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16/06/2007

KIT DE SURVIE MUSICALE DE LA ZONE GRISE - VOL. 1

C’est une chose que d’exposer la saloperie et la pestilence du rectum géant qu’est devenu la civilisation ex-européenne. C’en est une autre de trouver des moyens d’y survivre au quotidien sans se liquéfier moralement. Il faut dégotter des anti-berceuses, des petites choses infimes qui permettent de ne pas s’endormir les sens, d’entretenir sa colère comme un bastonneur fait travailler ses muscles entre deux combats. C’est que, comme le dit Horace je crois, elle est une courte folie, et dieu sait s’il nous en faut, de la folie durable et renouvelable, pour garder la niaque et le sourire en ces temps de défaite universelle. Chacun sa coke : la mienne se consomme par les oreilles. D’où cette nouvelle rubrique fourre-tout mais principalement musicale, si tant est qu’on puisse parler de musique à ce stade d’agression sonique.


 - UNSANE -

 

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Le trio nouyorkais est indissociable d’une imagerie gore qui confine à l’art contemporain, et bien des pochettes de ses albums trouveraient leur place facile dans une galerie à la fois hype et distraite de Manhattan. On est loin des références Heavy classiques à base de chasse au dragon, ou des poses BM avec hallebardes et égorgements de chatons. L’hémoglobine pure se répand sur un décor urbain cauchemardesque de dépouillement, si déshumanisé qu’il ne laisse plus de place qu’à la substance essentielle du bipède ordinaire. L’environnement naturel d’Unsane, c’est ce qu’il reste d’un accident de la route une fois que les débris de tôle et de viande ont été déblayés, quelques secondes avant que le coup de karsher municipal rende à nouveau le bitume présentable aux piétons. Dénuement et souffrance brute, l’étiquette annonce cash le contenu de la bouteille, comme pour les gnoles maison les moins éprouvantes.

 


A l’intérieur, on est confronté immédiatement à un univers sonore semblable. Ça pue le goudron, la rouille, les mégots, la moisissure et la solitude. Le son frappe par sa couleur clair-obscur, surtout au niveau de la saturation de la gratte. Un chroniqueur parle de « guitare étranglée » et c’est parfaitement vu : la Télécaster (une abomination pour jouer du métal gras, avec des bobinages rachitiques) en ressort ramassée, compacte, sous pression, chargée d’un impact sec qui compense amplement son manque d’abrasion. La basse gargantuesque se charge du reste, évoquant parfois les heures héroïques des premiers Motörhead. La force de frappe de la combinaison en est comme épurée, ramenée à son strict minimum, visant l’efficacité de l’impact sans l’élégance du geste, à l’image de la différence entre art martial et combat de rue.

 

Là où la saturation se montre impitoyable, c’est là où on ne l’attend pas : au niveau des vocaux – impossible de parler de « chant », même en torturant la licence poétique. La gorge de Chris Spencer est toujours à la limite de la rupture et il est difficile de savoir comment il tient le coup tout un concert, même en se gargarisant à l’huile industrielle. L’animal est de cette race particulière de braillards, à laquelle appartient notamment un Tom Araya : timbre quelconque, chaleur absente, mais il donne tout en bloc, sans les effets ni les raclements abyssaux. On est dans l’immédiat, le brut, bien loin des siclées de castrats façon Dani (C.O.F.) ou des grommellements plan-plan des clones de Napalm Death. On en retire une impression d’immédiateté, qui souligne encore le désespoir écorché de l’ensemble ;

 

Le tout est direct, carré, une version décharnée du hardcore, marqué par une hargne et un désespoir d’une radicalité sans équivalents. Sur Occupational Hazard, l’ultime piste Understand n’est qu’un long hurlement écrasé, l’ultime quinte de toux sanglante d’un homme qui hurle « Comprends moi ! » à un univers délibérément sourd, aveugle et con. C’est sans doute la composition du groupe qui résume le mieux le sentiment de perdition irrémédiable qui nous claque au museau quand l’alcool s’est dissipé, quand les slogans partisans se sont éteints en murmures pitoyables, quand tous les sacrifices consentis n’ont permis qu’un échec humiliant et une stagnation abjecte. C’est un hymne à la paralysie sociale, à l’isolement en cercle vicieux, et à toutes les déchirures internes qu’on n’a que le droit de trimballer en silence, parce que tous ceux qui nous entourent sont trop occupés à colmater leurs propres brèches pour prendre le risque de connaître les nôtres.

 

Au fil de leur discographie, les ingrédients de la recette ont évolué vers toujours plus de sobriété et de dépouillement. Très noise au départ, au point d’être parfois chiantes et difficiles à différencier, les compositions gagnent en maturité ce qu’elles perdent en ornements bruitistes superflus – à noter que leurs premiers singles et compiles semblent pratiquement impossibles à trouver à l’heure actuelle. Occupational Hazard était écrasant de puissance, le plus récent Blood Run approfondit cette veine ouverte à coups de dents avec la même détermination de rouleau compresseur. A retenir particulièrement pour une première écoute le bien nommé Hammered Out, martelage léviathanesque, et la cavalcade hystérique de D Train, qui donne envie de pogoter avec des crochets de boucher dans les mains.

 

En cet An de Grâce 2007, une nouvelle livraison de boucan est disponible dans les bacs sous le nom de Visqueen, à laquelle je viens de jeter une oreille de groupie critique. Le trio semble revenir à des formats plus noise-rock, moins éprouvants pour les esgourdes non-averties. Si les compos perdent quelque peu en patate et en démence suicidaire (on ne peut pas non plus passer sa vie à s'égorger à coups de micro, Henry Rollins vous l'expliquera mieux que moi), l'ambiance brut-de-décoffrage et mosh-pit en pleine morgue s'impose avec une vigueur inchangée. En fin d'album, on remarque la présence surprenante d'un éreintant titre indus de huit minutes, loin des habitudes minimalistes du groupe. Mention spéciale pour Against the Grain, qui commence sur des sonorités quasi psychobilly avant de s'orienter vers du HC massif, et This stops at the River pour sa sueur punk rock trépidante et son bottleneck ivre de sauvagerie.

 

http://www.theunsane.com/

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