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01/09/2011

DECALAGE

Il y a une petite génération, quand vous haïssiez la société et viviez dans un quartier pourrave, vous écoutiez facilement ce genre de choses :

Majoritairement, les bons bourgeois n'aimaient pas ça. Certains de leurs enfants affectaient peut-être un certain intérêt pour les bas-fonds, histoire de faire chier papa, mais papa, lui, affichait un solide mépris pour les loubards, leur musique de sauvage, leurs dégaines crasseuses, leur nihilisme. Pas un politicard, d'aucun parti respectable, n'aurait imaginé s'en faire un électorat en flattant leurs moeurs, en citant leurs artistes comme des sources d'inspiration. La référence la plus audacieuse qu'un Mitterand ait tenté de manipuler était l'incroyablement propret, inoffensif et insupportable Balavoine, dont le souvenir nous fait chérir cette belle invention qu'est l'hélicoptère.

Zappez trente années, et écoutez Mongolène citer du Diams, sans se faire exclure de son parti ni perdre son statut de semi-présidentiable. Voyez les jeunes bourgeois d'hier dragouiller les bas-fonds météquifiés des quartiers tiers-mondisés, suer d'une trouille émoustillée face aux analphabètes à biteboxe qui les conchient et appellent sporadiquement à leur assassinat. Les salles de musique des écoles publiques transformées en salle de répétition pour morveux décérébrés marmonnant des allitérations imbéciles, qu'ils infligeront à une pleine salle de parents le jour de la remise des diplômes. Sur les chaînes brassant des millions et ciblant spécifiquement les 12-16 ans, la négritude haineuse, frénétique, revancharde est diffusée en boucle. Elle dégueule des fenêtres de pratiquement toutes les bagnoles conduites par les moins de cinquante ans, mâles et femelles confondus. Elle se retrouve jusque dans la pub, qu'il s'agisse de promouvoir des fringues pour enfants, une bagnole, un crédit-conso, va savoir quoi.

Pas trente ans pour passer de Renaud à Fifty Cent, le second vendant cent mille fois plus d'albums que le premier. C'est peu, trente ans, à l'échelle historique, pour un effondrement si radical de toute culture populaire. Ils sont où, les loubards, à présent ? Ils rasent les murs, comme les autres. La substitution culturelle les a rattrapés et plus personne ne les prend au sérieux. Leur "copain Mohammed" se fout de leur gueule, les traite de pédé, leur fauche leur mobylette, consent tout juste à leur vendre leur dose de chichon hebdomadaire. C'est à peine s'il existe encore des gens qui comprennent leurs références esthétiques, qui décryptent l'antique message que proclamait le fait d'arborer une tignasse, un cuir et des bottes. Obsolète, tout cela, venant d'une autre planète - alors que l'abomination Raï'n'B est considérée comme plus ou moins mainstream.

Qui n'en ressent pas une forme nauséeuse de vertige n'est déjà plus vraiment vivant.

Commentaires

J'attends le jour où un titre d'Avenue Mohammed sera l'hymne de la France.

Écrit par : Momo | 01/09/2011

Les voyoux, c'était quand même plus ça http://www.youtube.com/watch?v=fZXyHD927Nw

Écrit par : Watty | 01/09/2011

Marrant ton billet, je me faisais exactement la même réflexion en regardant (pour la énième fois) le film de Bernie Bonvoise "Les Démons de Jésus", qui dépeint un environnement d'Apaches complètement disparu.
Quand un gars aussi caricatural dans le genre "gaucho" que Bernie en devient éminemment sympathique, ça laisse effectivement rêveur.
Et nostalgique, surtout, très nostalgique.

Écrit par : GAG | 01/09/2011

Je développe un peu, hier je n'avais pas le temps.
Ce qui est très, très frappant, c'est la double acculturation que nous avons subi et en si peu de temps.
Nous vivons désormais dans un "pays" (remarque valable pour l'ensemble de l'Europe occidentale, et encore je présume qu'à l'est ça doit bien commencer à pourrir aussi) dont les mœurs ont été et africanisées et américanisées, et dans le même élan.
L'africanisation, c'est l'effondrement absolu de la discrétion, de la politesse, de la courtoisie, de la pondération. C'est la transformation systématique de tout immeuble -tous standings confondus- en HLM merdique dès que telle ou telle populace l'habite. C'est le bruit, énorme, immense, systématique, c'est la saleté, c'est la puanteur, c'est la dégradation, les ordures, les déjections, les mouches, les crachats par terre. C'est des grands chimpanzés costauds qui se mouchent dans leurs doigts (vous savez, en appuyant sur une narine), c'est des cris, des hurlements et du raï chaque nuit pendant la Fête Nationale du Ramdam. C'est des regards noirs, des sourcils froncés, des couteaux qui sortent trop vite, de la saleté physique, environnementale et surtout de la saleté d'âme.
L'américanisation, je ne vais pas m'étendre là-dessus, on connaît puisque c'est une acculturation par le haut (l'africanisation étant une acculturation par le bas). C'est des jobs pourris, des salaires merdiques, des collègues immondes, moralement plus bas que des punaises, des rêves de caissières partagés par l'ensemble de la population du plus minable au plus friqué (je crois que c'est la première fois dans l'histoire ; comme dit Renaud Camus, "la seule chose qui différencie aujourd'hui les riches des pauvres, c'est l'argent"), des goûts identiques, de la bouffe à peine différente, de la musique calibrée déversée de LA à Vladivostok, la consommation comme dieu, art et fin en soi.
On ne peut pas aborder correctement une journée lorsqu'on est ainsi cerné par la laideur : il devient impossible de vivre et encore moins d'envisager de transmettre la vie.
La nostalgie dont je parlais plus haut gomme évidemment les désagréments : oui bien sûr aucune époque n'est si enviable que ça, mais les inconvénients du passé (enfin, faut voir quel passé : avoir pour horizon de terminer la tripaille répartie sur 5 mètres en 1916 à l'âge de 19 ans n'est guère séduisant) font partie d'une sphère de vie globalement plus saine que ceux d'aujourd'hui.
L'infecte double invasion contemporaine endort grâce à de puissants anxiolytiques : RTT, loisirs, écrans partout, haut-parleurs partout, picole, bouffe, shit, fast sex (comme on dit "fast food"), etc.
Si on élimine cette couche de vernis, on succombe face à un vide terrifiant. Adolescent j'avais lu la trilogie rigolote "Le Guide du voyageur galactique" et je me souviens qu'on y évoquait une peine de mort particulièrement sophistiquée : on vous mettait en présence de l'infini de l'univers, ce qui avait pour conséquence de vous déconnecter définitivement, n'étant pas apte à supporter -même physiquement- une telle confrontation.

Écrit par : GAG | 02/09/2011

@ GAG

La citation n'est pas de R. Camus, mais de Nicolas Gomez Davila. Juste pour préciser, quoi...

Cordialement

Écrit par : P.A. | 02/09/2011

"On ne peut pas aborder correctement une journée lorsqu'on est ainsi cerné par la laideur : il devient impossible de vivre et encore moins d'envisager de transmettre la vie."

Tout est dit. Amen.

Écrit par : Momo | 03/09/2011

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