17/01/2014
"LA DÉFINITION DU PARADIS SUR TERRE"
Avec le recul, il m’apparaît clairement que les amphétamines étaient à la base de tout ça, ainsi que de la plupart des violences sanglantes qui ont marqué l’univers punk. Les jeunes Londoniens de 1977 raffolaient du mauvais speed et tout particulièrement d’un produit connu sous le nom de sulfate d’amphétamine, une poudre blanche fabriquée le plus souvent dans des baignoires par des gangs de bikers provinciaux. Cette poudre brûle les parois nasales, détruit les cellules du cerveau, induit paranoïa, agressivité, et transforme généralement ses adeptes en fous furieux émaciés aux yeux exorbités. Inhaler un seul trait de cette substance nocive provoque des piqûres dans le nez pendant une bonne minute, noie le sens olfactif sous des effluves d’Ajax et suscite momentanément des troubles de la vision et des nausées.
En revanche, c’est relativement pas cher et ça tient bien éveillé : au point d’en grincer des dents jusqu’à en faire saigner les gencives. Puis, après plusieurs jours et nuits sans sommeil, viennent les douleurs dans les os et l’impression de ressembler à une régurgitation de chien errant. Pour finir ne restent dans la tête que de vagues bribes de ce qui s’est passé les dernières soixante-douze heures. D’où le fait que la plupart des souvenirs des punks anglais sont généralement peu fiables. Ils n’ont plus les cellules corticales nécessaires pour réactiver le passé de manière objective. Cette période a ainsi été réécrite et transformée en mythe sans que soit fait référence à ce qui l’a empoisonnée et brisée dans son élan : la violence gratuite, les mauvaises drogues, les caïds et autres maquereaux façon Tin Pan Alley.
Ceux qui ont allègrement dépeint cette époque comme une longue et insouciante fête reggae punk n’ont à l’évidence pas assisté aux mêmes événements que moi. Ou peut-être est-ce une question de point de vue. Un bon exemple ? Les Slits. Certains les ont présentées comme de valeureuses passionarias de la cause féministe. Pour ma part, elles n’étaient qu’une bande d’exhibitionnistes sans talent. Les voir à leurs débuts hurler et massacrer leur répertoire cacophonique est aussi insupportable que de se faire arracher les dents de sagesse par un praticien incompétent. Comment s’est imposée la croyance selon laquelle il est légitime de monter sur scène sans savoir jouer d’un instrument, et pourquoi personne ne flaire l’escroquerie ? C’est que les aliénés ont pris possession de l’asile qui tient lieu de scène musicale à la fin des seventies. La révolte de la jeunesse démarrée dans les fifties avec James Dean a fini emportée dans un lamentable tourbillon de crachats, d’épingles à nourrice et de speed de baignoire : on est passé de rebelle sans raison à rebelles sans idées.
J'aime la méthadone. Beaucoup. Elle me procure la même chaleur intérieur et la même impression d'invulnérabilité diffuse que l'héroïne au début. En fait, je ne perçois pas beaucoup de différence entre les deux drogues, elles accrochent autant l'une que l'autre au niveau purement physique et interagissent agréablement avec les mêmes parties du cerveau une fois la substance répandue dans le corps. En fin de compte, je remplace une dépendance par une autre. (...)
Mais cette situation comporte quand même pas mal d'avantages. Tout d'abord et principalement, le mauvais sort que la dope a jeté sur moi ces quatre dernières années est brisé. C'est miraculeux en soi: quelques mois de plus à me débattre dans la vie que je menais encore tout récemment auraient fait de moi un cadavre en décomposition dans un bâtiment condamné. Tous ceux avec qui j'ai commencé à prendre de l'héroïne sont morts, ou presque, ou en prison. Nous aurions tous dû le savoir. Nous avions lu les mêmes histoires. L'héro est un mauvais karma matérialisé sous forme de poudre et a décimé quantité de musiciens de jazz. Alors quelle chance pouvait bien avoir cette fragile génération rock tombée sous son influence ? Nous étions comme des moutons à l'abattoir. Mais au moment où j'arrive sur les lieux de l'exécution, le salut sa manifeste sous la forme d'une prescription de méthadone et m'évite l'impitoyable lame de la Grande Faucheuse. J'ai beaucoup de raisons d'être reconnaissant. Je me défonce chaque jour avec une drogue légale et gratuite. Pour moi, c'est alors la définition du paradis sur terre.
Nick Kent, Apathy for the Devil – Les seventies, voyage au cœur des ténèbres. Rivages Rouge, 2013
07:13 Publié dans La Zone Grise, Survie musicale zonarde | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
A mettre en lien direct avec les propos de Genesis P-Orridge période Throbbing Gristle (je cite de mémoire) :
Écrit par : Ostia | 17/01/2014
" Les punks disent : apprenez 3 accords et formez un groupe. Nous, nous disons : n'apprenez aucun accord". C'était là l'esprit du temps...joyeux bordel nihiliste.
Écrit par : Ostia | 17/01/2014
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