08/02/2011
A CES BOURGUIGNONS QUI ONT TUE LEUR VIGNOBLE
Messieurs,
Que ceux parmi vous, petits producteurs sérieux et amoureux de leur noble métier, veuillent bien me pardonner l'outrage qui va suivre. Pessimiste de nature, je veux croire malgré tout que vous êtes encore quelques-uns pour qui faire pisser la vigne constitue un crime et non un business.
Bacchus reconnaîtra les siens, et Lui qui m'a si souvent protégé lors de mes retours avinés sur deux roues, il se souviendra que j'ai écrit ceci après une HUITIEME boutanche de Bourgogne vidée dans les cagoinces. Santenay, Corton, Aloxe-Corton ou 1ères Cotes de Beaune, millésimes 99 à 2006, format classique ou magnum, rien n'y a fait. J'en ai rigoureusement plein la fente de déboucher saloperie sur saloperie en provenance de chez vous, offertes par des amis bien intentionnés qui auront en plus payé dix fois ce qu'elles valaient vraiment.
Quand j'affirme que vous fourguez de la piquette en abusant de la confiance idiote des ignorants et des snobs, je ne profère pas une insulte, je formule un constat. Il serait banal et dispensable si vos lavasses ignobles étaient proposées en cubi, près du rayon des pistaches et des olives turques « à la Provençale. » Mais votre impudence sans limite vous fait glisser vos pieds crasseux dans les traces d'ancêtres qui vous auraient refusé jusqu'au privilège de nettoyer leurs cuves.
Un amateur vous rend visite, à qui vous faites goûter un atroce brouet sans relief, anorexique à force de maigreur et dont ne demeure en bouche qu'une acidité révoltante, évoquant un vinaigre de framboise souillé d'une larme de grenadine. Face à sa mine déconfite, vous osez affirmer qu'il est encore «trop jeune » et qu'il lui faut le repos d'une bonne cave pour se révéler pleinement. Mais si derrière l'agression citronnée ne se révèle ni velouté, ni profondeur, ni parfums riches et âcres, votre soupe translucide, oubliée au milieu des patates et des sacs de voyage, ne sera plus bonne que pour l'évier. Le novice pourra la boire sans douleur, parce que l'acidité aura certes disparu. Mais avec elle, c'est tout le caractère de votre triste vinasse qui se sera évaporé. Une tranche de cervelas, une cuillerée de fromage blanc, un bol de bouillon clair seront des mets encore trop puissants pour l'intolérable fragilité de ses arômes évanescents, et vous avez le culot de recommander une viande saignante pour l'accompagner.
Ce n'est là qu'un mensonge parmi trop d'autres. Lorsque vous vantez une « belle robe rubis », vous parlez de cette teinte rosâtre qui ferait hésiter un aveugle à prononcer le simple nom de vin « rouge. »Quand vous chantez sa « souplesse » et son « fruité », vous jetez un linceul sur ses tanins chétifs, si « fondus » qu'ils en ont complètement disparu. Vos fichus arômes de « petits fruits rouges » ? La trace de freinage déposée par vos raisins cueillis trop verts. Cette ridicule « finesse », derrière laquelle vous vous planquez pour culpabiliser l'amateur un peu trop franc ? Une défroque minable pour un manque de charpente et d'épaisseur que rien n'excuse, et qui ne s'explique que par un assemblage variable de malhonnêteté, d'incompétence et de pur foutage de gueule.
Chez les dégustateurs de la génération de mes parents, la stupéfaction fait mal à voir. On les sent décontenancés, cherchant en vain dans leur verre un souvenir de ces grands crus qui ont marqué leur jeunesse. Ils y reviennent, ils s'acharnent, comme des gourmands qui ne veulent pas comprendre que leur merveilleuse auberge du coin, où ils mangeaient si bien naguère, a été rachetée par un kebabiste qui n'en a conservé que la facade.
Et les pauvres revendeurs chargés de fourguer votre sous-came de luxe aux conneauds aveuglés par la brillance de vos étiquettes! Leur gêne devient palpable et leurs silences pesants. Beaucoup ne savent trop quoi vous dire quand vous revenez aboyer contre le coût obscène d'une topette à gros pédigrée, et qu'on aurait fourgué sans scrupule, une fois ouverte, au clodo du quartier. Ils ouvrent des yeux ronds et dépités quand on leur fait vérifier eux-mêmes la platitude scandaleuse des faux nectars dont ils étaient si fiers.
Certains parlent à mi-mots de domaines cédés des fortunes à des salopes plus à l'aise en phynance qu'en orfèvrerie viticole. D'autres accusent lâchement de richissimes métèques de pays en-voie-de-pourrissement : leurs récentes fortunes leur ont filé des vertiges de grandeur, et ils veulent s'enivrer de ce que la Vieille Europe prétend avoir de meilleur et de plus cher. Ils n'y connaissent que dalle et sont prêts à raquer sans négocier, pourquoi faire correctement votre boulot ? Il faut un nom connu, un prix absurde et de la flotte teintée facile à déglutir.
Éternel dilemme du tox et du dealer, dont on ne sait encore lequel il faut occire pour voir l'autre clamser – mais c'est une autre histoire.
J'imagine assez bien la pauvre ligne de défense que ces lignes vengeresses susciteront. Un Helvète ivrogne qui se pique de faire la leçon aux artisans hexagonaux, l'ironie est sans doute savoureuse, vu la médiocrité des jus qu'on sort si souvent de sa terre.
Patriote jusqu'au délire, j'entends bien qu'on ne m'accuse pas de chauvinisme oenologique. C'est parce que j'aime mon pays que j'entretiens une rancoeur inoxydable envers ceux qui ternissent son nom. En font partie les légions de vignerons vaudois toujours infoutus de proposer autre chose que des pinots délavés et des gamays aigrelets, dont je ne salirais pas mes sangrias. La différence capitale ? Ils sont vendus pour ce qu'ils sont, à des prix dignes de leur qualité, et sans réclamer d'autre prestige que d'étancher les gosiers locaux.
Aussi je le répète : NON, je ne vous vole pas vos lauriers pour décorer leurs têtes des touilleurs de bibine de chez moi – encore que le plus rustique de nos gamarets rétame sans efforts tant de vos milieux-de-gamme aussi inabordables que manifestement bâclés. J'affirme en revanche que, ces lauriers, vous avez perdu le droit de les porter, et que des couronnes d'étrons vous siéraient bien mieux.
Au lecteur bourguignon qui sait n'avoir pas le temps de venir m'égorger, j'adresse un message implorant : je mourrai bien assez vite tout seul et quelle revanche plus éclatante de me forcer à me renier ? Filez-moi des adresses où l'on peut trouver chez vous des pinots dignes de magnifier une côte de boeuf ou un civet de chevreuil. Je ne suis jamais plus ravi d'avoir tort quand ça me permet de boire un Vin méritant sa majuscule.
18:53 Publié dans Le picrate pour les bourrins | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Étant un exilé bourguignon, j'ai la famille exigeante et radine sur place et qui a ses bonnes adresses.
Moi je ne fais que travailler mon palais pour l'instant, les noms c'est pas mon truc.
Tu cherches plutôt du rouge donc ? J'alerte la paternité.
Écrit par : W | 08/02/2011
Je cherche du pinot qui ne "pinote" pas qu'au nez, qui sent la charogne et goûte le bûcher à peine éteint, de la concentration compacte et mâle, de la complexité hallucinogène qui envahit le palais comme une cathédrale en fil d'araignée. J'aimerais croire que ce n'est pas trop demander et que ça se trouve encore ça et là chez des gens qui bossent propre et ne pratiquent pas le racket à l'appellation. J'échange les bons tuyaux contre les meilleures adresses que je connais de mon côté de la frontière, ça va de soi.
Écrit par : Stag | 08/02/2011
http://www.sarrazin-michel-et-fils.fr/ElementsRubrique.aspx?SITE=SSARRAZ&RUB=162&MP_SS_RUB=ELEM&MP_ELT=DETAI&PAGE=1
Leurs Givry sont honnêtes.
Écrit par : Le Bâtard | 09/02/2011
Bien que français je suis en tout point d'accord avec toi.
Mon père avait une cave de 300 bouteilles de bourgogne : un bonheur
J'ai cherché à la reconstituer, c'est impossible : la qualité est catastrophique!
Idem pour les vins du sud (costières de nimes) ou chateau neuf du pape.
QUand j'achète (rarement) une bouteille, je la prend en super marché à moins de 5 euros et j'ai pareil.
On se fout de notre gueule !
Écrit par : DURDUR | 09/02/2011
"...un Vin méritant sa majuscule"
...et un château méritant sa minuscule !
Je n'ai plus de vins en garde depuis une quinzaine d'année et pourtant je dispose d'un petit chai.
Bravo pour votre article.
JD de Charente-Maritime
Écrit par : DJ | 09/02/2011
Hahaha, très bon. Pas d'adresses de mon côté, hélas...
Écrit par : Robert Marchenoir | 10/02/2011
Je vois tout à fait ce tu veux. Et oui ça existe encore, ça me fait penser à un ovni débouché il y a peu, pour noël je crois... oh bon Dieu je crois qu'on se comprend, j'essaye de refiler les bons plan dès ce WE.
Concernant l'expansion de la vinasse bourguignonne, je dirai bien la même chose si je ne gardais que mon point de vue parisien. Je n'ai jamais bu un seul bon vin bourguignon dans la capitale, alors qu'est-ce que ça peut-être hors de France... Y a peut-être un complot des négociants, qu'on essaye de tenir éloigné le monde de nos vertes collines.
Écrit par : W | 11/02/2011
Envoyé, sur un mail yahoo, j'espère que c'est le bon.
Écrit par : W | 14/02/2011
Les commentaires sont fermés.