Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/01/2009

I WANNA BE SEDATED

Au boulot, l'autre jour.

 

L., un peu pâle: "Tu as vu, Daniel Albrecht ? C'est impressionnant, putain..."

 

Non, j'ai pas vu Daniel Brecht machin, là. C'est qui, il fait quoi, je suis censé savoir, on va me faire passer un examen, c'est facho si je sais pas, je dois payer une tournée si je confonds avec Andrew Eldritch, est-ce qu'on pourrait me foutre la paix oui ?

 

L., encore un peu plus pâle, les yeux ronds : "Tu sais pas qui est Daniel Albrecht ?"

 

Non. Passons. J'ai envie d'être impressionné, moi aussi, c'est chouette de ressentir autre chose que de la rage homicide impuissante, de temps en temps, balance ton scoop bébé. Un skieur suisse, d'accord. Qui s'est vautré à X milllions de kil' à l'heure, d'accord. Pronostic vital réservé, comme si ça voulait dire quelque chose en français, okaye. Plongé dans un coma artificiel. Ah bien. Putain, bien. L'excellente idée que voilà.

 

Constater que tout est foutu, c'est n'est pas le pire, pas plus que l'atroce conscience de ne rien pouvoir faire contre, de n'avoir qu'une chance sur mille de mettre à l'abri les quelques gens qu'on a encore la faiblesse d'aimer un peu. Ce qui démolit la dignité, c'est la lenteur du processus. C'est trop long. Ca traîne. Les occasions et les moyens de se distraire fugitivement sont encore trop nombreuses. Il faudra encore des décennies, des siècles avant de toucher le fond, d'être exterminés propre en ordre, de bénéficier enfin du label Espèce disparue ou Langue morte. Notre vieillesse s'étire dans le temps comme une guimauve satanique, extensible à l'infini. C'est chiant. Ca liquéfie les hargnes les mieux trempées. Ca oxyde tout.

 

Moi aussi, je prendrais bien un peu de coma, merde. Wake me in a thousand years. Ou un peu moins, disons un quart de siècle. Juste pour voir. Pour contempler l'immense, dégueulasse, interminable banlieue que sera devenu le nord du Léman, bétonnée sans interruption de Montreux à Genève. Pour suivre pendant quelques jours un Master en Sciences Appliquées du Hip-Hop, avec sous-titres en phonétique pour les mentally challenged. Pour croiser des contemporains, passés de la trentaine pétulante, citoyenne, tolérante et modérée à un début de vieillesse désabusée, tétanisés de trouille face aux fils de Divers, écrabouillés de dette pour plusieurs générations, botoxés et grillés aux UV pour conserver leur poste de livreur de kebab-choucroute un mois supplémentaire (question de respect de la clientèle). Pour zapper directement au stade suivant de l'implosion culturelle et de la substitution ethnique, en avance rapide et sans pause pub.

 

Click gauche. Fermer la session. Ne pas télécharger les mises à jour.

 

Mais ça ne marche pas comme ça, évidemment. C'est pour les grands sportifs qui rapportent des sous. Pareil que pour ma guibole ruinée en bécane il y a deux ans. Deux ligaments en moins. Je revois nettement le franc sourire du toubib quand je lui ai demandé combien de temps prendrait la récupération après l'opération. Ca s'opère pas, dixit. Articulation branlante à vie. On s'en remet. C'est juste un peu chiant. Ces temps, par exemple, avec le verglas sur le trottoir et des semelles un peu trop lisses, on a d'excellents souvenirs de douleurs oubliées qui refont surface pratiquement à chaque pas. Si j'avais été footeux millionnaire, j'aurais passé sur le billard directement. Salauds de riches. Indignation et lutte des classes, tout ça. Pour un peu, je m'encarterais à Egalité & Crouillification. C'est dingue les extrémités auxquelles mènent certains désagréments physiques.

 

Reste bien sûr l'option du coma étylique, mais ça paraît hasardeux. Le dernier que j'ai croisé, c'était un type qui s'était chié au froc et dont la tête reposait dans une belle flaque jaune pleine de grumeaux. Guère plus digne qu'une vie de citoyen consomm'acteur, en fin de compte, et plus salissant pour le même prix.

 

Commentaires

Excellent article. Vous cernez bien le pire: la lenteur du processus. Cela brise toute bonne volonté.

Écrit par : Pélicastre | 27/01/2009

L'Occident n'en finit plus de finir. C'est tellement lent qu'on patauge dans la grande léthargie.
Et les ensommeillés, on les crève facilement...

Une poignée de braves se réveillera, dans un ultime sursaut de haine (car c'est probablement la dernière route vers le salut), sans doute. Mais beaucoup continueront leurs rêves bien glucosés, persuadés que mourir est une bonne chose seulement (et seulement si) on ne souffre pas - donc, de préférence, pendant le sommeil. Dernière volonté d'un vieillard...

Écrit par : Clairanval | 28/01/2009

Les commentaires sont fermés.