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16/11/2010

ENTREPRISE D'OTAGES

Quand une civilisation infantilise ses citoyens et trouve normal de sacrifier toute liberté à une sécurité illusoire, un réac en vient logiquement à sacraliser les notions de mérite et de responsabilité. Sans elle, il n’est pas d’individu libre et droit. D’elles découlent toutes les valeurs fondatrice de la droite à l’ancienne : individualisme, esprit d’entreprise et d’innovation, volonté de se sortir seul de la merde, volonté d’assumer les conséquences de ses actes, mépris des ratés pour qui La Société est seule responsable de leurs échecs, dignité dans l’adversité.

La gauche dégénérée piétine cette conception de la citoyenneté pour faire de la place aux métèques et entretenir ses troupes au sein des Intermittents du Lumpen. C’est suffisant pour que le droitard en fasse une obsession, une posture, jusqu’à faire l’impasse sa joie de vivre, voire sa simple survie économique. Mais si leur rejet mène au parasitisme, leur idolâtrie fait de quiconque n’est pas son propre patron, un kamikaze qui se sacrifie pour le profit des exploiteurs bien réels, qui n’existent pas que dans l’imagination des syndicats bolchos. Le monde de l’entreprise prospère encore sur ce corpus idéologique, mais, pour autant que son discours ait jamais eu la moindre valeur, nous savons maintenant que c’est du flan.

Nos parents ont été élevés dans l’idée que le petit vendeur de journaux pourrait un jour finir red-en-chef à la force du poignet. Cette génération, qui pensait s’être débourgeoisée jusqu’au dernier poil, a transmis à ses enfants ce culte fort bourgeois de l’effort et de l’excellence, les poussant à être les meilleurs au sein d’institutions qu’ils disaient pourtant haïr pour leur formatage idéologique. Les murs capitalistes à abattre leur semblaient si hauts et si nombreux que la détermination, le courage, l’abnégation leur sont apparus comme des valeurs indispensables à transmettre. Le plein-emploi aidant, leur récupération douce par l’ennemi juré s’est faite naturellement ; ils sont devenus traîtres à leurs propres idéaux du fait même de leur combattivité, flattés de voir leurs efforts récompensés par un ascenseur social auquel il était alors naturel de croire.

Pour nous autres, nés après 68, c’est dans le cul Lulu. Pourtant, encore trop de jeunes réacs échouent à assimiler ces notions, que ne transmettent aucune doctrine économique et qu’on ne pige qu’après avoir enchaîné – et s’être enchaîné à – quelques jobs bien merdiques, dans cette néo-domesticité qu’on nous fourgue au nom de l’ambition et du sens de l’engagement.

 

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Cette soupe à base de volontarisme, de culte du « bosseur », de virilité stakhanoviste, est devenue franchement immangeable. Mâtez-les donc, ces quinquas qui s’érigent en exemples à suivre, voyez leur vie grise et décousue, surchargée par panique de l’ennui. Leurs familles, s’ils ont pris le temps d’en faire, sont en miettes. Leur quotidien, leur style de vie, contredit toute leur vision du monde. Pas seulement parce qu’ils se prosternent devant la Diversité en vivant avec leurs seuls semblables, ou parce qu’ils sont devenus ce qu’ils voulaient combattre : parce que sortis du bureau, ils se font chier.

Parce que leur culte de l’aventure se résume à des vacances à crédit. Parce que, pour se dépasser, ils n’ont que le cadre de leurs objectifs professionnels. Parce que « la Boîte » est leur dernier horizon, et le nôtre aussi. Ils y trouvent leurs amis, leurs maîtresses, leurs ennemis mortels, leurs gourous. Faire des heures sup’ et zapper toute vie de famille ? C’est se monter endurant, ambitieux, dependable en globish. Ils trompent plus volontiers leur femme que leur patron, en divorcent plus facilement que de leur entreprise. En retour, elle les paie en mobbing, en reflux gastriques, en angoisses, en vieillissement précoce, en souffrances psychosomatiques, en rapacité, en cours accéléré d’écrasement d’autrui pour conserver son taf.

Mais pas question qu’ils y renoncent. C’est le seul exutoire à leur rage de vaincre, l’ultime façon de renouer avec leurs instincts guerriers, la dernière manifestation présentable de virilité. Le salopard machiste, arrogant et dominateur est banni de tous les coins de la société, mais l’entreprise l’a sacré régent – « roi en tout sauf en titre » puisqu’il n’est pas question d’admettre ouvertement de telles évidences. Prière de rester cool même quand on fait le chacal.

La boite est « une grande famille » où l’on peut harceler sa sœur et brimer son frère pour le contraindre à bosser plus vite pour moins cher, et avec le sourire siouplaît.

Commentaires

Je suis bien d'accord avec vous... Mais ce qui m'embête avec ce genre d'articles c'est : où est donc l'avis, la solution, la vision de l'auteur ?

en vous souhaitant bonne continuation =)

Écrit par : CANDidE | 16/11/2010

Un constat n'apporte pas de solution.
La dernière phrase résume ma pensée de la culture d'entreprise d'aujourd'hui.

Écrit par : M. Nice Guy | 17/11/2010

Le pire dans tout ça, c'est la culpabilité qu'essaye de générer la flopée de publication sur le le vague refus de ces valeurs au sein de notre génération, baptisée Y du coup.

Mais ils vont l'avoir dans le cul. Bien plus profond qu'ils ne s'y attendent.

Écrit par : LeCalmar | 20/11/2010

Les commentaires sont fermés.