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18/12/2014

NOSTALGIE DU VIDE

Quand je sors en solitaire, je retrouve immanquablement l'humeur de ma décennie gâchée vingtaine-trentaine. C'est pourquoi je limite l'exercice au strict minimum. Je n'ai peut-être été qu'un sociable contrarié, en qui demeurent des réflexes conditionnés d'isolement limite pathologiques.

J'ai réussi depuis à évacuer (provisoirement?) la pulsion d'errance qui semblait alors impérative, et moult tics déplaisants du même acabit. Pas de regret pour ces molles flâneries, sauf peut-être pour celles qui conduisaient dans ces coins de cambrousse préservés, en particulier les hivers neigeux. Le silence n'y était pas que l'absence de bruit, mais un élément à part entière, plein, amical, enveloppant.

En sirotant va savoir quoi et va savoir où, monte tôt ou tard une nostalgie malsaine de ces années vides, foutues en l'air pour de la vapeur. C'est en partie leur incertitude qui me manque, parce qu'elle avait le goût sinon d'une certaine liberté, du moins d'une petite marge de manoeuvre. Le pire était déjà certain mais les surprises inespérées étaient possibles, et la forme des compensations à glaner le long de la route n'était pas figée. Avec assez de recul, cette saveur affadit l'âpreté poisseuse de tout le reste: la solitude, la vacuité, la frustration, l'accumulation d'une colère dense jusqu'à l'implosion, que rien ne soulage que partiellement, au misérable coup par coup.

C'est le temps des toquades pour un visage qui vous offre un sourire. Des heures d'attente à s'imbiber dans un endroit déplaisant parce qu'elle pourrait peut-être s'y pointer. De la destruction méthodique de tout potentiel d'intégration, même chez les familles de substitution semi-marginales. D'une hallucination perpétuelle, qui maquille une trajectoire horriblement médiocre en épopée métapolitique. De rencontres exaltantes qui ne débouchent jamais que sur des emmerdes et des déceptions en chapelets. D'une grandiloquence embarrassante qu'on se convainc d'être une forme de charisme trop extrême pour être compris. D'une somme de temps et d'énergie claquée pour nada d'utile à l'application des idéaux qu'on professe.

Un Nulle Part qui n'a pas même l'excuse de sa grandeur.

On n'y prend pas goût, mais on s'y fait, comme un pied se déforme au long d'années de baskets trop molles. Bonjour l'inconfort de la moindre distance quand on tente le godillot à l'ancienne.

En toute raison, je ne peux rien regretter de cette pauvre époque. Mais la nostalgie refait parfois surface, comme une bizarre addiction à l'échec, à la vulgarité et à la faiblesse. La sensation de revenir de loin, sans jamais avoir vraiment voyagé.

Commentaires

Encore une fois admiratif de votre verbe. Comme vous avez bien su décrire ma jeunesse ! Merci.

Écrit par : castoretpollux | 21/12/2014

Mais c'est qu'il a failli m'extirper une larme de l’œil, le Stag. "Un certain style au service de la haine", nan ! on sent bien que vous êtes comme la bonne gnôle, d'attaque agressive pour les non initiés, mais prodiguant ses chauds remous dans le bide sur le long terme, vous avez le palpitant plus palpitant que n'importe quelle pleurnicheuse humanitariste, n'allez pas nous dire le contraire. En tout cas, ce texte a éveillé une certaine mélancolie en moi, un truc qui fait du mal et du bien, un truc rare, ce genre de sentiment qu'on éprouve en marchant dans un paysage enneigé et désert, une solitude apaisante, un regard lucide mais serein sur la maigre place qu'on occupe dans ce monde. Merci.

Écrit par : Blaise Suarès | 24/12/2014

Parfois, tu as cette façon d'écrire, c'est comme si tu nous tirais la main et qu'on se prenait un peu les pieds dans un petit pli du tapis ... je vois pas comment décrire ça. En fait, même, à chaque fois que je viens te lire, je me rappelle comme écrire me manque. A se demander pourquoi je ne m'y remets pas. Il y a quelques chose de bon dans la purge du bout des doigts

Écrit par : ahouidaccord | 02/01/2015

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