12/11/2009
FAIRE CONTREPOIDS
Je recopie ceci, pour le choc, au sein d’un même court passage d’un livre immense, d’éclairs de génie, de clairvoyance remarquable, de désillusion crevarde et d’espoirs auxquels le temps a infligé les pires démentis. Benoist-Méchin a tenté de faire le deuil d’une Europe impériale, en se disant que la décolonisation nous mettrait peut-être à l’abri de la submersion. Un demi-siècle plus tard, le démenti est flagrant, et une bonne partie des lignes qui suivent n’a plus aucun sens. Elles n’en perdent pas tout intérêt pour autant. Pour qui les lit avec un peu de détachement et de hauteur de vue, c’est surtout leur caractère apolitique qui frappe, et avec lui s’ouvre un abîme sous nos pieds, avec ce constat désespéré : c’était foutu d’avance, Axe ou Alliés. Peut-être qu’il y a ici de quoi trouver des explications moins convenues, plus mystiques, à la paralysie morale et mentale de l’Europe face à sa mise à mort. Ce que nous prenons trop volontiers pour de l’apathie, de l’ignorance ou du masochisme, apparaît alors comme la conséquence d’un processus naturel qui échappe à toute volonté politique. La machine s’éteint et plus aucun programme ne répond plus, parce qu’elle va se mettre en mode veille – définitivement. Le grand Alt+F4 de notre civilisation, dont il ne restera que le hardware, après chargement des mises à jour en provenance du Tiers-Monde. Nous allons devenir afro-arabo-occidentaux, comme les Italiens antiques sont devenus gallo-romains, avec la même inéluctabilité. Dans cette perspective, l’issue de notre Guerre Civile, voire son simple déclenchement, ne signifie plus rien. Révolution au sens initial du terme : la fin d’un cycle, celui de l’extrême bout ouest de l’Asie sous domination toubab, avec au passage la disparition irrémédiable de ceux qui s’en réjouissent, de ceux qui s’en étranglent de rage, et de ceux, immensément majoritaires, qui s’en contrefoutent.
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Pour ma part, je n’ai pas honte de le proclamer – et d’employer pour le dire, les termes les plus honnis – j’ai été ce qu’on appelle un impérialiste et un raciste. J’ai cru, de tout mon cœur, à la supériorité intrinsèque de l’homme blanc. J’ai cru qu’une Europe qui aurait mis en commun toutes ses ressources économiques et militaires, politiques et morales, qu’une Europe capable, par ses institutions, de porter é son sommet ses meilleurs éléments et de mettre en valeur son prodigieux héritage religieux et culturel, j’ai cru que cette Europe-là, était capable d’imposer sa loi au monde et de servir de tuteur aux peuples étrangers. J’ai pensé qu’elle seule était à même d’engendrer une « Race de Seigneurs », susceptible d’empêcher le monde de sombrer dans l’informe et de succomber sous le faix des masses inorganisées. Mais attention ! je charge ici chaque mot de son poids le plus dense. On ne joue pas à la « Race des Seigneurs » ! On l’est ou on ne l’est pas. L’autorité de cette aristocratie dure et lucide n’aurait été acceptée qu’à condition de se fonder sur une supériorité réelle.
Or, force m’est de reconnaître que cette Europe-là n’est plus. On lui a brisé l’échine. Maintenant elle gît à terre, morcelée, disloquée, en proie au pire désordre intellectuel et incapable de poursuivre sa mission ordonnatrice.
Cette Europe en laquelle j’ai cru de toute mon âme, au point, s’il le fallait, d’y sacrifier ma vie – ici encore, je donne à chaque mot son sens le plus formel – je vois bien qu’elle est morte et qu’aucun rêve, aucun effort ne pourront la ressusciter. J’aurais voulu que l’histoire s’engageât dans une autre voie. Mais la page est tournée. Ne cherchons pas à la faire revivre, car l’histoire ne se répète jamais que sous une forme caricaturale.
En soi, c’est déjà triste. Mais s’il n’y avait que cela ! Or, pour la première fois, je me demande si ce rêve d’hégémonie blanche était réalisable. Ni durant mon procès, ni durant les années qui ont suivi, je n’ai été effleuré par le moindre doute sur la valeur de la cause pour laquelle j’avais combattu. Et maintenant, ici au Caire, au contact de cette conférence, je m’interroge pour la première fois et, pour la première fois, je me demande si je ne me suis pas trompé.
Nous croyions que notre lutte déterminerait le sort du monde « pour les mille années à venir ». C’était une formule exaltante, mais c’était une illusion. C’était voir trop grand dans le temps, et trop petit dans l’espace. Comme tant d’autres, la victoire d’une Europe fasciste aurait été éphémère.
Que s’est-il donc passé d’assez fort pour modifier mes convictions ? Simplement ceci : j’ai pris conscience depuis lors, une conscience directe, presque physique, de l’ampleur des masses humaines qui peuplent le monde extra-européen et de leur refus grandissant de se laisser gouverner par nous. C’est un facteur qui m’avait échappé, il y a vingt ans, parce qu’il n’apparaissait pas de façon aussi évidente. J’avais cru à la pérennité des empires, et j’avais accordé à la race blanche une puissance d’expansion illimitée. Or, penser que nous aurions imposé longtemps notre domination aux peuples de couleur, croire qu’ils auraient accepté longtemps d’être divisés en zones d’influence – même déguisées du nom « d’espaces organisés » - ce n’était pas seulement surestimer nos possibilités ; c’était méconnaître les lois de la vie. Ces lois on peu les violenter ; on ne peut pas les anéantir. Elles sont beaucoup plus fortes que les théories politiques. Rien n’aurait empêché ces masses de proliférer. Déjà énormes, elles seraient devenues plus énormes encore. A demi-somnolentes, elles se seraient réveillées. Une minorité peut imposer sa loi à une majorité, à condition que cette dernière ne grandisse pas sans cesse. Sinon, le jour arrive où le rapport de force se retrouve inversé, alors, la fin de l’aventure est inéluctable.
Lentement, mais sûrement, nous aurions été réduits à la défensive et, à plus ou moins longue échéance, nous aurions succombé. Debout derrière nos remparts, nous aurions été placés dans une situation analogue à celle de Sparte après Agésilas, ou de l’Empire romain au siècle des grandes invasions. Nous n’aurions pas pu endiguer éternellement la montée des races extra-européenne. Armées par l’Amérique ou par la Chine, jalouses de notre prépondérance, elles auraient déferlé sur nous en vagues successives, venues du fond des déserts, des steppes et des forêts. Au lieu de rayonner sur le monde, l’Europe crispée, contractée, refermée sur elle-même, serait devenue semblable à une forteresse assiégée. Epuisés par la défense d’impossibles empires, nos enfants auraient agonisé, le dos contre le mur et l’édifice superbe que nous aurions voulu construire se serait écroulé comme un temple de marbre, pris d’assaut par les fourmis rouges. Dans cette direction, tôt ou tard, il n’y aurait eu pour nous que le long roulement de tonnerre qui accompagne le Crépuscule des dieux.
L’histoire a tourné la page. Elle s’est engagée sur une autre pente. Alors j’interroge ceux qui ont pris la responsabilité de l’orienter dans cette voie nouvelle. Ils ont promis au monde une ère de justice et de liberté, où tous les peuples auraient le droit de se gouverner eux-mêmes. Un monde plus médiocre, peut-être, nivelé par l’égalité et régi par la loi du nombre, mais qui offrait au moins l’avantage de désarmer l’hostilité des peuples de couleur, et de les immobiliser sur place en leur permettant de trouver leur centre de gravité en eux-mêmes. Vous aviez commencé à le faire. Et puis vous y avez renoncé. Ne voyez-vous pas combien vous vous êtes affaiblis en répudiant ce qui était votre meilleure justification ? Pourquoi ne pas donner à chacun sa patrie et être résolument ce que vous prétendez être : les champions d’un monde libre ? Tout système politique, ne peut porter ses fruits qu’à condition d’aller jusqu’au bout de ses prémisses. S’arrêter à mi-chemin, c’est ouvrir la porte au gâchis et substituer le chaos à un ordre toujours possible.
Napoléon avait raison : « On se fatigue d’attendre des directives venues de deux milles lieues… L’ambition achève ce que l’intérêt a commencé. On veut être quelque chose chez soi et le joug est bientôt secoué. » Alors, puisque les empires coloniaux sombrent les uns après les autres, pourquoi se cramponner à leurs épaves ? Pourquoi ne pas nous libérer ces hypothèques paralysantes qui nous empêchent de prendre part à l’édification d’un monde nouveau ? un monde où les rapports entre nations ne seraient pas régis par des facteurs de rapports de force, mais par des liens organiques, nés de la nature des choses ? Pourquoi ne pas substituer aux jougs politiques – qui ne servent plus qu’à fomenter la révolte et la haine – des formes d’association qui permettraient de retrouver, du même coup, leur stabilité ? Laissez donc les peuples s’organiser comme ils le désirent, et laissez ensuite la vie tirer parti de leur diversité…
Si vous ne le faites pas à temps, vous serez débordés. Une civilisation qui se met dans l’obligation de lutter sur deux fronts est condamnée d’avance. Nous ne pourrons résister longtemps aux assauts simultanés du monde communiste et du monde arabo-africain. On ne peut vaincre à la fois à Poitiers et sur les Champs Catalauniques, d’autant plus qu’en persistant dans cette voie, on ne fait que hâter le jour où ces deux fronts n’en feront qu’un.
Dans tout cela, ce qui m’inspire, c’est le sort de l’Occident. Il est grand temps qu’il se réveille, qu’il sache que le péril est à ses portes, qu’il risque d’être submergé. Jadis il a surestimé ses forces ; aujourd’hui il sous-estime sa fragilité. Il sait qu’il n’est plus invincible, mais il se croit encore attrayant. Qu’il se détrompe. Il attire de moins en moins les esprits et les cœurs parce qu’il a perdu sa foi en lui-même. Il n’a plus les idées déliées et l’imagination créatrice qui faisaient autrefois sa primauté. Il n’est plus le beau fruit mûr, gorgé de jardins et de palais, de fresques et de musiques, qu’on connu les générations qui ont précédé la nôtre. Il n’est même plus certain des démarches de sa pensée. Le front ridé, la bouche amère et pleine de menaces, il ne s’appuie plus que sur des forces matérielles qu seront bientôt moins grandes que celles des autres continents. Pourquoi dédaigner ce que nous avions d’unique, ce que les autres peuples ne pouvaient imiter ? Pourquoi placer notre espoir de survie dans des mécaniques que le reste du monde ne tardera pas à fabriquer moins cher et en plus grandes quantités que nous ? Enfin, au moment où de vastes ensembles humains se groupent et s’organise, pourquoi maintenir nos divisions, qui nous affaiblissent et nous ruinent ?
C’est plus que jamais le moment de se rappeler l’avertissement de Proudhon : « Le XXè siècle verra l’ère des grandes fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans. » Sachons regarder en face la montée des peuples sous-développés. Mais apportons-lui la seule réponse qui convienne : redevenons nous-mêmes. Libérons-nous d’un matérialisme qui nous dégrade et nous défigure, pour retrouver les valeurs immatérielles qui faisaient notre supériorité. Sachons dégager les grandes lois organiques dont le monde s’est écarté, mais qui n’auraient jamais dû cesser de présider à la croissance des sociétés humaines, car elles sont les seules garantes de la civilisation.
Ah ! je le sens bien, rien n’est encore perdu si l’Occident retrouve sa véritable figure. Ce qui m’angoisse, ce n’est nullement que se forment un monde arabe, un monde africain. C’est qu’il n’y ait pas d’Europe pour leur servir d’exemple et leur faire contrepoids dans la balance des continents.
Jacques Benoist-Méchin, Un printemps arabe, 1959.
20:31 Publié dans La Zone Grise | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
« Une civilisation qui se met dans l’obligation de lutter sur deux fronts est condamnée d’avance. Nous ne pourrons résister longtemps aux assauts simultanés du monde communiste et du monde arabo-africain. On ne peut vaincre à la fois à Poitiers et sur les Champs Catalauniques, d’autant plus qu’en persistant dans cette voie, on ne fait que hâter le jour où ces deux fronts n’en feront qu’un. »
Une prévision de l'islamo-gauchisme un demi-siècle avant, quoi.
Écrit par : Criticus | 13/11/2009
je pense plutôt que les gauchistes sont les idiots utiles des islamistes.
Écrit par : dalidoudou | 13/11/2009
Les gauchistes ont été les idiots utiles de tout le monde depuis qu'ils existent, c'est leur raison d'être, historiquement. Un synonyme : français.
Écrit par : Ritchie | 13/11/2009
J'ai l'impression que le soliloque occidental sur la métissomania et le vivrensemblisme est une sorte de baroud d'honneur de l'Occident. Puisque ce dernier doit disparaître, autant emporter avec soi le maximum de barbares qui y sont entrés, en effaçant une partie de leur propre identité, et au passage, tenter de faire perdurer une partie de son identité chez les nouveaux maîtres...
Ou bien est-ce un ultime essai de domination, cette fois-ci sur le plan moral ?
Toujours est-il qu'on ne peut que gagner du temps, en attendant que le cadavre ambulant qu'est l'Occident cesse de se mouvoir.
Écrit par : Mr_Zlu | 13/11/2009
"je pense plutôt que les gauchistes sont les idiots utiles des islamistes".
En fait, ils sont (et j'en sais quelque chose !) un sous-produit du christianisme et, à ce titre, illustrent la thèse de Marcel Gauchet qui décrit le christianisme comme « la religion de sortie de la religion » c’est-à-dire portant en elle les germes de sa propre négativité, et donc de sa propre dissolution.
Sont-ils la "cinquième colonne" consciente de l'invasion musulmane ?
Quant les révolutionnaires en 1989 ont rédigé le Droits (de l'Homme et) du Citoyen, ils n'avaient pas imaginé que la deuxième partie allait être évacuée ... au profit du "Droitdel'Hommisme".
Écrit par : René de Sévérac | 15/11/2009
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