact en ne prenant jamais le risque d'une seconde vision. A l'inverse, j'ai vu plus de vingt fois Amadeus ou Apocalypse Now, avec un éternel émerveillement et je sais qu'à l'instar de certains grands pinards, je vais encore y revenir sans risque d'être lassé.

Commentaires

Ma dernière découverte, qui m'a tout retourné:

Diolinoir des frères Philippoz à leytron, VS ++++++ cuvée 2007

Écrit par : Rien à foutre! | 08/07/2010

Raahh quelle déception! Empathie totale pour le désenchantement sans cesse renouvelé de la maturité ou l'art de vieillir...Mais mais mais horreur de lire vos insanités sur le Chef D'Oeuvre de Boorman tss tss
surtout pour encenser la bouse de Forman... Adieu Môssieur!

Écrit par : BourreMan | 08/07/2010

Bah moi je continue à bien l'aimer Excalibur - découvert au même âge -. En plus ça m'a fait découvrir Wagner, toujours ça de pris ...

Écrit par : Cornelius | 08/07/2010

Les commentaires sont fermés.