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11/07/2007

" LIBERTE DU COMMERCE "

Dédicace toute spéciale à nos amis libéraux qui se croient patriotes et gastronomes :

 

<< Depuis le 1er janvier 2007, les copeaux de chêne - qui confèrent aux vins des arômes boisés - sont admis par la Confédération pour tous les crus.

 

<< Courant en Amérique, en Australie et en Afrique du Sud, ce procédé diminue les coûts de production. Il accélère en effet le vieillissement du vin et évite un long entreposage dans des fûts de chêne.

 

<< Plusieurs cantons viticoles refusent cependant cette pratique. Ils interdisent l'utilisation de copeaux de chêne pour élever des vins portant le label 'Appellation d'origine contrôlée' (AOC), dont bénéficie plus de trois quarts de la production suisse. (...)

 

<< Mais la gronde anti-copeaux de chêne ne s'étend toutefois pas à l'ensemble du pays. Dans le canton de Vaud, la Communauté interprofessionnelle des vins vaudois (CIVV) s'est prononcée pour une utilisation «sans restriction» des copeaux.

 

<< Pour son président, Gilles Cornut, il serait malvenu de demander au canton de légiférer sur le sujet «alors qu'aucun contrôle efficace n'est pour l'heure envisageable». Le CIVV souhaite aussi prendre en compte les exigences du marché et de la concurrence étrangère. (...)

 

<< La législation fédérale précise que les vignerons qui utilisent des copeaux de chêne ne sont pas autorisés à mentionner 'vieilli en barriques' sur leur production. Mais ils ne sont pas obligés de préciser sur l'étiquette que leur produit a été vinifié avec adjonction de copeaux. Aux yeux de la Confédération, une telle obligation aurait constitué une entrave à la liberté du commerce. >>

 

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La liberté du commerce, c'est donc le droit de vendre de la merde au consommateur sans l'informer de la composition exacte du produit acheté. Oh, c'est pas qu'on ait eu des doutes sur ce chapitre-là, mais ça fait toujours plaisir de voir confirmées certaines évidences. Réjouissez-vous, Atlantistes de mes douze et fanatiques du pinard facile-à-boire, l'américanisation des goûts et des terroirs se poursuit dans la bonne humeur.

25/06/2007

LA HAINE, PULSION VITALE

<< La haine, c'est la liberté >>, clamait en janvier dernier un anonyme Organiste. C'est parfaitement vrai, mais ce n'est peut-être pas tout. Il se peut bien que la haine soit tout simplement indispensable à l'humanité.

 

Qu'on puisse écrire des lignes aussi lucides et furibardes, tout en conservant son capital de sympathie auprès de l'extrême gauche moderne, voilà qui troue le cul jusqu'à la glotte. Chapeau, Oncle Bernard.

 

 

La pulsion de mort relève de ce que Freud appelle une "intolérance spectaculaire du narcissime à la petite différence". Nous détestons ce qui ne nous ressemble pas. Mais notre détestation commune nous unit. "Il n'est manifestement pas facile aux hommes de renoncer à ce penchant à l'agression qui est le leur. L'avantage d'une sphère de culture plus petite - permettre à la pulsion de trouver une issue dans les hostilités vis-à-vis de ceux de l'extérieur - n'est pas à dédaigner. Il est toujours possible de lier les uns aux autres dans l'amour une assez grande foule d'hommes, si seulement il en reste d'autres à qui manifester de l'agression."

 

Ce narcissisme des "petites différences" a permis aux Allemands et aux Français, assez semblables au fond, culturellement proches et d'un niveau économique comparable, de se haïr au point de se détruire à deux reprises, en 1914 et en 1940. Le narcissisme des petites différences aide à comprendre les phénomènes nationalistes, les pogroms, les haines de voisinage, ou les matchs de foot qui dégénèrent en guerres ordinaires.

 

Cette haine qui cimente provisoirement les humains, pourtant déchirés par la compétition et la rivalité mimétique, est perturbée par le processus de la mondialisation. Apatride, antifamilial, antipatriote, le capitalisme crée un monde uniformisé, mondialisé. Or, contre qui retourner la pulsion de mort quand il n'y a plus d'extérieur ? Qui tuer, sinon soi-même ? Où trouver des juifs à brûler ? "On se demande avec inquiétude, dit Freud, ce que les Soviets entreprendront une fois qu'ils auront exterminé leurs bourgeois." Eh bien, la réponse est simple : ils disparaîtront. La mondialisation et l'uniformisation du monde éloignent les possibilités d'exutoire. Voilà la Terre déboisée, débarrassée de tout ce qui est différent (animaux et peuples primitifs, religions anticapitalistes). Enfin, la technique a triomphé, enfin les femmes sont devenues des hommes et les hommes des femmes, enfin l'uniformisation est parfaite.>>

 

Bernard Maris, Antimanuel d'Economie, t.2, p.301

 

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22/06/2007

" JE M'EN IRAI DORMIR DANS LE PARADIS BLANC " ...

Une forme de Traite des Blanches à laquelle il faudra bien finir par se faire.

 

"Mon cul contre ton passeport", un deal très tendance ces temps-ci. On fait pas plus oecuménique, nom de Dieu : Ouverture sur l'Autre, Rapprochement entre les Peuples, Libre-Echangisme au premier sens du terme, de quoi réconcilier les traîtres concurrents de tout l'échiquier politique classique. Et puis les nutritionnistes vous le diront : la viande blanche, c'est bon pour lutter contre le cholestérol.

 

<<  Bouddha et Allah – la foule grondait - , Shiva, Vishnou, Garuda, Ganesh, Krishna, Partavi, Indra, Deruga, Souriya, Bhairav, Ravana, Kali – suivit tout le panthéon hindou dont chaque nom chanté provoquait des gémissements d’extase – ont tenu conseil et sont allés rendre visite au petit dieu des chrétiens. Ils l’ont décloué de sa crois, ils lui ont essuyé le visage, ils l’ont soigné par leurs baumes sacrés, ils l’ont guéri puis ils l’ont assis parmi eux, ils l’ont salué et lui ont dit : « Maintenant, tu nous dois la vie, que vas-tu nous donner en échange ? » (...) Alors le petit dieu sans croix frotta ses membres engourdis, remua bras et jambes, tourna sa tête plusieurs fois sur son cou et dit : « C’est vrai, je vous dois la vie et je vais vous donner mon royaume en échange. Le temps des mille ans s’achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des saints et la ville bien-aimée… » (...)

 

<< Ainsi parla le petit dieu des chrétiens. Alors Allah et Bouddha, Shiva, Kali, Vishnou, Krishna… l’entraînèrent dans une ronde autour de la croix vide. Puis ils se mirent ensemble au travail. Avec les morceaux de la croix, ils construisirent un grand bateau, capable de traverser les mers et les océans, un bateau aussi grand que l’India Star. Puis ils rassemblèrent leurs colliers, leurs diadèmes, leurs bracelets et leurs bagues et dirent au capitaine : « Il est juste qu’on te paye, prends tout cela et, toi qui connais les routes du monde, emmène-nous aujourd’hui au paradis ». Quand le bateau prit la mer, suivi de milliers d’autres, le petit dieu des chrétiens courut sur ses jambes blanches et malhabiles, le long du rivage. Il criait : « Et moi ! et moi ! Pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Bouddha et Allah répondirent avec un porte-voix, et le vent lui apporta leurs paroles : « Tu nous as donné ton royaume. Le temps est fini où tu prenais d’une main ce que tu donnais de l’autre. Mais si tu es le fils de Dieu, marche sur l’eau et viens nous rejoindre. » Le petit dieu entra dans l’eau courageusement. Quand les vagues atteignirent sa bouche et ses yeux. Il mourut, noyé.

 

 

<< Le voyage fut long et périlleux. Beaucoup moururent en route et d’autres naquirent pour les remplacer. Puis le soleil cessa de brûler, l’air se fit doux et caressant quand apparut le paradis d’Occident. On apercevait des fontaines de lait [54] et de miel, des fleuves poissonneux, des champs gorgés jusqu’à l’horizon de récoltes spontanées. Mais on n’y voyait plus personne, ce qui n’était pas étonnant puisque le petit dieu des chrétiens était mort. Alors tous les monstres dansèrent et le peuple se mit à chanter, toute la nuit, sur le pont de l’India Star. Nous étions arrivés. >>

 

 

Jean Raspail, Le Camp des Saints, page 53-54

 

 

 

13/06/2007

CAUSE OF DEATH : EXTREME BOREDOM

L’Occident meurt de vieillesse et d’ennui. Il n’y a plus rien à faire en Europe, à part attendre. Attendre la fin des études. La fin du contrat à durée capricieuse. La fin du chômage technique. La fin de son temps légal de putanat. L’épuisement final de toutes ses ressources physiques et mentales, ces fragiles barrières contre la tentation de se laisser enfin aller à l’oubli total, de passer le pas définitif.

 

 

Tout est routinier sans plus rien de traditionnel – la mémoire des anciens étant la seule chose qui permette de faire indéfiniment les mêmes conneries sans concevoir des envies de décoller sa tête de ses épaules. Dès novembre et jusqu’au 2 janvier, tout pue la fête obligatoire, l’orgie banale, l’éclate prédigérée.

 

 

C’est dangereux, une jeunesse qui s’emmerde sous l’œil indifférent de ceux qui l’ont mise au monde. Quand elle est encore vigousse, elle est capable de provoquer des révolutions, cette rédemption des inutiles par naissance. Nous n’avons même pas ce choix-là. Regardez-les, nos Gentils Animateurs en charge des émeutes urbaines. Regardez les costumes d’arlequin qu’ils nous proposent, les cours de tam-tams qu’ils nous dispensent, les chansonnettes mièvres remplaçant les slogans guerriers, les parcours fléchés et balisés de képis de toutes leurs manifs « spontanées ». Ça vous donne envie de vous engager ?

 

 

Eux-mêmes, ces bons bergers, on se demande d’ailleurs comment ils tiennent le coup moralement, quand on voit le niveau du cheptel qu’ils côtoient. Peut-être qu’ils ont recours au même cynisme et à la même froide cruauté que les toubibs face à leurs patients, que les éleveurs de porcs entassés dans l’ombre et les remugles. Si c’est le cas, la désespérance serait la condition vitale de tout militantisme soutenu, et tout idéal véritable le meilleur moyen de ne plus rien branler.  Paradoxe gratiné.

 

 

On ne peut même pas se faire le porte-parole de « toute une jeunesse » qui s’emmerde, d’ailleurs. Nous ne sommes que quelques-uns qui s’offusquent de cet ennui, et nous ne sommes même pas d’accord sur ses causes, ses conséquences et ses remèdes.

 

 

Il y en a, majoritaires, écrasants, omniprésents, qui s’en accommodent fort bien, qui n’exigent de la vie qu’une routine confortable à six tickets par mois, sans restriction en matière de DVD, de tuning et de vodka-caramel. Ceux-là mettent beaucoup de bonne volonté à s’emmerder avec le sourire, à faire exactement ce que font leurs voisins tout en estimant sortir du lot, représenter l’avenir, rayonner la santé et la joie de vivre, coincés qu’ils sont dans leur recoin personnalisé de notre abattoir Citoyen.

 

 

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08/06/2007

FATALITE ET BETISE HUMAINE

(...) j'ai eu, jour après jour, au cours de mon activité gouvernementale, l'impression de me heurter, en haut, à une volonté obscure, indéchiffrable et insurmontable, plus forte que la volonté des chefs d'Etat les plus puissants : la fatalité de l'Histoire. En bas, à cette force aveugle, anonyme, multiforme et non moins tyrannique qu'est la fatalité de la bêtise humaine.

 

A voir comment se tisse, jour après jour, le destin des peuples, on s'aperçoit que ces deux éléments y jouent un rôle prépondérant, et que la raison n'y tient qu'une place infime.

 

Quand on a vu, comme moi, les plans les mieux conçus aboutir à des résultats diamétralement contraires à ceux que l'on avait escomptés ; quand on a vu chaque action susciter une réaction en sens inverse, plus violente que celle dont elle était issue ; quand on a vu les faits les plus patents et les solutions les plus évidentes niées et combttues par les intelligences les plus averties ; quand on a vu des facteurs impondérables ou le hasard le plus fortuit commander le sens des événements et régenter le sort des êtres, on prend en pitié les hommes d'être menés dans de telles conditions d'incohérence et d'arbitraire. On s'étonne moins de voir le cours de l'Histoire jalonné d'une suite de catastrophes et d'avortements.

 

 

Jacques Benoist-Méchin, De la défaite au désastre

31/05/2007

LA HONTE DES FUTURS ARCHEOLOGUES - PT. 3

L’Occidental et la Cité

 

 

Un même régime est en vigueur sur tout le territoire Occidental, au-delà des frontières culturelles ou linguistiques. On le connaît sous le nom de « Démocratie », une oligarchie où règne une élite de grands boutiquiers et d’actionnaires, appuyée par de larges corporations de scribes.

 

 

Les affaires officielles de la Cité sont déléguées à des « représentants » élus, mais qui ne doivent rendre de compte qu’à cette élite économique, qui fonctionne strictement sur le mode de la cooptation. Cette structure totalitaire pyramidale n’est pourtant pas contestée par la majorité des sans-pouvoirs ; bien au contraire, l’Occidental estime ce système juste et équitable, chaque Citoyen étant considéré comme Souverain en titre – à défaut de l’être en droit et en pratique.

 

 

Le soin maniaque porté à l’apparence physique rejoint ici le respect doctrinaire des conventions sociales : les droits théoriques importent plus que leur exercice concret et l’illusion d’une liberté collective permet à chacun de supporter les vexations et l’arbitraire des dirigeants. L'usage étendu de diverses drogues par les classes laborieuses permet de maintenir un semblant d'ordre social et les violences collectives sont remarquablement rares ; on observe des explosions de colère cycliques auprès des Néo-citoyens en provenance de la périphérie mondiale mais à mesure qu'il vieillit et qu'il se féminise, l'autochtone préfère lancer des bulletins dans une urne que des pavés dans les gueules.

 

Périodiquement, des cérémonies populaires ont lieu pour que l’aristocratie politique s’échange les portefeuilles et les ministères. Le citoyen Occidental secoue alors sa torpeur pour endosser le rôle de prêtre populaire. Il devient, pendant quelques semaines, un « électeur » dont le « suffrage » devra sanctionner les choix préalables de l’élite économique et redistribuer les compétences parmi les mêmes membres de l’élite politique.

 

On reste perplexe quant à bien des aspects de cette abdication générale de l'autonomie des citoyens. Ainsi, on constate que l'homme de la rue s'estime plus ou moins libre selon le degré de contrôle qu'il délègue intégralement à ses maîtres, sans possibilité de recours ou de confiscation des pouvoirs en cas d'abus flagrants. Les "affaires" se succèdent sans qu'elles nuisent sensiblement à un cursus honorum classique, en-dehors de cas exceptionnels de molestation d'enfants ou d'assassinat ; le détournement de fonds, le parjure flagrant, le mépris le plus affiché de la "volonté populaire" sont considérés comme autant de prérogatives légitimes des castes dirigeantes, ne mettant jamais en péril l'essence du régime qui les facilite pourtant outrageusement.

 

La caste des scribes connaît une grande agitation durant les périodes qui précèdent ces cérémonies. Quelle que soit la nouvelle répartition des tâches, ses prérogatives ne sont pas menacées, car son train de vie est assurée indépendamment des résultats du plébiscite. Il dépend toutefois du déboussolement permanent de sa clientèle, qu'il faut alors maintenir dans un état de fièvre perpétuelle, quitte à donner une importance démesurée à des événements dérisoires. L'électeur doit pouvoir discerner toutes les nuances du gris et du tiède pour que s'effectue en bon ordre le coup de sac de la lotterie politique.

 

 

Le tâcheron médiatique devient alors le relais complaisant des militants les plus fanatiques, et un formidable exhausteur de la saveur de l'actu. Sous sa plume, les platitudes se transforment en "messages forts", le non-choix mollasson est rien moins qu'une "troisième voie", les tristes ravalements de façade explosent en "véritables révolutions". Il faut bien cette magie des grandes phrases pour que la transe électorale secoue l'apathie où l'on maintient Monsieur Moyen tout le reste du cycle solaire.

 

 

Le citoyen en question se plaint parfois de cette stagnation, mais il n’entreprend jamais aucune action collective pour modifier la donne ; il accepte les règles fixées par ses élites et participe toujours en nombre suffisant aux cérémonies de renouvellement pour que celles-ci puissent se prévaloir de son indispensable sanction – vox populi, vox dei. Rarement depuis les balbutiements de la théologie chrétienne, les Dieux ne se seront aussi mal exprimés.

 

 

Une forme de désordre permanent règne dans les plus basses couches de la population. L’incivisme et le maraudage rendent difficile la vie des quartiers populaires ; toutefois, comme les meurtres et les atteintes à la propriété des riches y sont exceptionnels, les gendarmes se montrent très cléments envers les déviants. Leur marge de manœuvre dépend officiellement des Représentants du Peuple, mais leur passivité ne fâche pas l’homme de la rue – c’est au contraire son prétendu zèle qui indigne volontiers le Lumpenproletariat allogène, dès que ses activités économiques illégales sont quelque peu perturbées. L’arrestation ou la mort de l’un des leurs provoque régulièrement des émeutes, où les dégâts sont avant tout matériels et les victimes humaines rares et accidentelles. Demeure donc, dans les quartiers les moins fortunés, un climat malsain de haine et d'anxiété, dont ont beau jeu de démontrer les faibles bases factuelles tous ceux qui ont intérêt à soutenir l'impunité des emmerdeurs.

 

 

Malgré une stabilité sociale sans précédent depuis l'ère des chasseurs-cueilleurs, l'Occidental fin-de-race estime vivre dans un climat permanent "d'insécurité" ; il accueille donc avec soulagement tout ce qui pourra limiter sa marge de manoeuvre et la vertigineuse angoisse qui accompagne toute liberté tangible. Son temps voit l'éclosion d'une myriade de milices privées, parfois auxiliaires des pouvoirs en place, parfois en concurrence directe avec le Prince, dont le boulot consiste à maintenir la populace sous pression. Lobbyistes altersexuels, communautaristes exotiques, vigiles de la Correction, épurateurs du langage, écorcheurs de vieilles plaies cicatrisées et pornographes mémoriels se succèdent en un ballet continu pour pressurer les glandes lacrymales, les bourses et les excuses d'être trop normal.

 

 

                (A suivre, peut-être...)

26/05/2007

LE REICH DES GRANDS-MERES

La sagesse clocharde stipule qu'on trouve souvent des choses comestibles dans des poubelles répugnantes. Suivant ce principe, on ne voit pas ce qui empêcherait Fukuyama d'écrire des lignes aussi lumineuses que prophétiques. Démonstration :

 

Les pays développés vont aussi devoir affronter d'autres problèmes pour faire usage de cette même force. Les anciens - et surtout les femmes - ne sont pas les premiers à être appelés à servir dans les armées, de sorte que les réserves de personnel militaire vont fondre. Ajoutons que, dans ce type de société, les gens supporteront de moins en moins de voir des jeunes tomber dans une bataille.

 

Nicholas Eberstadt a calculé que, compte tenu des tendances du taux de natalité, l'Italie serait, en 2050, une société dans laquelle seulement 5% des enfants auraient des collatéraux d'âge comparables (c'est-à-dire des frères, des soeurs, des cousins, des cousines, etc.) Les individus seront essentiellement en relation avec les représentants des générations antérieures et avec leur propre descendance. Cette faiblesse des générations risque d'accroître le refus d'aller à la guerre et d'accepter le risque de mourir au combat. 

 

Le monde pourrait ainsi se diviser entre un Nord dont le ton politique serait donné par les femmes âgées, et un Sud qui serait mû par ce que Thomas Friedman appelle des "jeunes hommes en colère doté de super-pouvoirs" : c'est manifestement un groupe relevant de cette seconde catégorie qui a mené les attaques du 11 septembre 2001 sur New York et Washington.

 

La Fin de l'Homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, La Table Ronde, 2004 - cité par Maris, Antimanuel t.2

 

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21/05/2007

LA HONTE DES FUTURS ARCHEOLOGUES pt. II

L’Occidental et la vie économique

 

La foi en la Croissance se comprend mieux si l’on garde en tête que le dernier Occidental est avant tout un boutiquier. Il voue à l’agriculture un mépris ardent, la confinant aux populations extra-européennes et chargeant ses élites de détruire toute possibilité d’autosuffisance alimentaire continentale. Il méprise également l’ouvrier et l’artisan, jugés trop instables et trop coûteux par rapport à la machine.

 

La dégradation conséquente de la qualité des produits semble l’indifférer complètement et sa passivité face aux délocalisations et aux fusions des entreprises peut être considérée comme une acceptation des décisions économiques prises par l’aristocratie. De même, l’absence de toute jacquerie démontre la résignation, sinon l’acceptation de la paysannerie face à sa condamnation. Ses rares mobilisations tournent autour des aides que lui concède le Souverain pour adoucir son trépas et achever de réduire la tradition en une industrie aussi déshumanisée, cradingue et polluante que les autres.

 

  

L’accumulation de signes extérieurs de richesse s’est étendue à l’ensemble de la société, y compris aux classes laborieuses ; ces dernières, tout en entretenant un sourd ressentiment à l’égard des nantis, ne méprisent pas leurs symboles et les affichent fort volontiers. Vivre comme un bourgeois tout en crachant sur le Bourgeois n'est pas une contradiction, même chez le Bourgeois lui-même ; l'époque est de toute manière au reniement de soi et toutes les formes de masochisme sont auréolées d'un relatif prestige.

 

 

Les couches les plus basses de la société, vivant de rapine et de chantage affectif, échappent encore moins que les autres à la fascination pour l’or et les verroteries. Seules d’antiques civilisations sud-américaines les surpassent dans leur amour des ornements massifs et inconfortables. Tout en entretenant une sous-culture d’opposition factice aux classes dirigeantes, elles sont les fidèles les plus fanatiques du Veau d’Or.

 

Encore perçu comme humiliant quelques générations plus tôt, l’endettement s’est généralisé à l’ensemble du corps social. Il est banal pour un citoyen de vivre au-dessus de ses moyens et la figure de l’usurier a intégralement perdu son caractère négatif, devenant l’une des professions les plus rentables et les plus respectables du système économique.

 

Certains auteurs contemporains parlent même d’une « financiarisation » de l’économie, les fortunes les plus colossales ne dépendant plus de la qualité des produits ni de l’ampleur des domaines terriens. La démocratisation de la carte de crédit remplace peu à peu le papier-monnaie, faisant dépendre la richesse concrète de chaque personne de la stabilité et du bon vouloir des banquiers, un monopole perçu comme naturel et légitime.

 

Contrairement aux siècles précédents, le financier ne se contente plus de faire et défaire les monarques : il les remplace carrément au sommet de la hiérarchie sociale et si la Bourse ne remplace pas officiellement le Parlement, c'est sans doute plus par paresse que par manque d'intérêt pour la chose publique ou par démocratisme pointilleux. L'idée est répandue que la politique est une affaire suffisamment idiote pour être confiée à des professionnels du mandat et de la commission d'enquête.

 

(A suivre, encore...)

16/05/2007

LA HONTE DES FUTURS ARCHEOLOGUES - PT. 1

On est souvent surpris, quand on étudie les civilisations anciennes, de la bizarrerie de certains rites, de l’importance accordées alors à des croyances qui nous semblent absurdes. Lorsque les archéologues de l’avenir étudieront la fin de l’empire occidental, ils seront plus abasourdis que nous le sommes face aux Moai de l’Île de Pacques ou à l’obsession des Egyptiens pour l’astrologie.

 

 

Ils découvriront une société régie par une élite qui ne croyait même pas à ses propres mythes, où l’on gravissait les échelons du pouvoir selon la séduction opérée sur une stricte minorité de scribes à la fois omniprésents et mongoliens. Il n’y a pas que nos anciens qui considéraient les handicapés mentaux et les fous comme sacrés : nous avons porté le culte du gâtisme aux plus hautes sphères, chacun se prosternant devant ce qui se fait de plus crétin, de plus faible, de plus difforme. Que des rappeurs, des invertis, des vaginocrates, des laiderons et des putes puissent être considérées comme des exemples à suivre en dit plus long sur notre civilisation que tous les manuels de sociologie.

 

 

La social-démocratie se gargarise de ses valeurs, de ses réalisations, de ses libertés. Que lèguera-t-elle à ses survivants ? Rien, absolument rien de ce qu’elle croit de plus « durable » en elle. Nous laisserons à nos descendants l’image bouffonne et pathétique d’un sabordage sous acide. La décadence de Rome, en comparaison, aura un aspect romantique et glorieux. Nos Caligulas sont des sous-merdes sans panache, notre luxure est atroce de vulgarité marchande, notre aristocratie fin-de-race a la prestance et le charisme d’un candidat à la Starac éliminé au premier casting.

 

 

Pistes à l’usage des futurs chercheurs :

 

 

L’Occidental et ses croyances

 

 

 

L’Occidental des derniers siècles est panthéiste, version molle. Il vit dans un monde où les astres et les éléments tournent autour de l’Individu, sorte de divinité présente en chaque être humain, et à qui on doit rendre un culte très astreignant.

 

 

 

L’Individu est à la fois omniprésent et omniscient, mais d’une extrême fragilité : toute entreprise collective menace sa survie et doit être abandonnée si elle risque de le froisser. Un adage de l’époque spécifie qu’il vaut mieux libérer cent criminels confirmés plutôt qu’un seul innocent soit condamné à tort. C’est bien évidemment toute la collectivité qui en souffre et qui finit par mourir d’incivisme et de désordre. Mais à cette époque, le Peuple est considéré comme une abstraction légale, et comme une addition de tous les individus qui le composent. On préfère donc le malheur de tous à l’injustice frappant un seul.

 

 

L’Occidental est également xénolâtre, un système de croyance qui renverse toutes les conceptions connues jusqu’alors. Ce qui vient de sa propre tribu est considéré comme suspect, et tout ce qui émane de l’extérieur doit être accueilli sans restrictions ni méfiance. Ne sont suspicieux que les mécréants et les mauvaises personnes, que la loi et la coutume traitent en Intouchables.

 

 

 

Cette « homo-phobie » (au sens littéral du terme) se retrouve au niveau des familles ; faire le même métier que son père, une évidence jusqu’au XIXème  siècle, est tenu pour un grave échec, un signe de son incapacité à prendre son destin en main. S’ajoute à cela une autre conception, qui veut qu’un fils doive faire mieux, et surtout vivre plus confortablement, que ses parents. Tout autre destin est considéré comme une intolérable injustice.

 

 

Cette idée particulière s’insère dans le culte de la Croissance , une spiritualité très informelle, qui rassemble toutes les catégories sociales et qui transcende les convictions politiques.

 

 

 

Chez les gens « de droite », protecteurs des prédateurs économiques, on la considère comme la condition sine qua non du bonheur collectif. Chez les gens « de gauche », ennemis officiels des premiers et protecteurs des parasites en tous genres, cette conception se retrouve, sous la forme de la « défense des acquis sociaux ».

 

 

 

Apparemment opposées, ces deux castes se rassemblent tacitement autour de l’idée de « Développement Durable ». Elle postule que la boulimie obscène de la société industrielle peut être maintenue indéfiniment, tout en limitant les destructions irréversibles et les pollutions abominables qu’elle génère.

 

(à suivre)

23/04/2007

"...L'HAMLET EUROPEEN REGARDE DES MILLIONS DE SPECTRES. "

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Paul Valéry, La Crise de l’Esprit, 1919

 

Sauf que les civilisations ne crèvent pas que dans des guerres hallucinantes. Elles meurent aussi de la vieillesse, de l’indifférence  et de la stupidité des hommes qui les composent. Notre temps présente à tous les niveaux ces trois traits de caractère et nous sentons tous, nous autres veilleurs malgré nous, les symptômes de notre agonie collective.

 

L’Occident crève, chacun le sent et le sait, mais tous font miner de l’ignorer, de regarder ailleurs. Modérés ou radicaux, nationalistes ou apatrides militants, optimistes ou paranos, le discours dominant de toutes les écoles de pensées se base sur un fond commun : l’heure est grave mais il n’est pas trop tard. Le constat tragique de Valéry n’est pris au sérieux par personne.

 

Au maximum, trouve-t-on parfois des mythos qui avertissent d’un danger imminent, une vague qui va nous emporter si nous ne réagissons pas à temps. L’idée que cette vague est déjà passée et qu’elle nous a dispersé comme des brindilles heurte tant les esprits qu’elle est refoulée instinctivement dans les bas-fonds de la pensée. N’y songent et n’en parlent que les barjots.

 

Et pourtant nous crevons. Nous sommes déjà largement morts. Nous sommes une gigantesque charogne, avec des membres noirs de gangrène dont chacun détourne les yeux pour se concentrer sur les quelques cellules encore saines. Tout ne va pas si mal. C’est pas encore le Bronx. Il est urgent d’agir mais agir servira à quelque chose. Simple question de volonté.

 

Méthode Coué.

 

Fétiches et gris-gris.

 

Courage, Camarade, et n’oublie pas de voter utile, de payer ta cotisation, de manger cinq-fruits-et-légumes par jour.

 

Il y a des raisons objectives, compréhensibles, à cet aveuglément systématique. C’est, paradoxalement, un réflexe de survie. Face à la chute de l’empire européen, après des millénaires de domination mondiale, la perspective de la mort et de l’oubli paralyse notre sens critique. Pas besoin de se « convaincre » qu’il n’est pas trop tard, nulle doctrine nécessaire. Notre cerveau le fait pour nous, en résolvant la dissonance qui naît du choc entre deux constats inconciliables : le navire sombre et nous ne voulons pas claquer en mer. Personne ne peut penser sereinement et objectivement à sa propre disparition, nous sommes biologiquement programmés pour fuir cette perspective inéluctable jusqu’à la dernière seconde.

 

Valéry, encore une fois :

 

« (...) l’espoir n’est que la méfiance de l’être à l’égard des prévisions précises de son esprit. Il suggère que toute conclusion défavorable à l’être doit être une erreur de son esprit. »  

 

Le cirque politique et médiatique tient Monsieur Moyen loin de ce constat abominable. Ne pas choquer ces petits qui croient. Ne pas scandaliser les petits-enfants de Billancourt. Ne pas saper la confiance des ménages qui se remettent à consommer, à investir, à s’endetter, à maintenir sous perfusion le nouvel Homme Malade qu’est le continent tout entier. A gauche, tout est la faute au racisme et au Marché. A droite, on ne se préoccupe que de règlementations, de chartes éthiques, de planification comptable. A chaque chapelle son Gospel pour soutenir le moral des troupes. Et la cacophonie des chœurs devient un Canon innommable où reviennent comme un mantra la nouvelle Trinité jetable des Modernes : Emploi, Croissance, Démocratie.

 

 

Reste que tout cela n’empêche pas l’Europe de crever la gueule ouverte, pleine de mots doux, de néologismes et de statistiques. Nos parents, nos grands-parents, ont tout fait pour cela. Ils l’ont fait au nom de l’Humanisme, du Progrès, du Socialisme, de l’Economie de Marché, de l’Ouverture sur l’Autre, de la Science , de toutes les utopies mongoliennes et mortifères disponibles. Ils nous lèguent une société à la fois amorphe et rigide. Notre éveil politique commence comme la seconde vie du Colonel Chabert : nous rampons à travers les cadavres vers une hypothétique lumière, vers une vie qu’on nous a volée, vers une déchéance grotesque et humiliante.

08/04/2007

LE SILENCE, PLUS D'OR QUE JAMAIS

On s’éviterait un maximum de malheurs si on avait la possibilité logistique et biologique de ne jamais quitter sa piaule. Qui l’affirmait, déjà ? C’était certes un bien grand bonhomme. La compagnie de nos contemporains est le ferment de la misanthropie méthodique et il suffit de se frotter à tout ce qui est humain pour qu’il vous devienne intégralement étranger.

 

Il y a peu d’activités aussi inutiles, coûteuses en temps, dévoreuses stériles de précieuse énergie, que de causer à nos prétendus semblables. Plus précisément, c’est débattre avec eux de quoique ce soit « d’important » ou de « sérieux » qui est éreintant, qui assèche l’âme et accouche de la plus noire des biles. On en vient alors à développer une horreur primale de toute discussion de fond avec les zombis qui titubent dans notre environnement. La bêtise assumée et la vulgarité abyssale de leurs « opinions » entraînent des crampes mentales qui se répercutent jusque dans les membres. On se croyait grande-gueule, ils nous rendent aphone.

 

Discuter politique, philosophie ou éducation avec n’importe quel Occidental moderne a sur l’humeur les mêmes effets que la pression sur un scaphandrier qui ne respecte pas les étapes de sa remontée des profondeurs. Ca vous paralyse, vous écrase, vous suce l’air hors des poumons. On en vient à se fracturer de l’intérieur tant les mots, mêmes hurlés, canalisent mal la rage de meurtre. La paix de l’esprit est dépendante d’une seule variable, éternelle et si pleine de bon sens qu’elle semble absurde à l’intello aveuglé par le pouvoir du verbe : le silence.

 

Ne rien savoir.

 

N’avoir aucun avis sur rien.

 

Se foutre du quart comme du tiers.

 

Si on ne peut le faire sincèrement, il importe quoiqu’il arrive de le feindre en tous lieux et tous temps, face à n’importe quel interlocuteur qui ne soit pas un camarade éprouvé.

 

Au Royaume des Bavards, les muets ne sont pas les Rois, mais les Sages. Or tout le monde parle en même temps, en notre glorieuse époque de médiatisation, de communication, de verbiage insane et perpétuel. A mesure que la technologie nous permet d’atteindre n’importe qui et n’importe quand sur son putain de portable, nous avons toujours moins de choses sensées à raconter, et en un vocabulaire toujours plus pauvre, plus kitch, plus créolisé.

 

La capacité d’écoute attentive et de compréhension sincère s’apparente à un art martial sophistiqué. Qui connaissez-vous, dans votre entourage étendu, qui soit capable de la boucler dix minutes et d’écouter sincèrement tout  ce quelqu’un lui dit ? L’intolérable majorité des gens qu’on fréquente ne cherche la compagnie d’autrui que pour l’enterrer vivant sous un effrayant blabla, pour torcher leur bouche incontinente avec la première paire d’oreilles venue.

 

Vous croyez avoir des amis ? Voyez s’ils vous écoutent vraiment, ou s’ils ne se taisent que le temps de recharger leur canon à foutaises. Quiconque vous coupe systématiquement la parole est à classer parmi les cibles à détruire. Un ami A.O.C. est un homme en compagnie de qui vous pouvez boire une bière jusqu’au bout sans prononcer un mot, et sans que la moindre gêne ne s’installe. Mais un taiseux a mauvaise réputation. Son silence souligne grossièrement la superficialité douloureuse des amitiés de bistrot, d’études ou de boulot.

 

C’est ce qui rend encore plus attrayants les vides vertigineux de la montagne, la désolation des pires déserts ou la violence des mers les moins accueillantes : on n’y entend aucun de ces couinements humains, aucune de ces jérémiades d’esclave en grève, rien de la mélasse sous-humaniste des dandys castrats qui nous servent de modèles et de porte-paroles.

17:15 Publié dans Marées Noires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Vos gueules

06/04/2007

CREVER POUR LE DROIT DE SUCER DES BITES

On ne perd jamais son temps à lire du Kaczynski. Ni à le relire. Ni à l'apprendre par coeur.  Ni à forcer tout bipède pas trop abruti de son entourage à faire pareil.

 

<< -Tout cela est affreux ! C'est immoral ! C'est du racisme, du sexisme, du spécisme, de l'homophobie et de l'exploitation de la classe ouvrière ! C'est de la discrimination ! Nous devons obtenir la justice sociale : un salaire égal pour le marin mexicain, des salaires plus élevés pour tous les marins, un dédommagement pour l'Indien, un nombre égal de couvertures pour les dames, la reconnaissance du droit à sucer des bites et plus de coups de pied au chien !

 

- Oui, oui ! crièrent les passagers. Oui, oui ! cria l'équipage. C'est de la discrimination ! Nous devons exiger nos droits !

 

Le mousse se racla la gorge :

 

- Hem. Vous avez tous de bonnes raisons de vous plaindre. Mais il me semble que ce qui est vraiment urgent c'est de virer de bord et de mettre le cap au sud, car si nous continuons d'aller vers le nord, nous sommes sûrs de faire naufrage tôt ou tard, et alors vos salaires, vos couvertures et votre droit à sucer des bites ne vous serviront à rien, car nous serons tous noyés. >>

La Nef des Fous

 

<< Beaucoup de « gauchistes » s'identifient avec les groupes qui ont une image d'êtres faibles (femmes), de vaincus (Amérindiens), de victimes d'ostracisme (homosexuels) ou de toute forme d'infériorité en général. Les « gauchistes » ont eux-mêmes le sentiment que ces groupes sont inférieurs. Ils ne se l'admettront jamais, mais c'est précisément parce qu'ils ressentent ces groupes comme inférieurs qu'ils s'identifient à leurs problèmes. >>

 

La Société Industrielle et son Avenir

05/04/2007

FRANCE-DENTELLES CONTRE FRANCE-POUBELLE

De passage par une grande surface de la région (pas de pub, démerdez-vous pour la reconnaître), Yours Truly est surpris d’entendre pour une fois autre chose que des bruits de jungle urbaine ou des mièvreries pop spécial pucelles. De l’accordéon, dis voir ! Et pas du manouche, du musette ! La mélodie du Ricard, du camembert, du Beaujolais, des pavés parigots… 

 

On se serait cru en pleine caricature amerloque. Qu’ils nous fassent des cartoons ou des films, il existe pour toutes les productions yankees un même code sonore immédiatement identifiable par n’importe qui dans le monde, pour comprendre que l’action se passe en France : un air d’Yvette Horner ou de n’importe quel pianoteur à bretelles. C’est la bande-son incontournable, le complément audio obligatoire du béret, de la baguette sous l’aisselle et de la Gauloise au bec. L’équivalent, pour mon côté de la frontière, du yodel, du cor des Alpes et du mugissement du Yéti des forêts inexplorées d’Unterwald.

 

 

C’est pas le cliché qui est choquant en soi. C’est son décalage avec une réalité que tout le monde peut constater, alors que la force d’une caricature tient à sa ressemblance, même exagérée, avec le modèle représenté. Voilà un nouveau cas de Fracture Sociale, une nouvelle hernie entre Pays Légal et Pays Réel.

 

 

Le bal-musette, musique populaire française ? Couleur locale de l’Hexagone ? Et puis quoi encore ? La France populaire actuelle, c’est plus ça, c’est ça. Tout le monde le sait, tout le monde le sent, tout le monde le comprend instinctivement. Nos meilleurs journaleux nous l’expliquent, en nous rappelant que c’est un progrès, que c’est normal, que c’est inévitable, que ceux qui ne bandent pas face à cette évolution sont des nazis à garroter sur la place du marché.

Et pourtant, le cliché perdure. Comme une précieuse relique. Comme ces fausses ruines où les romantiques d’un autre siècle aimaient bichonner leur mélancolie. Comme un fétiche où se serait réfugié l’esprit de la France , celle qui n’avait pas encore la tête si profondément enfoncée dans les chiottes qu’elle savait faire la différence entre un Abd-al-merdik et un Baudelaire.

Cinéastes, publicitaires et autres pollueurs publics, pour nous plonger dans l’ambiance franchouillarde, oubliez La plus bath des java et choisissez plutôt Ma France à Moi. Ca fait moins de charme et plus d’odeurs de poubelles qui brûlent, mais au moins vous ne tricherez plus sur la marchandise.  

29/03/2007

LA NAUSEE, MAIS PAS CELLE DE SARTRE

Le monde moderne provoque en celui qui l’observe une nausée bien différente de celle dont parlait Sartre en son temps. L’hideux stalinien résumait par ce terme l’élan frustré du militant, angoissé par le poids de sa mission historique. Celle que nous éprouvons se rapproche bien plus d’un véritable haut-le-cœur que d’un dépassement face à l’ampleur de la tâche révolutionnaire.

 

Conquérir notre place en ce monde et le façonner à notre image n’est plus à l’ordre du jour. La saleté, la décadence et la corruption ont atteint de tels sommets que l’évidence qui s’impose est toute autre – nous n’y avons tout simplement plus rien à y faire. La trouille paralysante qui nous envahit est celle du kamikaze confronté à l’imminence de sa propre mort, alors que ses généraux ont déjà signé l’armistice.

 

Tout ce que nous pouvons accomplir de salutaire pour l’Europe est tenter de saccager la décharge à ciel ouvert qu’elle est devenue. Y construire quoique ce soit n’a plus aucun sens, à moins d’accepter par avance l’échec et l’avortement. Le mot n’est pas trop fort, puisqu’il s’agit bien de nos mouflets avant tout. Donner naissance à des trisomiques ou des imbéciles irrécupérables est sans doute une bénédiction à l’heure actuelle : des enfants viables, autonomes, forts et lucides ne trouveront ici-bas que la désolation sociale, la misère spirituelle et une excellente raison par jour de boucler la ceinture d’explosifs. Nos descendants n’auront le choix qu’entre le statut de victime et celui de bombe humaine, avec la garantie qu’une atroce majorité n’aura ni le courage ni la décence de choisir la seule option honorable.

 

Ils vivront dans un monde où avoir deux parents vivant ensemble sera une bizarrerie, où les mères célibataires seront la norme et où avoir deux pères ou deux mères devra être considéré comme normal sous peine de poursuites. Ils seront familiers des viols en réunion avec filmage sur téléphone bien avant leur première relation consentante. Ils traverseront des rues où la jeunesse autochtone sera composée exclusivement de dread-loqueteux, d’androgynes pop-goths, de salopes revendiquant fièrement ce titre et de blaireaux à poubelles tunées. L’école leur apprendra à devenir des lopettes consuméristes et xénolâtres. Leurs ambitions se cantonneront à construire des cybercafés au Burkina, à faire une courte carrière dans la musique d’ascenseur, à revendre de la came à leurs prétendus potes ou à louer leur cul à l’empire ultralibéral.

 

Selon qu’ils se croiront de gauche ou de droite, ils se mettront au service des délocalisateurs d’entreprises ou des propagandistes du Lumpen. Leur univers se limitera toujours plus à des banlieues sordides, des mégapoles irrespirables, du bordel multiethnique sans âme, de la stupidité joyeusement assumée.

 

L’avènement de ce monde épouvantable n’est pas qu’une question de volonté, d’engagement, de résistance. Nous savons TOUS très bien que malgré tous nos efforts, c’est cette sale gueule-là que notre avenir aura. Même les plus optimistes d’entre nous, les plus hystériquement auto-endoctrinés, savent et sentent parfaitement que nous devrons ramper dans ce gigantesque collecteur d’égouts pendant des décennies. Même en admettant qu’une Révolution intégrale soit possible et qu’elle se produise durant notre courte vie, nous savons et sentons tous parfaitement que nous allons nous manger des hectolitres de chiasse avant que le moindre séisme politique et social se présente. Personne ne peut sincèrement s’en réjouir. Et pourtant il y en a pour sabler le Rimuss, déjà tout réjouis en reniflant le parfum des ruines à venir.

 

Ecoutez-les, ces prétendus pragmatiques, ces arrivistes refroidis, ces massacreurs encore embryonnaires, qui vous expliquent que ce n’est qu’une question de patience ! Comme quoi « quand les caddies seront vides », on va voir ce qu’on va voir. Comme quoi Monsieur Moyen se bougera le cul quand ledit cul sera si maigre que s’asseoir sur un banc lui fera mal. Comme quoi nos semblables finiront fatalement par se révolter à force de voir leurs fils rackettés, leurs filles violées une fois par semaines dans les caves du quartier, leurs parents insultés et molestés par les plus odieux bipèdes que l’enfer sous-développé ait jamais chié.

 

Ecoutez-les et voyez comme s’allume dans leurs yeux cette sale petite lumière sadique. Voyez leur confiance absolue dans leur capacité de survivre aux pires scenarii Mad Max, leur impatience d’arriver enfin au Grand Chaos, leurs mains qui se crispent déjà sur un fusil imaginaire. C’est que eux, n’est-ce pas, on ne la leur fait pas ! C’est qu’ils sont déjà des guerriers urbains accomplis, ma p’tite dame ! C’est que eux, ils n’auraient aucun problème à survivre à Bagdad ou à Kaboul ! Des bêtes de concours ! Des pitbulls qui marchent sur leurs pattes arrière ! Du vrai de vrai, du Viking contemporain !

 

Eux ne souffriront pas de tout ce merdier, que non. Ils seront bien à l’abri, indestructibles, inatteignables ! Leurs gamines ? Championnes de K1 à quatorze ans, et à l’écart de toute mauvaise fréquentation, même à l’école primaire ! Leurs parents ? Planqués à la campagne, dans un camp retranché où personne ne viendra les faire chier !  Le Grand Chaos, bien accommodant, il ne frappera que Les Autres, les lâches et les traîtres, les bobos et les bolchos, les déracinés urbains, toute la lie du peuple qui ne se sera pas rallié à leur blanc panache ! C’est comme ça, l’Histoire est magnanime, les Dieux sont avec nous, la Fortune sourit aux audacieux, et on n’aura que le boulot le plus agréable, à savoir l’épuration décontractée des saligauds miraculeusement rescapés de l’effondrement général.

 

Ce que de tels fantasmes traduisent, c’est une mentalité de charognards, de détrousseurs de cadavres, de profiteurs de charnier. Et ça se permet de faire la morale aux cannibales marxistes qui décimaient les populations au nom de la Liberté du Peuple. Allez vous poser des colles, après ça, sur le fait que tant de nos semblables nous considèrent comme des illuminés, porteurs d’aucun projet de société viable. Notre acharnement à leur donner d’aussi excellentes raisons de le penser a quelque chose de fascinant.

28/03/2007

LE ROCK EST MORT

R&F : Y a-t-il une pensée politique derrière le livre (1)?

Benoit Sabatier : La pensée politique part de ce paradoxe : je suis pour l'avènement d'un monde rock'n'roll. Il a eu lieu mais c'est plutôt le cauchemar. On voit Nagui à la télé : "Waow ! Trop rock'n'roll, j'ai invité le dernier groupe de rock trop bien, Coldplay.". C'est une catastrophe, il y a eu dégénérescence. Il y a 25 ans, le journal Libération faisait deux pages sur Alan Vega, il consacre à présent la même place à Carla Bruni. Dans cette histoire de la culture jeune, ça m'a intéressé de montrer que la politique ne vient pas de là où on s'y attend. Un personnage apolitique comme Ray Davies a une portée infiniment plus subversive que Bertrand Cantat. Kurt Cobain avait beaucoup plus de poids que Rage Against The Machine. (...)

 

Personnellement je trouve que la culture jeune, aujourd'hui, l'esprit "Brice de Nice", les gens de la mode qui n'ont que le mot rock'n'roll à la bouche, les baby-boomers qui pensent être dans le coup parce qu'ils écoutent leur iPod, c'est l'apocalypse. Christopher Lasch, Serge Daney et Lester Bangs avaient raison : l'angélisme du cool, c'est un cauchemar.

 

Rock & Folk, mars 2007, page 22-23.

 

(1) Benoît Sabatier, Nous sommes jeunes, nous sommes fiers - La Culture jeune d'Elvis à Myspace, Hachette.

27/03/2007

VA FALLOIR QU'ON M'EXPLIQUE

Il paraît que cette banderole, déployée lors d'une partie de balle-au-pied entre mercenaires hexagonaux et joueurs lithuaniens, est "raciste". Brèves De Foot confirme que le terme est justifié. Ca choque beaucoup de monde. On murmure même que ne pas être choqué pourrait être un signe extérieur de complicité avec... euh ?  

...les terroristes ? Non, pas de bombes.

...les agresseurs ? Non, pas de victimes.

...les militants du Front National ? Non, pas de slogans politiques. Merde. Ca se complique.

... enfin disons de complicité avec les mauvais citoyens responsables de cet acte pas très black-friendly. Voilà.

 

Peindre l'Afrique aux couleurs de la République Française ? Je sais pas, mais étant donné que le français est parlé dans vingt-cinq pays de ce continent, ça pourrait être pris comme un hommage légitime. De nombreux pays africains sont également des Démocraties, ce qui fait une deuxième raison de les lier ainsi à la Patrie des Droits de l'Homme (amis machistes, dites "Droits Humains", vous marquerez des points avec les féminystériques.) Mais laissons ces broutilles et reportons-nous à ce monument de littérature populaire bien connu : le programme télé de la semaine.

On y lit que ce soir mardi 27 mars, nous aurons droit à un Théma spécial : "2030, le big band démographique." Au menu :

 

Dans 25 ans, la planète abritera huit milliards d'êtres humains. Cette explosion démographique va bouleverser la carte du monde : les migrants du sud et d'Asie pourraient devenir essentiels à la survie d'une Europe vieillissante. Experts et reportages brossent un état des lieux de la situation.

 

Les chenapans à l'origine de ce happening pictural n'avaient donc aucune mauvaise intention derrière la tête. Bien au contraire, ils ont compris que la Vieille Europe, crevant sous le poids de ses riches, gras et cyniques Seniors, ne pourra pas se passer de l'apport du sang neuf, vigoureux et créatif de l'autre bord de la Méditerranée. Cette banderole était leur manière candide, innocente et touchante, de déclarer que tous ceux qui ne sont pas encore "chez nous" y sont déjà considérés comme "chez eux." C'est noble, courageux, progressiste.

 

Liutauras Varanvicius, Président de la fédération lituanienne, a promis des sanctions exemplaires. Amis démocrates et footeux, vous DEVEZ intervenir et lui expliquer qu'il y a un horrible malentendu. Bien loin de devoir être punis, les supporters facétieux devraient tous recevoir gratuitement un bracelet Stand Up Speak Up. Tant il est vrai qu'effectivement, contrairement à d'autres, ils se sont levés et ont ouvert leur gueule pour saluer le brillant avenir qui nous attend.

26/03/2007

DEDICACE CELINIENNE AUX NOCTAMBULES

<< L'insomnie légère ou tenace des intellectuels, l'insomnie essentielle, ne se présente pas tout à fait comme celle des autres sujets, des "manuels" par exemple. Le plus souvent, les intellectuels semblent prendre un certain goût pervers pour leur insomnie, il entre dans leur cas une forte participation de masochisme, de narcissisme... et pour tout dire de littérature consciente ou inconsciente. Ils finissent par n'aimer point qu'on leur reprenne leur insomnie. Ils veulent bien la soigner, certes, mais ils ne veulent pas tout à fait en guérir. D'ailleurs, en général, et moins que tout autre, l'intellectuel ne veut perdre la moindre chose de ce qui est lui-même, de sa chère signature, de son nom chéri, sa merveilleuse personnalité, et même son affreuse insomnie !

Ne point croire cependant que la souffrance de ne pas dormir est dans son cas feinte ou dérisoire! Nullement ! Mais il est ainsi fait l'intellectuel, ce malheureux, que tout ce qui lui arrive est l'occasion d'une rumination mentale plus ou moins formidable. Il n'en sort plus et ce qui est plus grave, il préfère, atrocement, n'en pas sortir ! Le voilà donc gentil et bien équipé par ces insomnies que nous voyons, devenues entièrement angoisses et terriblement conscientes, durer parfois toute une vie !...

A ce moment plus on l'imbibera d'hypnotiques, plus il s'acharnera à rechercher son insomnie à travers l'Hypnotique pour la préserver, "abominable et merveilleuse torture", de toute atténuation. Triomphal, il vous arrivera le lendemain du cachet, blème, tiré, suicidaire : "J'en ai pris deux, Docteur, et je n'ai pu fermer l'oeil! " C'est qu'il a vaincu l'Hypnotique ! Il a sauvé sa torture !  C'est un vicieux d'angoisse. Intellectuel = masochiste. Ne lui donnez pas de raison d'être malheureux en le traitant par des Hypnotiques ordinaires. Il les aime trop ses malheurs. Il les préfère en vérité à tout le reste de sa vie. L'intellectuel s'entraîne aux insomnies à coup d'Hypnotiques. Il arrive à la fin à retrouver son insomnie à travers n'importe quel barbiturique. (...) >>

 

Louis-Ferdinand Destouches, manuscrit inédit de février 1932, Hors-Série n°4 de Magazine Littéraire, 2002, page 51.

23/03/2007

PANIQUE CHEZ LES JEUNES RENTIERS DES "TRENTE GLORIEUSES"

Un nouveau lieu-commun (je dis nouveau, c’est relatif : pour ma part, ça ne fait pas longtemps que je le lis et l’entends ici et là) s’est bien répandu parmi l’opinion publique, repris tant par les sociologues agréés que par le vulgaire. Il est le plus souvent résumé en une proposition simple, qui veut que :

 

ma génération soit la première – depuis quand ? mystère – à ne pas pouvoir espérer vivre mieux que la précédente.

 

Grand-papa s’en sortait plus ou moins, Papa déjà mieux, Fiston-Fifille s’attendaient donc à poursuivre la courbe ascendante. Une bien belle érection économique, un nouvel étage à l’horizon dans la course rectiligne de notre vieil ami l’Ascenseur Social. Et puis paf ! La turgescence dégonfle. Voilà qu’il faut se faire à l’idée au mieux de stagner, au pire de régresser. Il paraît que ça traumatise, que ça angoisse quant à l’avenir, que ça pioche méchamment dans le moral des troupes.

 

On peut se demander qui  ça inquiète vraiment.

 

Les prêtres de la Croissance éternelle, du Développement Durable, c’est sûr que ça doit leur générer quelques sueurs poisseuses. La presse s’en fait tout naturellement l’écho, puisqu’une bonne partie de son activité consiste à entretenir la boulimie morbide du consommateur. Mais dans la tête de Monsieur Moyen ? Y a-t-il une telle panique ? C’est à voir.

 

Junior flippe pour son supplément de dessert....

 

 

Moyen Junior, ça le défrise, bien sûr. Il a eu le temps d’étudier le parcours du paternel et de ses contemporains. A 20 ans, Moyen Père ne savait pas plus que lui ce qu’il allait bien pouvoir foutre de sa vie. Sauf que ça lui était impérialement égal. Il pouvait se payer le luxe démentiel de ne pas s’en inquiéter : la finance manquait de bras, les multinationales enflaient comme des goitres, vendre du néant et faire du fric avec du vent devenait soudain très présentable, de même qu’avoir des dettes à ne plus savoir compter sur ses doigts. Il pouvait faire une formation de fleuriste et se faire embaucher dans une banque sans encombres. Le chômage ? Il savait que ça existait, mais on lui avait appris à classer ça dans la catégorie des cirrhoses et des maladies vénériennes : ces choses qui vous arrivent quand vous menez une vie de bâton de chaise. Les gens bien comme il faut, n’est-ce pas, ils sont à l’abri de ces petites misères.

 

Et puis surtout, Moyen Père avait eu le culot extrême de foutre un merdier épouvantable en 68, de lancer des pavés pleins de crachats dans la soupe qu’il allait touiller comme un seul homme un quart de siècle plus tard. Le dernier pavé à peine lancé, il savait déjà que ce serait bientôt les liasses de mille qui se mettraient à pleuvoir. Une jeunesse irresponsable, hystérique, réfractaire jusqu’à l’absurde, n’avait pas reçu ses factures naturelles : désocialisation, sous-jobs, accoutumances plus ou moins destructrices.

 

Plus d’une décennie à faire du hors-piste avant de passer le dernier obstacle et de gagner la course, sans se prendre un sapin, ni une crevasse, ni une avalanche sur le coin de la gueule. L’argent du beurre et la laitière en string dans une baignoire de crème.

 

Il ne faut pas forcément chercher plus loin le côté mécaniquement contestataire des enfants de Mai 68 : le bastringue de Papa a créé une véritable jurisprudence en matière de « droit à la révolte », qu’on peut invoquer et user même quand on n’a à combattre que des ennemis virtuels sur Second Life. Désormais, tout ce qui est jeune est considéré automatiquement « de gauche », à commencer par les porte-parole de la jeunesse elle-même.

 

 

 Voici donc Moyen Junior qui sort de l’adolescence avec devant lui un vrai circuit de grand huit : à la fois agité et confortable, délicieusement effrayant et sans danger. Il saute dans le wagonnet, avec en tête les photos de l’époque où son vieux avait fait de même. Il va s’en mettre jusqu’aux yeux. Il anticipe déjà les virages, les pirouettes, l’estomac qui tressaute, la gravité déglinguée, et la belle trinité goinfrée/biture/partouze qu’il va s’offrir quand ce défoulement sera fini. Mais au premier looping, on l’informe que les ceintures de sécurité sont en mousse et que le pilote est en vacances. Du coup le voyage lui paraît de suite moins émoustillant. Tu penses ! Pas de garantie d’arriver en un seul morceau, voire un risque réel d’y laisser des molaires et du cartilage.

 

... et son père angoisse pour ses couches antifuite 

 

Moyen Père, à quoi pense-t-il ? On ne lui demande pas vraiment son avis, à lui. Son moral n’est pas plus rose. A force de ne rien lui refuser – c’est fasciste et ça bousille son épanouillissement personnel -   son gamin lui aura coûté cher en jouets, en fringues de marque, en sorties, en études. Tant d’investissement pour une carrière chaotique de caissière, de pompiste ou de vendeur d’assurances par téléphone ? Ça fait quand même mal au sac ! Et puis il y a aussi un peu de calcul intéressé dans ses inquiétudes. Il sait que sa retraite risque d’avoir la même couleur que la routine professionnelle de sa progéniture, et vivre son grand âge à manger du riz sur un mobilier de récup’ ne l’enchante pas vraiment. La Bohème d’accord, mais sans la souplesse bourgeoise ? Moche, après une vie à mieux connaître les humeurs de son patron que le quotidien de sa famille. Si Junior ne se trouve pas « une belle situation », sur qui il pourra compter pour une maison de retraite qui ne soit pas parfumée à la pisse ?

 

De plus, comme disent les Angliches, on n’apprend pas de nouveaux tours à un vieux chien. Moyen Père a été éduqué dans le culte de la réussite, de l’effort récompensé, du mérite. Il ne va pas toujours jusqu’à accuser de flemme congénitale les chômeurs et les travailleurs pauvres. Mais il a une peine exceptionnelle à imaginer qu’une « mauvaise passe » puisse se prolonger et que Junior puisse retomber sur la tête plutôt que sur ses pattes. Tout doit finir par s’arranger et si la dèche persiste, c’est que Junior n’y met pas assez d’huile de coude. Après tout, il vit dans le système qui lui a permis, à lui, de s’en sortir relativement bien à condition de se sortir les pouces du cul.

 

Et puis, est-ce qu’on ne répète pas, aux infos, que la croissance reprend, que les investisseurs ont confiance, que les consommateurs sont assez rassurés pour s’endetter en jantes alu et en vacances all-inclusive ? Moyen Père mourra sans comprendre que les conditions de son bien-être ont entraîné structurellement la situation merdique de ses enfants, alors qu’elles étaient censées les protéger du besoin.

 

L'Histoire n'a pas de "sens"

 

Angoisses du père ou appréhensions du fils, qu’importe finalement. Toutes ont leur origine dans une même mythologie mongolienne.

 

Croire qu’on aura fatalement plus de fric et d’opportunités que nos parents, c’est faire un pari parfaitement imbécile sur l’avenir. C’est croire, en vrac, que l’Histoire a une direction, que la vie a un sens, que notre système économique et politique est une machine à produire toujours plus de richesses sans à-coups ni variations dans le flux de cash et de gadgets. La social-démocratie, réinventrice perpétuelle de la même eau tiède à disposition des masses, chacun son sachet individuel désinfecté et 10% généreusement offerts. Mais ni l’Histoire ni la vie n’ont aucun « sens », aucune direction obligatoire. C’est justement ça qui, depuis quelques millénaires, a fait le succès des idéologues, des prophètes et des vendeurs d’assurance : l’humain est une bestiole qui a un besoin atroce de certitude, dans un monde qui n’a que du brouillard et du doute à lui offrir. Putain de marché porteur !

 

Mentalité d’assistés, d’esclaves de la routine, de poulets en batterie, d’accords pour se faire découper le gésier à condition qu’il soit régulièrement farci avec exactement les mêmes rations tous les jours. Il y a quelque chose d’infantile dans cette frustration ridicule face à un avenir moins rose que prévu. Et si cette désillusion n’était qu’un simple passage à l’âge adulte, celui où accepte l’éventualité que tout n’ira pas comme on l’a prévu, et qu’il va falloir raquer pour se maintenir à flot ?

LES DELICES DE LA VIE EN BOÎTE

Etre citoyen de la Zone Grise , c’est mener une vie qui ne ressemble à rien. Une vie en boîte, soluble dans la flotte la plus dégueulasse, un triste compte à rebours qui ne dure même pas le temps de parvenir à la retraite, cette sagesse du pauvre, ce repos de l'esclave consumériste. Une trajectoire humaine où tout est balisé d’avance, même la révolte, même les pires excès. L’autodestruction elle-même est programmée pour être recyclable bien avant qu’on y songe comme à un exutoire acceptable. Dans notre Matrice, les piles humaines ne roupillent même pas : elles se contentent de leur sort, les yeux grands ouvert sur le vide.

 

Vous pensez y échapper ? Un bon taff ? Une belle baraque ? Une grosse bagnole ? Une pouffiasse que toute la piste de danse vous envie ? Un taux d'intérêt relativement supportable ? Un train-train moëlleux entre potes de bureaux, progéniture quelconque et voisins supportables ? Vous êtes en plein dedans. La marginalité librement choisie ? La crasse des squats qui fleure meilleure à vos narines que le n°5 ? Jongler avec les canettes, les pavés et les déjections canines, sous l'oeil humide des bigots laïcs payés pour vous lustrer la béquille ? Pareil : vous y pataugez jusqu'aux yeux. La haine cosmique de ces deux options, la Résistance fièrement revendiquée, le tract et le slogan en perpétuelle érection ? Kif-kif. Pas plus universel, pas moins discriminant que l’impérialisme de la Grisaille. Elle sature l’air et brouille l’eau courante, il faut s’appeler Theodore Kaczynski pour espérer y échapper quelques années.

 

S'élever là-contre ? Un signe de faiblesse, un symptôme de sida social, contracté auprès de malades, d'inadaptés, de sociopathes. La manifestation la plus claire d'immaturité, d'absence de véritable virilité, la colonne vertébrale qui se liquéfie sous vous et qui  révèle au monde le gosse que vous n'avez jamais cessé d'être. Voilà ce que suscite chez le commun de nos prétendus semblables la manifestation de tout idéal de changement de cette humiliante situation. Se résoudre à la vie en  boîte, à la voie de garage, à la fermeture du tiroir de la morgue qui vous est attribué avant votre naissance, voilà la dernière noblesse que ce monde vous octroie et vous reconnaît. Ne pas vouloir s'y plier, c'est assimilé au refus d'accepter le cycle des saisons ou le besoin de manger pour rester vivant.

 

Le non-choix qu'il nous reste

 

Pour nous autres barjots irrécupérables, il ne s'agit pas de refuser la part d'efforts, de souffrances, de sacrifices et de désillusion qui nous incombe. Il s'agit de laisser sortir de nous cette haine instinctive de la médiocrité, de la grisaille, de la boue qu'on ne peut pas se résoudre à avaler du simple fait que les experts agréés l'appellent « chocolat froid ». Nos anciens n'ont pas eu la vie facile, eux non plus. Et ce n'est pas la vie facile que nous demandons. Bien au contraire. C'est la mort de tout défi, de toute possibilité de conquête, de toute folie assumée jusque dans ses plus extrêmes conséquences, que nous pleurons, en camouflant notre chagrin sous la rage et les secousses du dégoût.

 

La limite que peut se poser l'homme moderne, celle qu'il doit s'efforcer de dépasser, celle contre laquelle on attend qu'il lutte jusqu'au moment de la retraite (1), cette limite, c'est celle qui établit la frontière entre ce que nous pouvons encaisser et ce que nous ne pouvons plus supporter en matière de  renoncement, d'humiliation, de contrition, de reniement de nous-mêmes, d'avortement de nos propres rêves, de rationalisation cynique de nos besoins les plus irrationnels, de prostitution qu'un animal ne pourrait pas commettre même pour sauver sa vie. Tel est le seul extrême qui nous est concédé dans un océan de médiocrité tiédasse, soporifique, décourageante, avachissante.

Nous ne renâclons pas devant l'effort. Nous nous révoltons face à la promesse d'un monde plus chiant, plus mort, plus vieux, plus gris, plus désespérant, comme seule récompense de ces efforts librement consentis.

Nous n'avons pas peur de la souffrance, mais de l'inutilité absolue et ridicule de la douleur que nous  acceptons de porter en nous. Nous n'avons pas peur du sacrifice, mais du grotesque qui entache tout sacrifice réalisé en vain, pour  ne pas même réussir à échapper à un sort qu'on nous promet à tous pareil, quels que soient nos luttes pour y échapper.

Nous n'avons pas peur de la mort, si tant est qu’on puisse l’imaginer avant d’y être confronté ; nous sommes terrorisés par la lente et atroce agonie dans un emballage aseptisé, dans un  cercueil multifonction, dans un dévaloir où passeront après nous des générations entières dont on ne retiendra peut-être que leur aptitude à « faire le chiffre » à la fin du mois.

Rien à vaincre, donc vaincu 

Ce n'est pas même une grandeur illusoire que nous demandons, mais simplement l'occasion de mesurer notre taille à l'aune de la civilisation, l'occasion de pouvoir nous battre avec nous-même, avec ce qu'il y a de meilleur et de plus vivant en nous-mêmes, et non pas contre nos instincts les plus bas, les plus dégoûtants, les plus abjectement vulgaires. Nous demandons l'occasion de ne pas laisser pour seule trace une ligne sur un tableau de statistiques. Autant disparaître dans une flamme qui ne  laissera aucune trace tangible une fois le bruit étouffé et la fumée dissipée.

La médiocrité en soi ? Pas un problème. La  plupart d'entre nous naissent moyen, dans des familles avec des problèmes ordinaires, suivent un parcours classique, font des études normales, se trouvent des jobs plan-plan, ont des copines sans rien d'exceptionnel, se cuitent simplement de loin en loin. A quoi bon se révolter contre la médiocrité si elle est inscrite dans nos gènes et dans notre environnement social ? On peut être con et heureux, là n'est pas le problème.

Le problème réside dans un modèle de société qui nous  condamne tous à être plus cons que nous ne le sommes à la base. Qui nous mène au hangar à minables quelles que soient nos aptitudes originelles. Qui nous transforme en bétail même si nous sommes nés prédateurs. Et qui se paie en plus le luxe et l'obscénité suprêmes d'ériger en modèle universel cette ingénierie de la médiocrité, du peut-mieux-faire. Comme si l'eau plate devait obligatoirement avoir un goût de merde. Comme si la simplicité était devenu un synonyme de dégueulasserie supportable.

(1) Joli mot, ça, « Retraite » ; encore un terme militaire qu'on a banalisé, reconnaissant implicitement le monde du travail comme une guerre totale de tous contre tous pour obtenir le droit à la même portion prédigérée de faux bonheur et de mauvais sommeil