17/09/2012
ITINERAIRE D'UN PARFAIT SALAUD - SOUVENIRS NON-OUACISTES, chap. I
Moi qui vous cause, je vous l'affirme : je ne suis PAS né ouaciste.
J'aimerais pouvoir le revendiquer, me la péter plus-méchant-que-nature.
Vaine provoque.
Ce qui suit n'est pas proposé à votre oeil circonspect et oisif à titre de dossier à décharge, mais comme pure documentation pour des jours meilleurs ou une civilisation moins morte.
Humeur sous-proustienne.
Démerdez-vous.
* * *
J'étais un gosse discret, serviable, timide, patient, effrayé de déplaire à quiconque, rigoureusement infoutu de rejeter quiconque pour sa seule apparence hors-normes. La simple réalisation d'une différence physique manifeste se faisait toute seule, un donné sans conséquences, comme on constate que Papa n'a pas exactement la même gueule que Maman, en ne trouvant ça ni bien ni mal - c'est comme ça.
Je confesse - puisque je suis coupable de naissance - que les allogènes de mon entourage me semblaient plutôt laids. Ils avaient une drôle de tronche, ils ne faisaient pas exprès, à la limite on se sentait plutôt poussé à les prendre en pitié, à être avec eux plus patients et compréhensifs qu'avec les belles gueules, à qui tout réussissait et qu'on enviait, dont on cherchait l'amitié, qu'on voulait être.
Mais les trouver intrinsèquement plus cons, plus désagréables, plus détestables que la moyenne ? Niet.
Pas même besoin de se l'interdire : ça se jugeait sur pièces, au cas par cas. File-moi un bonbec ou de quoi recopier les devoirs du jour et tu fais partie d'un des cercles du clan. Tu restes bizarre mais cette bizarrerie est un fait, on l'intègre et on continue à vivre. De notre côté, on ne te fait pas chier gratuitement et tout roule tout seul. C'est ce qu'on nous demande, ce qu'on nous enseigne à la maison: n'emmerde pas si tu ne veux pas être emmerdé.
C'était ça, être bien élevé, être civilisé, être cool.
* * *
Le gosse que personne ne criminalise agit ainsi par nature. Toute différence, ethnique, religieuse, nationale, sexuelle, est enregistrée comme une information neutre et incluse dans le corpus qui nous permet d'appréhender notre coin de planète. Au point qu'une fois qu'elle a sa place dans notre bibliothèque mentale, elle ne représente plus rien si on la laisse tranquille et qu'on n'exige pas de nous qu'on la traite en permanence avec plus de sensibilité que les autres.
Voilà comment on en vient, sans se renier, sans s'excuser de crimes imaginaires, sans faire de l'Autre un déchet ni un dieu, à le rencontrer avec calme et décontraction.
Jimi Hendrix n'est pas un négroïde bizarre fringué comme un pouilleux : c'est un gratteux étourdissant d'inventivité et de rage canalisée, qui vous pousse à claquer tout votre maigre blé pour vous payer une six-cordes pourrave dans l'espoir de l'imiter. La gamine mi-noire mi-jaune adoptée par vos voisins n'est pas que sa dégaine excentrique : elle est la fille qui joue mieux que vous aux fléchettes. Cette silhouette anonyme à l'épiderme très très noir, avec des cheveux qui ressemblent à des cordes tressées, ce n'est pas un être fondamentalement infréquentable avec qui vous ne voulez rien avoir en commun, c'est un être femelle qui vous fait des drôles de sensations dans le ventre, quand elle vous invite sans un mot pour votre premier slow. Vous restez bien entendu amoureux fou de la petite blonde rigolote du chemin du Raisin mais,bizarrerie ou non, ça remue quand même là en-bas.
* * *
Vous vivez des choses-là sans penser à rien, jusqu'au jour où vous faites connaissance avec la culpabilisation outrancière et la Honte Blanche. Le jour où on vous la carre brutalement dans la gorge et le coeur, sans vous demander votre avis.
C'est là que vous réalisez qu'effectivement, c'est une blonde qui vous donne envie de faire des trucs qui vous foutent la honte devant les copains. Que lesdits copains ont une tendance au coup de soleil similaire à la vôtre. Qu'à la maison il n'y a qu'un seul accent et un seul dialecte. Que l'écrasante majorité de vos héros, réels ou imaginaires, ont une gueule qui vous évoque le mot "normal". Que le monde se divise paisiblement entre la catégorie des "Nous" et des "Autres", tous aisément identifiables à la gueule qu'ils ont et qu'ils tirent.
Et que tout cela, à entendre les gens qui vous éduquent, les gens qui voudraient vous servir de modèle, payés pour vous donner des leçons de Citoyennitude, est plutôt embarrassant.
A suivre.
22:22 Publié dans Itinéraire d'un Parfait Salaud | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Snif...C'est sans doute mon sentimentalisme excessif, en tout cas, je sens que ça va me tirer des larmes. Je lis souvent ton blog, mais là...Rien que le sujet : le souvenir de l'époque où l'on n'était pas encore nauséabond...Rétrospectivement, cette innocence disparue, cette tendre naïveté de l'ancien moi m'émeut au plus haut point. C'est vrai qu'on peut aussi en rire ou en avoir honte, mais ça fout toujours un petit coup de nostalgie de se pencher sur notre jeunesse racisme-free. Désolée, ça m'a fait ça aussi quand j'ai lu "l'histoire d'un mec" de Xyr...Un jour, j'écrirais peut-être la mienne.
Écrit par : La Vouivre | 18/09/2012
C'est foutrement bien écrit, ce petit début. On attend la suite.
Écrit par : Capo Lasagno | 18/09/2012
C'est vrai que cette période est celle où les à priori sont encore sur la chaîne de montage, bien avant le contrôle qualité... Et tout ce qu'on demande par la suite c'est de pouvoir encore s'en confectionner d'autres, seulement c'est de plus en plus rare. Les anciens sont trop souvent confirmés.
Votre Itinéraire démarre fort en tout cas.
Écrit par : Benway | 19/09/2012
C'est marrant (façon de parler) on sentirait presque une pointe de nostalgie. Vous ne pensez pas que vous êtes trop pur, au fond? Trop en recherche de pureté ? (le racial n'étant pas ce que j'entends par là hein. Je parle d'une façon d'être, de vivre, d'être UN d'actes et pensées).
"je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur
On ne dise aucun mot qui ne sorte du coeur" Alceste. Le misanthrope.
Écrit par : Restif | 29/01/2014
Un parfait sac à pain a parlé, je ne sais plus qui ni où, d'une horreur du genre : "la grâce de toujours désirer plus que ce que l'on obtient". Ce n'est pas une grâce, c'est un éternel purgatoire qui n'ouvre la porte d'aucun paradis. C'est vrai tant du malheureux qui ne sait jamais se satisfaire de rien, que l'enragé qui n'est jamais content de soi.
Écrit par : stag | 29/01/2014
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